"Il faut voter un 3e Grand emprunt" (Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement)

Par Michel Cabirol  |   |  2027  mots
"Le risque de sacrifier l'investissement au profit du fonctionnement, dans le budget de l'État et les budgets des collectivités territoriales, est réel", a expliqué le commissaire général à l'investissement Louis Schweitzer lors de son audition au Sénat
Les PIA ("Grand emprunt") 1 et 2 seront engagés en quasi-totalité à la mi-2017, a expliqué le commissaire général à l'investissement Louis Schweitzer lors de son audition au Sénat. D'où la nécessité de voter le PIA en 2016. En 2014, le CGI a financé 437 projets et près de 5 milliards d'euros ont été engagés.

Il faut un Plan d'investissements d'avenir 3 (PIA 3). Pour le commissaire général à l'investissement, Louis Schweitzer, cela ne fait pas de doute. "Je suis convaincu de la nécessité de la continuité de l'action de l'État en matière d'investissements d'avenir", a-t-il expliqué la semaine dernière au Sénat. Une déclaration qui fait suite à celle de François Hollande lors de son déplacement en Isère le 12 mars dernier"J'annonce ici qu'il y aura une troisième levée de Grand emprunt pour que nous puissions avoir cette capacité de poursuivre, au-delà de 2017, ce que nous avons déjà engagé depuis plusieurs années", avait indiqué le président de la République.

Lors de son audition au Sénat, Louis Schweitzer a donné des indications précises sur un calendrier de mise en oeuvre du PIA 3. "Au rythme où nous sommes, a-t-il précisé, les PIA 1 et 2 seront engagés en quasi-totalité à la mi-2017. Par ailleurs, il faut entre six et douze mois entre le vote du Parlement sur un PIA et l'engagement effectif des actions. Donc si l'on veut éviter une rupture entre l'action des PIA 1 et 2 et celle du PIA 3, il faut, en 2016, voter un PIA 3". D'autant que le commissaire général à l'investissement estime qu'en 2017 et 2018, la France se sera pas sortie de l'austérité budgétaire. "Le problème de départ, à savoir sauvegarder l'investissement d'avenir, ce qui crée le potentiel de croissance, sera aussi actuel qu'il l'était en 2009 ou en 2013", a-t-il assuré.

"Le risque de sacrifier l'investissement au profit du fonctionnement, dans le budget de l'État et les budgets des collectivités territoriales, est réel. Une certaine pérennité du PIA n'a donc pas que des inconvénients".

Une nouvelle doctrine d'investissements?

Le commissariat général à l'investissement pourrait revoir sa doctrine d'investissement. C'est qu'a estimé Louis Schweitzer : "dans le cadre du PIA 3, nous serons sans doute amenés à préciser la doctrine d'investissement - ce qui certes ne garantira rien, mais aura le mérite de la clarté quant à ce qui a - ou n'a pas - sa place dans le PIA. À ce stade, il s'agit d'une idée, pas d'une décision". Car pour lui, "il y a eu quelques fois des affectations de PIA qui ne correspondaient pas à l'esprit du PIA". Et d'expliquer qu'il "existe un risque réel que l'on impute sur les crédits du PIA, des investissements qui ne sont pas dans l'esprit du PIA. Il y a effectivement des exemples".

Quels investissements ne sont-ils pas dans l'esprit des PIA? "Certaines dotations initiales du PIA portent sur des investissements justifiés sur le fond mais auraient pu être financés par des crédits ordinaires du budget de l'État. Il y a, par exemple, des crédits d'avances remboursables à Airbus : il s'agit d'un mécanisme qui existe depuis longtemps, qui a fait la preuve de son efficacité, mais qui aurait très bien pu être imputé sur les crédits du budget de l'État". Autre exemple, les PIA ont porté des crédits de recherche civile et militaire du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui étaient auparavant des crédits du budget de l'État".

