Rétrospective 2016 (1) : François Fillon ou l'incroyable retour

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1288  mots
Revenu du diable vauvert, François Fillon sort vainqueur de la primaire de la droite avec plus de 66% des suffrages. Un phénomène rare en politique.
C'est l'illustration moderne de la fable de La Fontaine "Le lièvre et la tortue". Parti très tôt dans la bataille pour la primaire de la droite, François Fillon a lentement et rigoureusement tracé son sillon. longtemps malmené dans les sondages, semblant écarté, il a finalement gagné dans la dernière ligne droite, envoyant à la retraite Nicolas Sarkozy et Alain Juppé.

Le 27 novembre 2016, François Fillon sort vainqueur de la première primaire de la droite et du centre avec 66,5% des voix, battant Alain Juppé (33,5%). Le « troisième homme - voire le « quatrième » parfois- prend ainsi une incroyable revanche sur ceux qui le surnommaient « mister Nobody ». Il faut dire que tous les sondages, jusqu'à la fin octobre au moins, pariaient sur un duel entre Nicolas Sarkozy, l'ancien chef de l'Etat qui rêvait de le redevenir, et Alain Juppé, l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac qui pensait à 71 ans que son heure était enfin arrivée. Patatras ! Ces deux-là, tout à leur combat n'ont pas vu arriver le discret François Fillon.

Candidat à la primaire dès 2013

Pourtant, « l'homme de la Sarthe » a été le premier à annoncer sa candidature à la primaire de la droite, dès le 9 mai 2013. Et dès 2015, il déclarait « proposer un projet de rupture et de progrès avec l'ambition de faire de la France la première puissance européenne en dix ans ». De fait, François Fillon s'est discrètement mis au travail pour bâtir un programme, qualifié de très libéral. Dès le 25 juin 2014, ce programme était connu. Ce jour-là, l'ancien Premier ministre présentait ses mesures chocs dans le domaine économique et social : fin de la durée légale du travail ; passage aux 39 heures pour les fonctionnaires ; dégressivité des allocations chômage et nationalisation de l'assurance chômage ; suppression de l'ISF, réduction de la dépense publique de 100 milliards d'euros sur cinq ans, baisse du nombre des fonctionnaires, relèvement de deux points du taux de TVA, etc.

Sur la méthode aussi, François Fillon annonce la couleur, expliquant que s'il arrivait à l'Elysée il aurait déjà constitué à l'avance son gouvernement, "un commando de personnes qui savent exactement ce qu'elles doivent faire, et non des hommes et des femmes que l'on va chercher à la dernière minute et qui mettront six mois à découvrir la situation". Il se dit persuadé que les principales réformes doivent être engagées dans les "3 ou 4 premiers mois" du quinquennat et pour ce faire, il n'hésitera pas à recourir aux ordonnances.

Les entrepreneurs particulièrement choyés

Tout était déjà en place donc et durant deux ans, consciencieusement, François Fillon va dérouler ce programme, notamment économique cherchant à « bichonner » les entrepreneurs qu'il rencontre à diverses reprises. Ainsi, début février 2016 il présente au salon des Entrepreneurs ses mesures pour favoriser l'entrepreneuriat (plan de financement des PME, instauration d'une flat tax, etc.). En avril François Filon, cette fois, présente ses recettes pour faciliter et encourager le travail indépendant. Il se dit en effet persuadé qu'avec plus de 10% de la population active sans emploi aujourd'hui, il y a un énorme gisement d'opportunités via le travail indépendant. Son objectif étant de créer un million d'indépendants supplémentaires sur la durée d'un quinquennat. Et en septembre, une nouvelle fois, l'ancien Premier ministre précise le « cadrage financier » de son programme.

Sans parler du fait que François Fillon a multiplié les déplacements en régions, enchainant les réunions avec les socioprofessionnels. "Nous avons trouvé une grande écoute auprès de François Fillon et de son porte-parole Jérôme Chartier", aime raconter ce patron d'une fédération professionnelle adhérente de la CGPME.

