Transition énergétique : la Cour des comptes fustige l'inconnue de la facture

Par Fabien Piliu  |   |  659  mots
les estimations de la Cour ne tiennent pas compte des effets des fermetures potentielles des réacteurs sur le coût de l'énergie et donc sur l'emploi et la croissance, ni des éventuelles compensations que EDF pourrait obtenir de l'État et dont le montant ne peut être encore évalué. (Photo: vue nocturne des tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Dampierre)
Le gouvernement a-t-il tout prévu ? La mise en œuvre de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte est susceptible de remettre en cause les investissements envisagés par EDF et d'obliger l'entreprise à fermer un tiers des 58 réacteurs installés sur le territoire. Selon le rapport annuel de la Cour des comptes, les conséquences peuvent être importantes en termes d'emploi. Une indemnisation d'EDF par l'État n'est pas à exclure.

Evaluez, évaluez, il en restera toujours quelque chose... Votée le 17 août 2015, la "loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte" a des conséquences industrielles. Elle est en effet de nature à remettre en cause les investissements envisagés par EDF, sa mise en œuvre pouvant obliger l'entreprise à fermer un tiers des 58 réacteurs installés sur le territoire d'ici à 2025.

L'Etat a-t-il prévu toutes les conséquences économiques qu'entraîne cette décision ? Dans son rapport annuel publié ce mercredi, la Cour des comptes est catégorique :

"Aucune évaluation n'a encore été réalisée, ni par l'État ni par EDF, sur les conséquences économiques potentielles de l'application de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte."

Selon la Cour, qui a procédé à des estimations à partir de conventions de calcul, arrêtées sur la base de données propres au parc actuellement en service et aux prévisions de dépenses de maintenance retenues dans le projet industriel d'EDF, les enjeux s'élèvent à plusieurs milliards d'euros par an.

Indemniser EDF pour réduction de patrimoine

Certes, le plafonnement de la puissance nucléaire à 63,2 GW pourrait permettre à EDF de réduire le montant des charges liées à la maintenance de son parc de centrales. Mais cette décision implique que l'énergéticien français "adapte son projet pour éviter des dépenses inutiles sur le ou les réacteurs concernés", explique la Cour. Laquelle précise par ailleurs que le patrimoine d'EDF serait également réduit de la valeur des actifs de production fermés, la perte pouvant être évaluée entre 1,7 milliard et 2 milliards d'euros annuels.

Impact encore inconnu sur le coût de l'énergie, l'emploi, la croissance...

Enfin, les estimations de la Cour ne tiennent pas compte des effets des fermetures potentielles des réacteurs sur le coût de l'énergie et donc sur l'emploi et la croissance, ni des éventuelles compensations que EDF pourrait obtenir de l'État et dont le montant ne peut être encore évalué.

Indemniser les co-contractants

En outre, l'entreprise pourrait être amenée à indemniser les industriels avec lesquels elle a signé des contrats d'allocation de production électrique en contrepartie du règlement de leurs quotes-parts dans les coûts de construction, d'exploitation et de démantèlement de tranches nucléaires.

Indemniser le "préjudice"

Enfin, le plafonnement de puissance fait également supporter à l'État le risque de devoir indemniser le préjudice subi par EDF. Sur ce point, dans sa décision du 13 août 2015, le Conseil constitutionnel a rappelé que la loi de transition énergétique ne méconnaissait pas le droit d'EDF de prétendre à une indemnisation.

Une étude d'impact est souhaitée

Pour toutes ces raisons, la Cour recommande donc que, dans l'étude d'impact de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), prévue par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, l'on identifie ses conséquences industrielles et financières sur le programme de maintenance des réacteurs nucléaires. Dans la perspective de l'élaboration du plan stratégique d'EDF, arrêté dans le cadre de la PPE, la Cour souhaite la mise à jour des évaluations des opérations de maintenance en tenant compte des incertitudes et aléas qui leurs sont associés.

Sans oublier la pénurie de compétences en vue du "grand carénage"

Enfin, en raison des difficultés attendues en matière de recrutement et de formation, la Cour souhaite que soit intensifiée la mobilisation des acteurs de la filière, publics et privés, visant à combler les pénuries de compétences identifiées dans la perspective du "grand carénage", ce vaste programme industriel qui regroupe l'ensemble des investissements de maintenance prévus sur la période 2014 à 2025 et qui vise à améliorer la sûreté des centrales nucléaires, notamment pour en étendre l'exploitation au-delà de 40 ans.