Retraites : après l'interview d'Emmanuel Macron, les syndicats désabusés

Par latribune.fr  |   |  1675  mots
« Il n'y a aucune réponse du président de la République », a rétorqué Philippe Martinez de la CGT. (Crédits : Pascal Rossignol/Reuters)
Les syndicats ont immédiatement réagi dans la foulée de l'intervention d'Emmanuel Macron, dans le contexte de l'adoption de la très contestée réforme des retraites. Si le président de la République a fait part de son intention de renouer le dialogue dans les semaines à venir, les représentants des salariés, eux, voient rouge.

[Article publié le 22 mars et mis à jour à 15h45]

Le dialogue de sourds se poursuit entre l'exécutif et les syndicats. A l'issue de l'entretien du chef de l'Etat aux micros de TF1 et de France 2, ce mercredi 22 mars, les représentants des salariés, toujours fermement opposés à la réforme des retraites, n'ont pas manqué de tancer Emmanuel Macron, à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation dans la rue.

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Les syndicats n'ont pas proposé de « compromis », accuse Emmanuel Macron

Le président Emmanuel Macron s'est dit prêt à « endosser l'impopularité » pour mettre en œuvre la réforme très contestée des retraites. « J'assume ce moment. Mon seul regret, c'est de ne pas avoir réussi à convaincre sur la nécessité de cette réforme », a-t-il déploré. Tout en admettant une part de responsabilité, le locataire de l'Elysée a aussi pointé celle des syndicats, qui n'ont pas proposé de « compromis », soulignant que le gouvernement l'a fait, en revanche, « avec le Parlement ».

« Moi, je ne cherche pas être réélu (...), mais entre les sondages de court terme et l'intérêt général du pays, je choisis l'intérêt général du pays », a défendu le chef de l'Etat qui a également pointé le fait que, pour les organisations syndicales, « le projet », « c'est le déficit ». « Qu'est-ce que c'est le déficit ?, a-t-il interrogé Ça veut dire, de fait, que vous choisissez de faire payer vos enfants parce que, aujourd'hui, vous refusez de décider avec clarté et courage ».

« Les syndicats, lorsqu'ils manifestent, sont légitimes. Je les respecte », a-t-il toutefois admis, soulignant l'organisation sans violence des journées de mobilisations interprofessionnelles.

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— TF1Info (@TF1Info) March 22, 2023

«C'est lunaire, cette interview »

« Il n'y a aucune réponse du président de la République », a rétorqué Philippe Martinez de la CGT, dans la foulée de l'intervention présidentielle.

« C'est lunaire, cette interview. C'est : tout va bien, je fais tout bien, il ne se passe rien dans la rue », a encore dénoncé Philippe Martinez devant des journalistes à Tours, en marge d'un congrès de la CFE-CGC. « C'est grave. Il n'y a aucune réponse » face à une « mobilisation que certains disent historique depuis une trentaine d'années », a poursuivi le patron de la CGT, plaidant pour que le mouvement de mobilisation « s'amplifie » face à un président « hors-sol » et qui « devient une caricature ».

« Il considère qu'il n'y a pas eu de propositions alternatives alors que la CGT, comme je suppose les autres organisations syndicales, ont fait des propositions alternatives », a-t-il également souligné. Enfin, Philippe Martinez a, en outre, jugé « proprement scandaleux » de « comparer la situation en France avec ce qui s'est passé aux Etats-Unis » suite à l'élection de Joe Biden et « l'envahissement du Capitole par des hordes d'Américains plutôt d'extrême droite ».

« C'est une provocation », a renchéri à ses côtés François Hommeril, le patron de la CFE-CGC, le syndicat des cadres, qui s'est dit globalement « très choqué » par l'interview du chef de l'Etat.

« Moi, j'en peux plus de ces leçons de responsabilité », a-t-il déclaré. Evoquant un « disque rayé », il a ajouté qu'Emmanuel Macron faisait « comme si rien ne s'était passé depuis deux mois, comme si la Terre s'était arrêtée de tourner ». « Il est parti sur la Lune, peut-être qu'il était avec Thomas Pesquet, je ne sais pas, quelque part dans la navette spatiale... », a-t-il grincé.

La CFDT accuse Emmanuel Macron de « refaire l'histoire »

De son côté, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a accusé mercredi le président de la République d'avoir menti sur la position de la CFDT sur les retraites, pour « masquer son incapacité à trouver une majorité pour voter sa réforme injuste ».

Emmanuel Macron a affirmé dans son interview que « le secrétaire général de la CFDT, pour qui (il) a estime et respect, était allé devant son congrès en proposant d'augmenter les durées. Il n'a pas été suivi (...) mais il avait cette volonté de faire travailler davantage ».

