Plafonnement des indemnités prud'homales : la fronde des opposants s'organise

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1142  mots
Désormais les montsants des dommages et intérêts fixés par les prud'hommes en cas de licenciement sans cause réelle est sérieuse seront au minimum de trois mois et au maximum de 27 mois, en fonction de l'ancienneté du salarié et de la taille de l'entreprise
La loi Macron a institué un plafonnement des dommages et intérêts accordés par les prud'hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Syndicats de salariés mais aussi avocats et magistrats contestent cette disposition qui va a l'encontre du" droit à la réparation intégrale du préjudice". Ils condamnent aussi la rupture d'égalité entre les salariés des petites et des grandes entreprises.

Dans la dernière ligne droite de l'examen de la loi pour la croissance et l'activité - la fameuse loi Macron - le gouvernement a décidé de répondre favorablement à une vieille demande patronale : « sécuriser » la procédure prud'homale en fixant un plafond aux montants des dommages et intérêts que les conseils de prud'hommes peuvent accorder à un salarié victime d'un licenciement abusif. Ce plafond variera entre trois et vingt-sept mois en fonction de l'ancienneté du salarié et de la taille de l'entreprise (voir tableau ci-dessous).
Ce plafonnement, qui fait l'objet de l'article « 87 D » de la loi Macron, a fait hurlé les organisations syndicales de salariés (CFDT, CGT,CGC,FO, Solidaires et Unsa) mais aussi le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature (SM) qui ont tenu une conférence de presse commune pour dénoncer « une atteinte aux principes fondamentaux d'égalité et de réparation intégrale du préjudice et prive les salariés de cette réparation ».


Dépôt d'un mémoire devant le Conseil constitutionnel

Ces organisations ont lancé une pétition qui a déjà recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures. Selon le texte « limiter la réparation du préjudice, c'est remettre en cause le principe selon lequel celui qui cause un dommage s'oblige à le réparer entièrement ».
Par ailleurs, le SAF et le SM ont déposé un mémoire devant le Conseil constitutionnel (qui sera saisi par des Parlementaires) pour contester cette mesure de plafonnement. Ils se disent également prêts à saisir la Cour de justice européenne, voire la Cour européenne des droits de l'homme.
Sur le terrain politique, l'ancien ministre socialiste Benoit Hamon a parfaitement résumé l'inquiétude syndicale en estimant que ce plafonnement va « permettre une gestion prévisionnelle des licenciements abusifs par les chefs d'entreprise ». La formule est un peu osée, mais pas totalement dénuée de vérité
Dans l'entourage du ministre de l'Economie, on se dit serein quant à la constitutionnalité de la mesure :

« on ne réduit pas les droits, car le juge pourra toujours octroyer une indemnité supérieure à ces plafonds en cas de harcèlement de l'employeur, de discrimination ou de nullité d'un licenciement économique ».

A Bercy, on rappelle aussi qu'il s'agissait là de « sécuriser » le CDI. Autrement dit, pour le ministère de l'Economie, le fait de fixer un plafond aux dommages et intérêts « rassure » des employeurs qui sauront à quoi s'attendre lorsqu'elles devront se séparer d'un salarié. Ce qui n'était pas le cas jusqu'ici.
"Ce barème va faciliter les licenciements, pas les embauches. C'est un mensonge de dire le contraire. D'autant que nous parlons ici des licenciements abusifs, pas des licenciements motivés par une insuffisance professionnelle ou par des raisons économiques", explique Florian Borg, président du SAF.


Rupture d'égalité entre les salariés

Jusqu'à présent, le Code du travail ne prévoyait qu'une seule distinction entre salariés dans l'octroi des dommages et intérêts. Lorsqu'un salarié a plus de deux ans d'ancienneté et qu'il travaille dans une entreprises de plus de 11 salariés, le montant de son indemnisation pour licenciement sans cause et sérieuse est au minimum égale à six mois de salaire. En revanche, lorsqu'un salarié travaille dans une entreprise de moins de 11 salariés et qu'il a moins de deux ans d'ancienneté, le salarié peut prétendre, toujours en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi est laissée à l'appréciation des juges.
C'est donc ce dispositif qui est modifié. Ce que reproche le SAF et le SM c'est notamment la disparition d'un certain nombre de critères dont disposaient les juges pour apprécier l'ampleur du préjudice.

Après la loi Macron, ils ne pourront en effet plus retenir que deux éléments : la taille de l'entreprise et l'ancienneté du salarié. Auparavant, pour assurer la "réparation intégrale" du préjudice - un sacro-saint principe juridique en droit du travail, quelque peu battu en brèche avec ces nouvelles dispositions - , les juges tenaient également compte de l'âge du salarié, de ses qualifications, de son degré de difficulté potentielle à retrouver un emploi, de sa situation familiale, etc. Ces critères n'auront plus lieu d'être.


Par ailleurs, les opposants à la mesure trouvent extrêmement troublant qu'avec le nouveau barème, les salariés abusivement licenciés se retrouvent sur un pied d'inégalité totale. En effet, si l'on prend l'exemple d'un salarié avec dix ans d'ancienneté, s'il est abusivement licencié d'une entreprise de moins de vingt salariés, il pourra espérer au maximum 12 mois de salaire au titre des dommages et intérêts. Alors qu'un salarié licencié d'une entreprises de plus de 300 salariés sera en droit d'obtenir jusqu'à... 27 mois de salaire. Or, comme l'écrit sur son blog Franc Muller, avocat au barreau de Paris, à propos de cet exemple : « lequel des deux est le mieux payé, mais aussi le mieux formé et donc le plus apte à retrouver rapidement un emploi ?
Le prisme est exclusivement celui de l'entreprise, ce qui nous parait constituer une approche trop orientée ».
De fait, au ministère de l'Economie on ne nie pas avoir volontairement fixé des plafonds moins élevés pour le PME car ces dernières sont financièrement moins bien armées pour faire face... Ce à quoi répond Marie-Andrée Séguin, secrétaire confédérale de CFDT : "On va creuser encore les inégalités entre les salariés des petites entreprises et les autres",

Vers une explosion des contentieux pour discrimination?


SAF et syndicats de salariés s'attendent également à une explosion de contentieux pour des cas de discrimination ou de harcèlement, puisque ces motifs ne sont pas concernés par le plafonnement...
Il va falloir patienter quelques mois pour apprécier les conséquences pratiques de la réforme prud'homale souhaitée par la loi Macron. Mais, entre-temps, le Conseil Constitutionnel se sera prononcé.


Montants minimaux et maximaux des dommages et intérêts :

. Entreprises employant moins de 20 salariés :
- salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté : maximum 3 mois
- salariés ayant entre 2 ans et moins de 10 ans d'ancienneté : minimum 2 mois, maximum 6 mois
- salariés ayant 10 ans d'ancienneté et plus : minimum 2 mois, maximum 12 mois


. Entreprises employant entre 20 et 299 salariés :
- salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté : maximum 4 mois
- salariés ayant entre 2 ans et moins de 10 ans d'ancienneté : minimum 4 mois, maximum 10 mois
- salariés ayant 10 ans d'ancienneté et plus : minimum 4 mois, maximum 20 mois


. Entreprises employant 300 salariés et plus :
- salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté : maximum 4 mois
- salariés ayant entre 2 ans et moins de 10 ans d'ancienneté : minimum 6 mois, maximum 12 mois
- salariés ayant 10 ans d'ancienneté et plus : minimum 6 mois, maximum 27 mois