Négociation retraites complémentaires : quels sont les scénarios possibles ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1046  mots
Si les négociations sur les retraites complémentaires échouent, l'Etat pourrait reprendre la main sur la gestion de l'Agirc et de l'Arrco. la cure pourrait alors être sévère. (Crédits : Reuters)
Vendredi 16 octobre, les organisations patronales et syndicales gestionnaires de l'Arrco et de l'Agirc, vont se retrouver une nouvelle (et dernière?) fois pour trouver un accord sur le redressement de la situation financière des régimes. Mais le projet du Medef de retarder de facto l'âge de la retraite à 64 ans bloque tout. En cas d'échec, l’État pourrait reprendre la main sur les régimes.

Ça va être très chaud. Vendredi 16 octobre à 9 heures, les organisations patronales et syndicales, gestionnaires des régimes de retraites complémentaires Agirc (cadres) et Arrco (ensemble des salariés) se retrouvent pour trouver un remède à la situation financière très dégradée des deux institutions.

Il y a le feu au lac. Avec la crise économique, l'arrivée des baby boomers à la retraite et le chômage de masse, l'Agirc et l'Arrco ont vu leurs déficits respectifs se creuser à 1,985 milliard et 1,153 milliard en 2014. Si rien n'est fait, leurs réserves seront épuisées d'ici à 2018 pour l'Agirc et à 2027 pour l'Arrco. Alors des abattements sur les pensions deviendraient quasi obligatoires !

Patronat et syndicats divergent sur les remèdes à apporter

Or, pour l'instant aucun accord ne semble pointer à l'horizon, tant les différentes parties divergent sur les remèdes à apporter. Alors, certes, le président de la République a appelé les gestionnaires à prendre des « mesures courageuses ». Mais, à ce stade, force est de constater que le seul point qui fait consensus, c'est le risque de ne pas parvenir à un accord. « Un compromis semble difficile » a lancé Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. « Il y a une probabilité pour que cela ne marche pas » a répondu en écho Pierre Gattaz, le président du Medef qui souhaite des « réformes de fond » et qui dit refuser un simple replâtrage permettant de tenir jusqu'en 2017.

Le Medef veut inciter les salariés à retarder à 64 ans l'âge de la retraite

C'est la proposition du Medef d'instaurer une décote drastique sur les pensions à compter de 2019 qui fait tout coincer. L'organisation patronale a d'ailleurs évolué. Auparavant, elle suggérait d'appliquer une décote dégressive sur les pensions des salariés partant à la retraite avant l'âge de 64 ans. Maintenant, le Medef propose un dispositif plus subtil. Voulant, toujours inciter les salariés à partir à 64 ans, ceux qui liquideraient leur pension à 62 ans connaîtraient un abattement de 25%, réduit à15% à 63 ans. Puis à 64 ans le niveau de pension retrouverait son niveau normal. En revanche, ceux qui retarderaient leur départ à 65 ans se verraient appliquer un bonus de 15%, durant une année. Pour ceux partant à 66 ans, ce bonus atteindrait 25%.

A des degrés divers, les syndicats ne veulent pas entendre parler de tels abattements. Pour la CFE-CGC c'est ne niveau proposé par le Medef qui est inacceptable. Ce syndicat veut bien parler de décote mais à « un taux raisonnable ». La CFTC plaide pour une décote des pensions de 5% la première année et de 4% pour la deuxième. Les autres syndicats refusent toute idée d'abattement, y compris la CFDT qui suggère d'instituer « une contribution de solidarité intergénérationnelle » de 4% qui serait versée pendant deux ans par tous les futurs retraités.

Quant à FO et la CGT, elles récusent encore plus farouchement toute idée de décote, de contribution exceptionnelle, etc. FO veut taxer les entreprises qui se séparent des seniors de plus 55 ans et la CGT, parmi diverses propositions, souhaite aligner les taux de cotisation Agirc. Si les organisations syndicales divergent donc sur les recettes alternatives aux projets patronaux, elles partagent tout de même quelques points communs.

Refus des syndicats de servir de poisson-pilote à l'Etat sur l'âge de la retraite

D'abord, toutes demandent une augmentation des cotisations patronales aux retraites complémentaires. Pour le Medef c'est hors de question alors que les entreprises françaises peinent à retrouver leur compétitivité. Surtout, aucune organisation ne veut cautionner un relèvement de fait de l'âge du départ à la retraite, ce à quoi conduirait le dispositif prôné par le Medef. "Nous ne servirons pas de poisson-pilote à l'Etat", explique Jean-Louis Malys en charge du dossier à la CFDT. De fait, les syndicats ont parfaitement conscience que s'ils acceptent de retarder l'âge requis pour percevoir une retraite complémentaire, l'État s'empressera de le faire aussi dans les régimes de base dont il a la responsabilité.

Alors, dans ce contexte fort peu consensuel, que peut-il se passer à l'issue de la réunion de vendredi, qualifiée comme de la dernière chance. Divers scénarios sont possibles.

Vers une reprise en main par l'Etat de l'Arrco et de l'Agirc ?

Première hypothèse, le Medef met encore de l'eau dans son vin. Un accord a minima se contentant de bouger quelques paramètres (prolongation de la sous revalorisation des pensions, abaissement du taux des pensions de réversion, etc.) est alors trouvé avec une majorité de syndicats, comme cela fut toujours le cas depuis la création de l'Arcco en 1947. Les partenaires sociaux fixeront alors ses modalités d'application qui s'imposeront progressivement aux retraités, salariés et entreprises... Et il faudra recommencer le psychodrame dans deux ans pour, cette fois, trouver des solutions pérennes..

Deuxième hypothèse, vendredi, les partenaires sociaux - du moins une majorité d'entre eux - rapprochent suffisamment leurs positions pour poursuivre les discussions. Dans ce cas, une ou deux réunions supplémentaires pourront être programmées d'ici la fin de l'année.

 Troisième hypothèse, c'est l'échec total. Certains soupçonnent le Medef - qui s'en défend- de jouer cette carte afin de tenir là un prétexte pour se désengager de la gestion paritaire des retraites complémentaires. Dans ce cas, les commissions paritaires présentes dans les caisses Arrco et Agirc seraient chargées de gérer les affaires courantes, sans rien régler sur le fond. Une situation purement temporaire qui cesserait dans quelques mois si les organisations patronales et syndicales estimaient pouvoir reprendre les négociations plus sereinement.... Douteux. Ou alors, et ce serait la fin d'une époque, l'Etat reprendra la main et assumera la gestion des régimes Arrco et Agirc. Il risque alors d'avoir la main très lourde sur la durée de cotisation, les pensions, voire les taux de cotisation, pour ne pas trainer indéfiniment le boulet des retraites complémentaires. D'autant plus que la situation de régimes est prise en compte dans le calcul du déficit de la France, examiné à la loupe par la Commission européenne. C'est donc la survie même de ces régimes qui serait sans doute remise en cause.