Pourquoi l'investissement ne peut décoller

Par Fabien Piliu  |   |  999  mots
Promise par le ministère de l'Economie et des Finances, la baisse prévue de l'impôt sur les sociétés (IS) à 28% pour les PME en 2017 puis pour toutes les entreprises en 2020 est-elle suffisante ?
La taxe professionnelle a été supprimée et remplacée par la Contribution économique territoriale (CET) en 2010. Selon Nicolas Sarkozy, cette réforme devait permettre de garder les usines en France. Alors que l'investissement des entreprises repart, la CET est-elle un impôt plus efficace que la taxe professionnelle ?

Avec la remontée du taux de marge, les industriels ont un peu le sourire et l'investissement retrouve des couleurs. Déjà dans les esprits, l'industrie du futur devient progressivement une réalité. Après une longue période de sous-investissement chronique - Euler Hermes a estimé à 83 milliards d'euros le déficit d'investissement sur la période 2008-2015 -, l'investissement décolle. Hors construction, il a progressé de 2,6% en 2014 et de 3,7% en 2015 selon l'Insee. Il devrait augmenter de 4,9% en 2016.

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Avec la progression de l'investissement, une incohérence fiscale majeure pourrait éclater au grand jour et freiner la modernisation en cours de l'industrie française. Tant que l'investissement était atone, ce qui était le cas depuis 2009 et l'éclatement de la crise bancaire, les failles de la Contribution économique territoriale (CET) n'apparaissaient pas.

Elles éclatent désormais au grand jour. En effet, la Contribution économique territoriale (CET) souffrirait de défauts au moins aussi importants que la taxe professionnelle, assise sur la valeur locative des immeubles et des autres immobilisations corporelles, qu'elle a remplacée en 2010.

Pour Nicolas Sarkozy, malgré les réformes qui ont touché cet impôt au fil des années, la taxe professionnelle, dont la suppression avait été annoncée par Jacques Chirac en 2004, était alors un "impôt injuste, néfaste pour nos entreprises, pour la croissance et pour l'emploi et facteur de délocalisations".

Taxe professionnelle et CET, même combat ?

Instaurée par loi de finances 2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2010, la CET est-elle plus rationnelle ?

Les deux cotisations qui la composent, la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), pèsent encore sur l'investissement.

La CFE est assise sur la valeur de l'immobilier, c'est-à-dire la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière, de l'entreprise. De fait, la CFE repose sur la valeur comptable des biens immobiliers de l'entreprise, et non pas sur la valeur locative "théorique" cadastrale défini par l'administration fiscale. De fait, si une entreprise améliore un bâtiment, en installant la climatisation, en procédant à des travaux de modernisation, elle relève la valeur de son bien et voit la CFE qu'elle doit acquitter augmenter. Son taux est fixé par les communes.

La CVAE n'est guère plus rationnelle sur le plan économique. Puisqu'elle est assise sur la valeur ajoutée, elle varie en fonction des investissements réalisés par l'entreprise. Si la valeur ajoutée d'un bien ou d'un service augmente, la CVAE que l'entreprise devra acquittée augmente. CQFD. Son taux est fixé selon un barème progressif.

L'exécutif est-il conscient des faiblesses de la CET ?

On pourrait imaginer que dans le cadre de la politique de l'offre, l'exécutif ait vu ces écueils. Ce n'est malheureusement le cas. Alors que le gouvernement multiplie les dispositifs pour relancer les investissements - crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), suramortissement, allègements de cotisations sociales... -, ,la  fiscalité plombe ses efforts.

Interrogé par La Tribune, Bruno Grandjean, le président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) fait le constat suivant. "La politique de l'offre menée depuis 2014 a fait beaucoup de bien à l'industrie. En effaçant en partie les augmentations d'impôts passées, il a permis à nos entreprises de sortir la tête de l'eau. Mais il reste encore des choses à améliorer. Les impôts pesant sur la production sont trop nombreux, ce qui nuit à la prise de risque et à l'investissement. Comment peut-on créer le CICE et laisser en place une cinquantaine d'impôts sur la production ?", explique-t-il, citant la CET et ses composantes, la CFE et la CVAE.

Promise par le ministère de l'Economie et des Finances, la baisse prévue de l'impôt sur les sociétés (IS) à 28% pour les PME en 2017 puis pour toutes les entreprises en 2020 est-elle une contrepartie suffisante ? "Quelque chose m'échappe. Il aurait été plus logique de supprimer certains de ces impôts et de laisser le taux de l'impôt sur les sociétés inchangés. Partager les bénéfices est normal. Taxer les investissements qui permettent de relever la valeur ajoutée du made in France est incompréhensible", poursuit-il.

Invités à échanger avec les candidats à la primaire de droite lors de Planète PME jeudi, les chefs d'entreprises ont également rappelé cette anomalie de la fiscalité française sans que des réponses probantes leur ait été apportées. Les partisans du  "grand soir" fiscal n'ont pas encore de propositions à ce niveau de détail. C'est bien dommage.

Le financement des régions est en jeu

Alors que l'Etat réduit ses transferts de ressources vers les régions et que les compétences économiques de ces dernières augmentent, toucher à la fiscalité locale en réformant la CET ne serait pas une chose aisée. La CET, comme la taxe professionnelle jadis, est le premier impôt économique local. Elle représente 21% des recettes fiscales locales. La supprimer réclamerait des efforts d'imagination à Bercy pour trouver des ressources aux montants équivalents.

Les sommes en jeu sont énormes. En 2015, 7,2 milliards d'euros ont été collectés au titre de la CFE et 16,7 milliards d'euros au titre de la CVAE. A titre de comparaison, l'impôt sur les sociétés devrait représenter une charge de 33,5 milliards d'euros pour les entreprises en 2015. Ce dossier est d'autant plus inextricable qu'une taxe additionnelle, la taxe spéciale d'équipement régional (TSER) adossée à la CFE viendra "compléter" le paysage de la fiscalité locale en 2017.

Alors que le gouvernement vient de s'engager à transférer à partir du 1er janvier 2018 une partie des recettes de TVA aux Régions, recettes qui se substitueront à la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée jusqu'ici par l'Etat, le chantier paraît actuellement trop ambitieux, compte tenu du délai imparti.