Paris : la Ville répète son astuce budgétaire

Par Mathias Thépot  |   |  833  mots
La mairie de Paris a subi un "choc budgétaire" d'1,1 milliard d'euros depuis 2010.
Pour compenser la baisse des soutiens financiers de l'Etat, la mairie de Paris va de nouveau avoir recours à une dérogation budgétaire originale.

En 2017, la mairie de Paris va donc avoir une nouvelle fois recours à une manœuvre comptable pour le moins originale pour boucler son budget. Afin de dégager un niveau d'autofinancement suffisant et maintenir son plan ambitieux d'investissements de 10 milliards d'euros durant la mandature, la Ville de Paris utilise en effet un subterfuge budgétaire qu'elle réalise en deux temps : d'abord elle encaisse la totalité des loyers non échus de logements sociaux nouvellement conventionnés, soit un montant prélevé sur les bailleurs sociaux de près de 295 millions d'euros en 2017, après environ 360 millions d'euros en 2016.

Et ensuite, elle transfère ce montant habituellement enregistré dans la section d'investissement vers la section de fonctionnement. De quoi dégager davantage d'autofinancement. Cette manœuvre est osée : selon un spécialiste de la comptabilité publique locale, elle serait même moralement « contraire aux doctrines comptables ». Ce qui a le don d'agacer l'opposition de droite au Conseil de Paris. Le conseiller LR Jérôme Dubus déplore notamment une « opération de cavalerie » budgétaire. Pour lui « de tels procédés participent d'une gestion juridiquement douteuse ». La droite n'exclut d'ailleurs pas de porter la délibération devant les tribunaux administratifs.

Dérogation budgétaire accordée par le gouvernement

Pourtant, l'astuce budgétaire de la mairie de Paris est tout à fait légale. En effet, comme l'année passée, la capitale a obtenu une dérogation de la part de Bercy et du ministère des collectivités locales pour opérer de la sorte. En 2016, cette dérogation a permis à la Ville de Paris de conventionner 3.527 logements du parc privé des bailleurs Elogie, Paris habitat,et de la société immobilière d'économie mixte de la Ville de Paris (Siemp), qui ont donc été transformés en logements sociaux. Cela représente près de la moitié de la « production nouvelle » de logements sociaux de la Ville : au total 7.499 nouveaux logements sociaux ont été financés ou conventionnés en 2016 à Paris.

Mais si la Mairie de Paris s'expose ainsi aux critiques et joue avec les règles de la comptabilité publique locale, c'est en premier lieu parce qu'elle subit une baisse drastique des soutiens financiers de l'Etat. Depuis 2010, Paris a concrètement perdu plus d'1,1 milliard d'euros de ressources, soit 12 % de ses recettes de fonctionnement, sous l'effet du double choc de la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et de la hausse de sa participation à la péréquation régionale et nationale. Difficile dans ce cadre de mettre en œuvre le plan d'investissement de 10 milliards d'euros sur la mandature, dont 2,8 milliards sont destinés à augmenter « l'offre de logement et développer la mixité sociale ». « Nous avons à résoudre une équation financière très compliquée », confirme Julien Bargeton, l'adjoint au Maire de Paris chargé des finances. En 2017, ce « choc budgétaire » sera de 189 millions d'euros pour Paris, ajoute-t-il.

Pas de hausse d'impôts

L'équation est d'autant plus complexe que la Maire de Paris Anne Hidalgo se refuse à augmenter les taux de la taxe foncière et de la taxe d'habitation pour les résidents parisiens. La stabilité de l'imposition des ménages était en effet l'un de ses engagements phare de campagne, et elle ne veut pas donner des arguments à la droite qui lui feraient perdre en crédibilité. Pour l'instant, l'astuce budgétaire de la mairie de Paris fonctionne, donc. Et elle souhaite même la répéter lors des prochains exercices budgétaires, certes pour des montants un peu moins élevés car le parc privé des bailleurs sociaux n'est pas illimité.

Reste un point d'interrogation : en cas de changement de majorité présidentielle et parlementaire, la mairie PS de Paris obtiendrait-elle la même dérogation budgétaire de gouvernements de droite en 2018, 2019 et 2020 ? Pas si sûr. On sait par exemple que la plupart des collectivités locales, lorsqu'elles sont en grande difficulté financière - on l'a vu pendant l'affaire des emprunts toxiques - doivent parfois attendre plusieurs années avant que Bercy daigne répondre favorablement à leur demande.

Or, si la mairie de Paris a obtenu facilement des dérogations de la part du gouvernement ces deux dernières années, c'est certes grâce à son poids de plus grande collectivité locale française, mais aussi grâce à sa proximité politique avec le gouvernement. Ce qui pourrait changer en cas de basculement à droite du pays au printemps prochain. Conscient de ce risque, le premier adjoint au Maire de Paris Bruno Julliard concède que si la droite décidait pour « des raisons politiciennes » de ne pas accorder de nouvelle dérogation budgétaire, elle mettrait « en difficulté la mairie de Paris ». Mais il assure en parallèle qu'Anne Hidalgo ne dérogera pas à ses promesses d'accroître la part de logements sociaux dans le parc de logements parisiens. La fin d'année 2017 pourrait donc être houleuse entre la mairie de Paris et le futur gouvernement.