Sur les 47 milliards d'euros des crédits du PIA (2010 et 2013), environ 5 milliards d'euros, a-t-il précisé, relèvent de cette catégorie mais ont été confirmés par des votes au Parlement. En outre, il arrive que le commissariat général à l'investissement (CGI) subit des redéploiements, imputés en cours d'exécution, qui ne sont pas dans l'esprit du PIA. Ils s'élèvent à environ 2 milliards d'euros, notamment au bénéfice du ministère de la Défense. Ces redéploiements ont démarré dès 2011 dès la mise en place du PIA. "Quelles conclusions en tirer ? Bien sûr, lorsqu'un redéploiement est contraire à l'esprit du PIA, nous plaidons contre. Mais lorsque la décision est prise, nous ne pouvons que nous incliner", a regretté Louis Schweitzer.

Vers une évaluation complète des PIA 1 et 2

Pour le commissaire général, "avant de proposer un PIA 3, il faut bien sûr évaluer les PIA 1 et 2".  Mais, selon lui, l'évaluation complète des PIA 1 et 2 ne pourra pas se faire avant 2020 ou 2025. Pourquoi? "Ce n'est qu'à cet horizon qu'il sera possible d'estimer si notre système universitaire s'est regroupé comme on le souhaitait ou si la coopération entre la recherche universitaire et la recherche industrielle s'est développée", a-t-il expliqué.

Ce qui n'empêche pas toutefois le CGI de savoir si ce qu'il finance "sont de bons projets, si les institutions créées fonctionnent effectivement, si des projets communs entre la recherche universitaire et industrielle voient le jour ou encore si le soutien apporté à la transition énergétique produit des résultats. Il y a toute une série d'éléments que nous pouvons évaluer sans attendre : l'année 2015 et le début de l'année 2016 seront donc consacrés à une évaluation complète, en faisant bien sûr appel à des experts extérieurs, pour valider l'appréciation des PIA 1 et 2".

Enfin, le PIA 3 ne pèserait pas du tout sur l'exécution de l'année 2016 et peu sur celle de 2017 "car la montée en régime d'un PIA est très progressive. Le PIA n'a pas d'effet immédiat et significatif sur le déficit", a expliqué Louis Schweitzer. Car l'impact des PIA sur la dette publique correspond aux décaissements (10,5 milliards d'euros à fin 2014). En revanche, les dotations non consommables n'ont pas d'impact sur la dette pour leur montant. Seuls les intérêts versés chaque année au taux des obligations assimilables du Trésor ont un impact.

De nouvelles orientations?

Louis Schweitzer est clair à ce jour : "Rien n'a été décidé à ce stade". Le CGI prévoit de réunir un nouveau comité, qui partirait de zéro, et va donc engager une réflexion ce que pourrait être le PIA 3. En revanche, le rapport d'Alain Juppé et Michel Rocard, co-présidents du comité de surveillance, datant de 2009, il serait nécessaire de l'actualiser pour un PIA démarrant en 2017. "La science et les circonstances ont changé, des progrès ont été accomplis dans certains domaines et l'évaluation conduira certainement à des évolutions", a-t-il souligné.

Outre, la nécessité d'avoir une articulation avec le plan européen d'investissement baptis "plan Juncker", le CGI réfléchit à associer plus étroitement au PIA 3 les nouvelles régions, dont le rôle économique a été renforcé. "Le PIA n'a pas vocation à faire de l'aménagement du territoire, mais il ne saurait être question d'ignorer le rôle majeur des nouvelles régions", a convenu Louis Schweitzer. En outre, certains secteurs n'ont pas du tout été traités dans le cadre du PIA 1 et du PIA 2 à l'image des industries agroalimentaires, un des domaines d'excellence de la France. "Il faut réfléchir à une nouvelle répartition des crédits", a-t-il averti.

Par ailleurs, Louis Schweitzer s'interroge sur l'organisation de la recherche. "Devons-nous créer de nouvelles institutions, ou au contraire simplifier les mécanismes et institutions actuels qui interviennent dans la recherche ? Ma tentation naturelle est plutôt d'aller vers la simplification que vers la création de nouvelles institutions, mais là aussi il faut pousser la réflexion". Enfin, le CGI souhaite dans le cadre du PIA 3, essayer d'accroître la part des crédits qui ne pèsent pas sur le déficit maastrichtien, pour des raisons de contrainte budgétaire. "Je ne sais si nous y parviendrons entièrement, mais c'est notre volonté", a-t-il assuré.