Et, manifestement, ce travail de labour a payé. Même s'il a fallu du temps. Pendant des mois, François Fillon paraissait à la traîne, se faisant même parfois doubler dans les sondages par Bruno Le Maire... Si lui affirmait y croire - il a tout de même déclaré en janvier 2016 que s'il ne gagnait pas la primaire, il quitterait la vie politique - son entourage le plus proche semblait se décourager. Ainsi, au printemps dernier, interrogé par La Tribune, un ancien ministre très proche de François Fillon riait jaune devant l'absence de « percée » dans l'opinion du candidat : « surtout ne changeons pas une équipe qui perd ».

Fillon se lâche enfin ...

Le déclic est venu à la fin de l'été, quand François Fillon s'est enfin fait violence en lançant devant ses fidèles réunis dans la Sarthe : « qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ? »... Une allusion non voilée aux déboires judiciaires de son concurrent.... Nicolas Sarkozy. Lors de cette même réunion François Fillon a aussi affirmé que «l'élection présidentielle ne peut pas se réduire aux enjeux sécuritaires pour mieux oublier les 6 millions de chômeurs et les 2 000 milliards de dettes ». Là aussi, le message est clair, alors que depuis qu'il s'est lancé dans la campagne des primaires Nicolas Sarkozy en rajoute sur les questions identitaires et sécuritaires... personne n'a oublié à cet égard sa sortie sur les « frites » à la cantine. François Fillon, à l'inverse, cultive son image de sérieux, notamment lors des trois débats télévisés qui opposent les sept postulants à la primaire de la droite.

Certes, le député de Paris ne fait pas rêver avec son côté « Droopy », mais son côté professoral et son programme construit commencent à séduire face à un Nicolas Sarkozy qui rejoue un peu trop la campagne de 2012 et un Alain Juppé, trop prudent, qui préfère esquiver toutes les potentielles difficultés pour continuer de surfer sur les sondages.

... et élargit sa base électorale

Surtout, progressivement, François Fillon élargit sa base électorale. Il séduit aussi bien au centre qu'à la droite du parti « Les Républicains », notamment au sein du mouvement « Sens Commun » qui combat la loi Taubira sur le mariage pour tous. Un grand écart que ne parvient pas à réaliser Alain Juppé, soutenu ostensiblement par François Bayrou, président du MoDem, qui fait figure d'épouvantail au sein du parti « Les Républicains » (LR) depuis qu'il a voté pour François Hollande en 2012. Ainsi, Alain Juppé apparaît trop comme « l'homme du centre et des déçus de François Hollande ».  Quant à Nicolas Sarkozy, il sait que son salut passera par une faible participation à la primaire. Plus l'électorat se limitera au noyau dur de LR, quasi totalement acquis à l'ancien président, plus il aura ses chances. Mais, hélas pour lui, la participation au scrutin dépasse tous les pronostics avec plus de 4 millions de votants. Justement, beaucoup d'électeurs se sont déplacés pour faire barrage à Nicolas Sarkozy car, ils étaient peu nombreux à vouloir revivre en 2017 un remake de 2012... Et, surprise, ce n'est donc pas Alain Juppé qui a profité de ce mouvement mais François Fillon.

In fine, les attaques de Nicolas Sarkozy à l'encontre du maire de Bordeaux, accusé de vouloir pratiquer une « alternance molle », ont donc servi... François Fillon. Car lui a franchement annoncé la couleur avec son programme. Manifestement, le long et laborieux travail de terrain de l'ancien premier ministre a porté ses fruits, ainsi que ses nombreuses rencontres avec les socioprofessionnels... excellents relais du  « programme Fillon ». En dehors de quelques départements très ciblée (la Corse, et la région bordelaise notamment) François Fillon arrive en tête partout en métropole...

C'est  l'un des faits marquants de l'année politique. Même si François Fillon va devoir maintenant gérer son statut de « champion de la droite ». Un rôle pas évident. Ses premiers déboires à propos de ses propositions sur l'assurance maladie le prouvent.

Gageons que ce retour inattendu de François Fillon ainsi que le « plantage » des sondages seront étudiés de très près dans les instituts de sciences politiques.