Dette : le gouvernement sous la menace d'une dégradation des agences de notation

Les agences Moody's et Fitch s'apprêtent à dévoiler leurs bulletins de notes de la France vendredi, avant S&P fin mai. En plein marasme budgétaire, les agences pourraient sanctionner le gouvernement ou assortir leur note d'une perspective négative. Un mauvais signal pour l'exécutif à quelques semaines des élections européennes. Et, une aubaine potentielle pour les oppositions.
Grégoire Normand
Bruno Le Maire (Economie) et Thomas Cazenave (Budget).
Bruno Le Maire (Economie) et Thomas Cazenave (Budget). (Crédits : Reuters)

Les nuages noirs s'accumulent au-dessus du gouvernement. Après deux mois de tempête budgétaire, les agences de notation s'apprêtent à rendre leur sentence ce vendredi. Et ce, alors que la dette française a atteint 110,6% du PIB en 2023, sera à 112,3% cette année, et toujours à 112% en 2027, selon Bercy.

Ces évaluations surviennent après une avalanche de mauvaises nouvelles pour la France. En février, le gouvernement avait, dans un premier temps, annoncé 10 milliards d'euros d'économies par décret suite au déficit plus élevé que prévu à 5,5% du PIB en 2023 contre 4,9% initialement prévu. Révisant sa prévision de croissance de 1,4% à 1% pour cette année, l'exécutif a, ensuite, annoncé 10 milliards d'euros de coupes supplémentaires en 2024 et 20 milliards d'euros en 2025 au lieu des 12 milliards avancés dans un premier temps. Et Bercy prévoit dorénavant un déficit de 5,1% cette année contre 4,4% auparavant.

Dans ce contexte troublé, « la perte de crédibilité de l'exécutif dans ce domaine pourrait détériorer fortement sa popularité étant donné que la restauration des finances publiques et de la compétitivité de l'économie nationale sont au cœur de la promesse macronienne », juge Erwann Lestrohan, directeur conseil chez l'institut de sondages Odoxa.

« Et cette perte de crédibilité renforce par effet de contraste les oppositions critiques à l'égard des choix économiques de la majorité depuis de nombreuses années », ajoute-t-il. À quelques semaines des élections européennes, une possible dégradation ou une perspective négative serait un très mauvais signal pour la Macronie actuellement loin derrière le Rassemblement national (RN) dans les enquêtes d'opinion.

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Le scénario noir d'une dégradation, un enjeu aussi politique

Vendredi soir, tous les regards seront donc braqués sur le couperet des deux agences Moody's et Fitch. Pour rappel, la première place actuellement la France à Aa2 - un cran au-dessus de Fitch - avec perspective « stable ». Critiquées pour leur opacité et leur manque de rigueur après la grande crise financière de 2008, ces agences sont revenues sur le devant de la scène dans le contexte de dégradation des finances publiques après la pandémie.

Sur le plan économique, plusieurs experts estiment que le coût est relativement limité. « L'effet [d'une dégradation] sur le coût de financement devrait rester minime, car les écarts de coûts de financement entre les 'bons' et les 'mauvais' élèves sont actuellement faibles en zone euro », explique l'économiste Fipaddict, dans une note très complète. Le spécialiste indique que l'abaissement d'un cran « est associé à un coût de financement supérieur de 0,1 point seulement »« L'effet sur le coût de la dette française devrait être finalement faible », complète Christopher Dembick, économiste chez Pictet Asset Management.

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En revanche, les conséquences pourraient être plus graves pour la crédibilité du gouvernement. « Le principal risque à court terme pourrait bien être politique » explique Fipaddict. En effet, « les études empiriques suggèrent que les dégradations sont associées à une baisse importante de la popularité du pouvoir en place, car il s'agit d'un événement très visible qui conduit les citoyens à actualiser leur opinion sur la situation économique et la compétence de l'exécutif », poursuit l'économiste. « Il y a sans doute un enjeu plus politique qu'économique », abonde auprès de La Tribune, Véronique Riches-Flores, économiste indépendante à la tête de Riches Flores Research.

« On comprend pourquoi la situation budgétaire inquiète les agences. Le président n'est pas très engagé sur cette question et le gouvernement a du mal à tenir ses engagements et les résultats économiques ne sont pas là », analyse-t-elle.

