Réforme du marché du travail : pour le gouvernement, il est urgent d'attendre

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1164  mots
Les ministres du Travail et de l'Economie, François Rebsamen et Emmanuel Macron, préfèrent prendre leur temps avant d'annoncer d'éventuelles réformes du marché du travail
Le gouvernement préfère ne pas mettre sur la table les questions de simplification du contrat de travail et de la durée du travail. Et ce pour ne pas attiser les frictions au sein du parti socialiste en pleine préparation de son congrès. Un remaniement gouvernemental interviendrait à son issue.

Les partisans de nouvelles réformes du fonctionnement du marché du travail devront encore patienter... Au moins jusqu'en juin.
De fait, la conférence sociale thématique qui réunissait ce vendredi 3 avril les organisations patronales et syndicales ainsi que les ministres de l'Économie et du Travail, Emmanuel Macron et François Rebsamen, n'a pas donné lieu à des annonces fracassantes. « Ce n'était absolument pas le lieu » précise-t-on au cabinet du ministre de l'Economie. Pourtant, après le second tour des élections départementales le 29 mars, le Premier ministre Manuel Valls avait laissé entendre qu'il fallait aller plus loin dans la réforme du marché du travail, notamment pour les PME.
Fort opportunément, le Medef était au même moment reparti à l'assaut pour demander une simplification du contrat de travail. Et un groupe d'économistes - dont Jean Tirole, le dernier prix Nobel d'Economie - avait publié dans le quotidien Les Echos une tribune en faveur d'un « Jobs act » à la française prônant une modification des règles de fonctionnement du marché du Travail. On sait Manuel Valls et Emmanuel Macron sensibles à ce débat. D'autant plus que dans sa note annuelle consacrée à la France, rendue publique le 2 avril, l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) a une nouvelle fois plaidé pour des réformes structurelles du marché du travail français afin de faciliter le retour de la croissance.


 Ne pas déplaire aux "Aubrystes" avant le congrès du PS

 La réunion de ce vendredi, consacrée officiellement à tirer le bilan de l'accord national interprofessionnel (ANI)  du 11 janvier sur la sécurisation du marché de l'emploi (qui a été transformé en loi en juin 2013), aurait pu être l'occasion de prémices d'annonces en la matière...
Sauf que les syndicats ne veulent absolument pas entendre parler d'une réforme du contrat à durée indéterminée (CDI). Et, politiquement parlant, d'éventuelles annonces de ce genre, très clivantes au sein du Parti socialiste, auraient été mal venues.
En effet, les socialistes sont en pleine préparation de leur congrès de Poitiers du 5 au 7 Juin. Tout le jeu du Président de la République et du Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, est d'éviter la multiplication des motions afin de sauver un semblant d'unité. La principale crainte vient de Martine Aubry et de ses amis. Les « Aubrystes » se sont donnés jusqu'au retour du week-end pascal, pour décider ou non du dépôt d'une motion. Si c'est le cas. Les débats risquent d'être vifs lors du congrès sur les choix économiques et sociaux du gouvernement. Le Premier secrétaire préfèrerait donc que la maire de Lille se rallie à la motion qu'il défendra et qui prendra soin de ne pas ouvertement attaquer Manuel Valls.
C'est aussi pour tenter d'amadouer Martine Aubry que le président de la République, en déplacement dans les forges de Trie-Château (Oise), a annoncé la création « d'un compte personnel d'activité » pour chaque salarié. Ce compte, destiné à assurer la portabilité de droits liés à la personne et non au poste de travail, permettrait de réunir dans un seul compte tous les droits actuellement dispersés dans le compte individuel de formation, le compte de pénibilité ou encore dans un éventuel compte épargne temps. Il s'agirait donc surtout d'une mesure de simplification.
En tout état de cause, du résultat de ces tractations avec les Aubrystes ainsi que de l'état d'avancement du réchauffement des relations entre les PS et Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) va dépendre l'ampleur du remaniement gouvernemental.

Initialement, celui-ci devait intervenir la semaine prochaine mais, finalement, il se produira plutôt  en juin... après le fameux du congrès du PS, quand on connaîtra mieux le nouveau rapport de force interne à la majorité.

Dans un tel contexte sensible, il n'était pas question d'aller jeter de l'huile sur le feu, en annonçant prématurément que les règles de fonctionnement du CDI seraient simplifiées.
De toute façon, à leur arrivée au ministère du Travail, les syndicats ont fait savoir d'emblée qu'il n'était pas question de parler d'une réforme du contrat de travail pour relancer l'emploi, alors que le chômage continue à battre des records.
C'est "un débat qu'il faut arrêter tout de suite. Il n'y a aucune justification en termes de créations d'emploi à assouplir le contrat de travail", a prévenu le numéro un de la CFDT, Laurent Berger.

Une nouvelle réunion en juin consacrée au contrat de travail

Officiellement, de fait, la question du contrat de travail n'était pas à l'ordre du jour. Ce sujet doit être abordé en juin lors d'une autre conférence sociale thématique qui se réunira autour du Premier ministre. Le débat central tournera alors sur la question de savoir comment faciliter l'embauche dans les PME.
L'organisation patronale CGPME ne s'y est pas trompée. Son président François Asselin estimant « la vraie réunion c'est celle de juin ».
Alors, pour ce vendredi, les organisations syndicales et patronales ainsi que les deux ministres se sont cantonnés à dresser le bilan de l'ANI du 11 janvier 2013. Sur certains aspects il est incontestablement positif. Ainsi, grâce à l' ANI, a été obtenu un meilleur encadrement des « plans de sauvegarde de l'emploi » (PSE). Les licenciements économiques collectifs, sont juridiquement mieux encadrés (et les délais sont précisés). Ainsi, la conflictualité qui entoure les plans sociaux a considérablement chuté. Avant cette mesure, environ 30% des plans sociaux étaient contestés en justice... Maintenant ils ne sont plus que 8%.

La question des accords de maintien de l'emploi également sur la table

En revanche, le patronat souhaite que l'accès aux accords de « maintien de l'emploi » - des accords qui permettent dans les seules entreprises en difficulté de diminuer ou d'augmenter le temps et (ou) de baisser ou geler les rémunérations - soit considérablement facilité et, notamment, qu'il soit également applicable dans des entreprises souhaitant améliorer leur compétitivité... Ce qui conduirait à totalement contourner la législation actuelle sur la durée du travail.
François Rebsamen et Emmanuel Macron ont préféré botter en touche, déclarant qu'il conviendra, plus tard, de voir si d'éventuels ajustements législatifs sont nécessaires pour corriger certains effets de la loi sur l'emploi de 2013. Une position d'attente d'autant plus facile à adopter par les ministres que les organisations patronales et syndicales ont elle-même décidé de tenir plusieurs réunions thématiques pour tirer le bilan de la loi sur l'emploi. Elles ont à cette intention arrêté un calendrier qui les conduira jusqu'à la fin mai... Cela tombe bien pour le gouvernement.
En cette période très politique au sein de la majorité PS, il est décidément urgent d'attendre.