Interrogé par l'AFP, Laurent Berger a confirmé que son tweet visait notamment cette affirmation, selon laquelle il aurait proposé au congrès d'allonger la durée de cotisation. Lors du Congrès de Lyon, en juin 2022, la direction de la CFDT avait essuyé un camouflet en étant contrainte par un vote interne de durcir sa résolution générale. Les délégués avaient alors adopté un amendement affirmant que « l'allongement de l'espérance de vie ne peut justifier une augmentation de l'âge moyen de liquidation », prenant ainsi le contre-pied de la formulation initiale, qui affirmait que « l'allongement de l'espérance de vie peut justifier une augmentation de l'âge moyen de liquidation ».

Pour Laurent Berger, Emmanuel Macron a aussi menti « sur le fait qu'il n'y aurait de la responsabilité que dans un camp », « sur le fait qu'on n'a pas fait de contre-propositions ». « On a fait une contre-proposition, c'est le système universel des retraites ». « C'est grave de pointer une responsabilité d'une organisation syndicale à ce point. Et après dire "on va vouloir discuter avec les uns et les autres. Ca crée beaucoup de colère" », s'est-il insurgé.

Un nouveau dialogue mal engagé

Interrogé sur la volonté du président de réengager un dialogue avec les partenaires sociaux sur le travail, Laurent Berger a fustigé des « mots creux ». « Il y a un délai de décence. Il y a même de la décence dans la façon dont on s'adresse à ses interlocuteurs », a-t-il affirmé, dénonçant une intervention qui n'était pas faite « pour apaiser » mais « pour expliquer qu'on avait mal compris et que par ailleurs il était le seul camp de la responsabilité ».

Au cours de son intervention, Emmanuel Macron a, en effet, fait part de son intention de « réengager » le dialogue avec les partenaires sociaux sur les conditions de travail, pour entendre « ce besoin de justice » exprimé dans les manifestations.

Il a promis que la discussion concernerait notamment l'évolution des carrières ou la pénibilité, « se tiendrait dans les prochaines semaines » à partir d'une « méthode » définie dans les « trois semaines, un mois », et ne prendrait pas la forme de « grand-messes » mais de discussions « concrètes ». Au vu des déclarations des syndicats, le dialogue paraît mal engagé.

Emmanuel Macron a « conforté le mépris » des Français, pour Marine Le Pen

Du côté des hommes et femmes politiques, l'intervention du président a également suscité des critiques. À commencer par Marine Le Pen qui a estimé que le président avait « conforté le mépris » des Français.

La patronne des députés RN à l'Assemblée nationale a reproché au président d'avoir accordé cet entretien à 13H et d'avoir ainsi « défié symboliquement la France qui travaille (et) confortant ainsi le sentiment de mépris ». « Ce midi nous avons entendu des propos mécaniques et dilatoires, d'un homme apparemment de plus en plus seul, qui semble avoir perdu tout sens du réel, tout contact avec le monde extérieur y compris avec les siens », a-t-elle déploré lors d'une conférence de presse où elle a lancé une violente charge contre le chef de l'Etat. « Il dit qu'il respecte, mais il insulte. Tous les Français, tout le temps », a-t-elle ajouté, accusant notamment le président « d'anti-parlementarisme ».

Selon elle, Emmanuel Macron « n'a jamais pris aucun risque. Et contrairement à ce qu'il dit, il a toujours pensé à son confort personnel, au renforcement de son pouvoir personnel, et jamais à l'intérêt supérieur du peuple », a-t-elle dénoncé, réitérant son appel à la démission de la cheffe du gouvernement Elisabeth Borne.

Des solutions « pas à la hauteur de la crise politique et économique »

De son côté, le président des Républicains, Eric Ciotti, a estimé que les solutions proposées par Emmanuel Macron, ce mercredi, n'étaient « pas à la hauteur de la crise politique et économique que nous vivons ». « L'échec du gouvernement est en premier lieu celui du chef de l'Etat qui n'a pas su convaincre les Français de la nécessité d'une telle réforme », a ajouté dans un communiqué le député des Alpes-Maritimes. Selon lui « la seule vraie annonce de cette allocution est que le combat contre l'immigration de masse n'est plus une priorité pour le gouvernement », et « c'est une faute ». Le projet de loi sur l'immigration « est enterré alors que jamais la situation n'a été aussi grave », a ajouté Eric Ciotti, réagissant à l'annonce par le chef de l'Etat que ce texte controversé serait « découpé » en « textes plus courts » qui seront examinés « dans les prochaines semaines » par le parlement.

Le député du Lot, Aurélien Pradié, qui faisait partie des élus à avoir voté la motion de censure contre le gouvernement, a, lui, regretté qu'Emmanuel Macron « ne compren[ne] pas les fractures immenses de la nation ». « Son autosatisfaction est une provocation de plus » a ajouté l'élu, qui a averti: « Ne rien changer, attendre, bidouiller, c'est jouer avec le feu ».

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(Avec AFP)