Une probable dégradation ou une perspective négative de la note tricolore pourrait donc avoir des répercussions dans l'opinion. « Contrairement à certaines idées reçues, la question de la note de la France n'est pas un sujet secondaire ou 'hors sol' pour les Français. Non seulement ils y sont très attentifs, mais en plus la crise sanitaire et le 'quoiqu'il en coûte' n'ont pas balayé leur vigilance sur ce sujet », souligne Erwan Lestrohan.

Surtout, le durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) depuis l'été 2022 a considérablement dégradé les conditions financières pour les entreprises, les ménages et les Etats. En 2022, la fin de l'assouplissement quantitatif (quantitatif easing, QE) mis en oeuvre après la crise des dettes de 2012 par l'ancien président de la BCE, Mario Draghi, a marqué un virage brutal dans la politique monétaire de la zone euro. Annoncée en juin prochain par le gouverneur de la Banque de France Villeroy de Galhau, la première baisse des taux pourrait redonner du souffle aux Etats encore asphyxiés par ce tour de vis monétaire. À Bercy, l'Agence France Trésor, en charge de la dette de l'Etat, espère une baisse au plus vite pour financer ses besoins colossaux sur les marchés.

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Notation : le précédent de 2023

Or, jusqu'à récemment, les agences de notation ont fait preuve de « magnanimité » à l'égard de l'Hexagone, souligne l'économiste de l'IESEG (une école de commerce) Eric Dor, dans une récente note. Comment expliquer une telle mansuétude ?

« Les agences soulignent en général que la France a une économie diversifiée et que c'est un pays assez riche », explique, à La Tribune, le directeur des études de l'école. « La France peut facilement mettre en place des taxes en cas de soucis » et les agences reconnaissent « la solidité de son système bancaire », poursuit-il.

Mais l'accumulation de mauvaises nouvelles ces dernières semaines pourraient changer la donne. D'autant qu'il faut rappeler que l'agence Fitch a déjà dégradé l'Hexagone l'année dernière en pleine réforme des retraites. Mais, ce vendredi, c'est surtout l'agence Moody's qui pourrait baisser la note de l'Hexagone.

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Le spectre d'une dégradation s'amplifie

Au printemps 2023, le gouvernement avait tenté de balayer d'un revers de main cette sanction des marchés. Mais le spectre d'une dégradation s'amplifie. « Les finances publiques réalisées en 2023 et projetées pour l'avenir se sont dégradées par rapport aux précédentes décisions des agences de notation », indique Eric Dor. Pointant un problème de « cohérence et crédibilité du programme de stabilité », l'économiste explique qu'il est difficile d'être à la fois « optimiste sur la croissance et ne pas prendre en compte l'effet récessif des économies ».

Sans compter que, concernant la trajectoire des finances publiques jusqu'en 2027 présentée en Conseil des ministres la semaine dernière, le Haut conseil des finances publiques (HCFP) et le FMI ont émis de sérieux doutes sur le scénario du gouvernement. C'est également le cas de Moody's qui considère comme peu probable l'hypothèse d'un redressement du déficit public sous les 3% du PIB en 2027, annoncé par le gouvernement pour se conformer aux obligations de Bruxelles.

Pour parvenir sous les 3% d'ici 2027/à cet objectif, « la baisse de crédits de plusieurs dizaines de milliards d'euros en quatre ans est inédite à faire passer au Parlement, surtout sans majorité », explique Eric Dor. « Les agences de notation pourraient tiquer sur cette absence de majorité pour faire passer ces économies », indique-t-il.

Les spécialistes ne sont cependant pas tous unanimes sur le scénario d'un abaissement de la note tricolore. « On manque de ligne directrice et de vision sur ce à quoi servent ces déficits. Je pense que paradoxalement la dette ne va pas être forcément dégradée. Le downgrade n'est pas notre scénario central », souligne Véronique Riches-Flores. Et d'ajouter que « les perspectives de croissance sont meilleures qu'il y a six mois, le taux d'endettement a continué à baisser en raison de l'inflation ». Face aux investissements colossaux de la transition écologique et de la Défense, le besoin d'endettement des Etats est mieux « accepté ». « Il y a un an, l'idée était de donner l'impulsion au secteur privé pour réaliser la transition écologique. Aujourd'hui, tout le monde accepte que la puissance publique intervienne face à l'urgence climatique », conclut-elle.

Grégoire Normand
Commentaires 19
à écrit le 26/04/2024 à 19:52
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Parlons clair: le gouvernement n'est pas plus menacé que nos incapables de parlementaires; NOUS sommes menacés, car qui, selon vous va payer?