Vers une articulation du plan Juncker et du PIA 3

Faut-il réfléchir aux modalités d'articulation entre le « plan Juncker » et le PIA ? "Oui, à l'évidence", a reconnu Louis Schweitzer. D'ailleurs, le gouvernement a désigné comme coordinateur français du "plan Juncker" le commissaire général adjoint, Thierry Francq. Autrement dit, le CGI a en charge la représentation pour la France des projets pour le plan Juncker, qui prévoit la création d'un Fonds européen pour les investissements stratégiques devant permettre la mobilisation d'au moins 315 milliards d'euros d'investissements supplémentaires au cours des trois prochaines années. "L'articulation entre ces deux programmes est bien assurée", a souligné le commissaire général à l'investissement, qui estime que le "plan Juncker" "partage le même esprit' que les PIA.

Pour autant, les deux mécanismes ont des différences de fond. "Le plan Juncker intervient notamment en matière de grandes infrastructures de transport, contrairement au PIA. En outre, il ne contient en principe aucune subvention et ne participe que s'il existe une perspective de retour financier. Le PIA, avec les dotations en faveur des universités et les subventions, intervient dans des domaines interdits au plan Juncker".

Pour le CGI, "le PIA n'interviendra pas là où nous pensons que le plan Juncker le fera. Mais si de bons projets venaient à ne pas obtenir de financement européen, il ne faudrait pas les sacrifier". Par ailleurs, le PIA pourrait s'avérer plus rapide ou plus efficace dans un certain nombre de cas. Ainsi, l'Union européenne exige notamment des projets d'un volume plus important que celui que le CGI demande. Dans ce cadre, les projets des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) devraient donc trouver plus facilement une réponse au niveau national.

33,6 milliards d'euros déjà engagés

Au 31 décembre 2014, 33,6 milliards d'euros, dont 28 milliards ont été contractualisés entre l'opérateur et le bénéficiaire du financement, ont été engagés sur un total de 47 milliards (35 milliards en 2010 pour le PIA 1 et 12 milliards en 2013 pour le PIA 2). "Ces sommes ont fait l'objet d'une promesse d'affectation à un objet et un destinataire particuliers", a précisé le patron du CGI. Par ailleurs, 10,4 milliards d'euros ont été décaissés. "Cette somme bien plus basse que celles annoncées précédemment s'explique à la fois par le fait que les dotations non consommables ne sont par nature pas décaissés et ne génèrent une dépense que s'agissant du versement des intérêts, et que les versements sont faits en fonction de l'avancement des projets", a expliqué Louis Schweitzer.

Plu précisément, l'année 2014 a connu une importante activité au CGI, contrairement à 2013 qui avait beaucoup plus calme : 437 projets nouveaux ont été financés en 2014 (contre 178 en 2013) et près de 5 milliards d'euros ont été engagés en 2014 (contre moins de 700 millions en 2013). En outre, 4 milliards d'euros ont été contractualisés en 2014, hors dotations non consommables (contre 2,4 milliards en 2013). Enfin, 4,3 milliards ont été décaissés en 2014 (contre 2 milliards en 2013).

Un formidable levier pour l'investissement privé

Les PIA sont un formidable levier et incite le privé à investir. Car il apparaît, selon le CGI, que "1 euro investi par l'État correspond environ à la même somme pour les autres investisseurs, sachant que certaines actions ne permettent pas le cofinancement, à l'instar de celles consacrées au développement du secteur universitaire". Les cofinancements ont représenté un montant de 25,8 milliards d'euros, dont 18 milliards venant du secteur privé. Soit autant que les 28 milliards d'euros qui ont été contractualisés par le CGI.

"Si l'on tient compte des contractualisations hors dotations non consommables (près de 13 milliards), ce qui correspond à environ 15 milliards d'euros, on constate que les fonds du secteur privé représentent plus de 50 % des investissements - avec des variations selon les secteurs".

Ce qui fait dire à Louis Schweitzer que "le PIA repose sur une bonne idée de départ et une procédure efficace qui n'ont rien perdu de leur force". Mais s'il considère que les procédures sont "souvent trop lentes et trop complexes. Nous nous efforçons de les simplifier et de réduire à moins de trois mois le délai entre le dépôt d'un projet et la contractualisation. Lorsque nous contractualisons avec des entreprises, un délai de dix, douze, quinze mois, pose des problèmes de trésorerie et, dans certains cas, l'innovation peut avoir perdu de sa nouveauté".