à écrit le 26/04/2024 à 16:53
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La situation n'est pas brillante en France, mais la situation se dégrade plus vite dans des pays ne trainant pas tous les fardeaux qu'on a en France (18 millions de retraités, des millions de jeunes en excédent, la culture économique vieillotte d'un ...

le 26/04/2024 à 17:00
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Arrêtez de taper sur les retraités, ce n'est pas une charge puisque les cotisations couvrent les retraites. Les retraités c'est 17 millions de consommateurs qui font tourner l'économie.

à écrit le 26/04/2024 à 16:08
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Ce ne sont pas des banquiers d'affaires ou des inspecteurs des Finances qu'il faut porter au pouvoir, mais plutôt des chefs d'entreprises et des entrepreneurs individuels : ils savent mieux compter...

à écrit le 26/04/2024 à 13:37
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De notation à notation, notre pays, médiatiquement, se fait peur. On verra pour cette fois-ci. Mais cela ne modifiera que très peu de choses, lorsque l'on voit que le gouvernement abdique devant les demandes de syndicats d'organes publiques. Rien ne ...

à écrit le 26/04/2024 à 12:01
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une équipe de bras cassés qui simplement au résultat permet de comprendre qu'il va y avoir la dégradation de la nnote ! il y a mauvaise gestion, et franchement les dirigeants français y compris en Europe (breton et la dame de la bce) qui permet de co...

à écrit le 26/04/2024 à 10:23
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Dégradee dans tous les domaines....a l’image de macron

à écrit le 26/04/2024 à 10:14
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La dégradation de la note de crédit de la France aurait eu lieu bien plus tôt et aurait été plus drastique sans l'euro. L'euro et la politique monétaire de la BCE ont protégé la France de pertes financières majeures. Je me souviens de l'époque où la ...

à écrit le 26/04/2024 à 10:05
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Le gouvernement sait parfaitement ce qu'il faut faire mais essaye de gagner du temps. L'austérité est inévitable. La mort de l'État Providence est actée. Les intérêts de la dette vont être insoutenable.

le 27/04/2024 à 10:34
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Amen mon frère mais la messe c'est demain. 10h sans faute hein ? Alléluia.

à écrit le 26/04/2024 à 9:59
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Ce sera la faute du réchauffement climatique et bien entendu du RN.. Mon beau pays qu'en avez vous fait?

à écrit le 26/04/2024 à 9:37
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Les agences de notation autoproclamees n'ont par le passé pas vu venir grand chose! Elles sont au service des investisseurs pour obtenir des entreprises et des États des taux d'intérêt les plus rémunérateurs. Pour un investisseur, le rendement du cap...

à écrit le 26/04/2024 à 8:59
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Alors Emmanuel, cela fait 7 ans que tu es en poste! pour ce résultat ! 1000 Milliards de dette en plus, un trend de + 100 Milliards chaque année avec un déficit chroniques, des dépenses non maitrisées et j'en passe avec les cadeaux sociaux.. le cout ...

à écrit le 26/04/2024 à 8:56
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si les agences veulent rester crédibles elles doivent dégrader !!!!!!! et nos députes doivent tirer les conséquences par une censure on ne peut continuer comme cela

le 26/04/2024 à 10:00
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Hélas, Oui..

à écrit le 26/04/2024 à 8:46
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Depuis plusieurs années la France gronde dans une sorte cocotte-minute. Les politiques soit font la sourde oreille soit mette de la braise sur le feu. Aujourd'hui et le politique l'a bien compris tout se joue dans cette caste classe moyenne assez mal...

à écrit le 26/04/2024 à 8:44
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Mais pour qui se prennent ces agences de notations !? "Les tyrans ne osnt grands que parce que nous sommes à genoux" Étienne de la Boétie

à écrit le 26/04/2024 à 7:22
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Dans une VRAIE Démocratie, c'est NOUS, les électeurs qui sanctionnerions nos mauvais élus. Nous réagissons comme sous l'Ancien Régime par des révoltes qui n'aboutissent qu'à des améliorations limitées. Il est temps d'adopter les méthodes parfois brut...

le 26/04/2024 à 9:29
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Le privé à l'Elysée, ce serait 30 à 40% de la population déchue de sa nationalité française et expulsée sur le champ et les partisans de la rigueur se plaindraient d'être les premiers expulsés :-)

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