Taxe sur les dividendes : un ratage aux responsabilités plurielles selon l'IGF

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1048  mots
Gouvernement, administration, politiques...Tout le monde en prend pour son grade dans un rapport de l'Inspection générale des Finances, commandé par Bercy, sur le fiasco de l'annulation de la taxe de 3% sur les dividende d'un coût de 10 milliards d'euros pour la France. Pour l'IGF, c'est la façon dont sont élaborées les normes fiscales en France qui sont en cause. s
Un rapport de l'Inspection Générale des Finances (IGF), commandé par Bercy, souligne "la pluralité des responsabilités" (gouvernement, politiques, administratifs) dans le fiasco de l'annulation de la taxe à 3% sur les dividendes. Un dossier qui va coûter 10 milliards d'euros aux contribuables et aux entreprises...

« Plus jamais ça », semble dire en substance l'Inspection générale des Finances (IGF) dans son rapport remis ce 13 novembre au ministre de l'Économie sur le rocambolesque épisode de la contribution additionnelle de 3% au titre des montants distribués, dite « taxe à 3% sur les dividendes ».

Cette taxe de 3% sur les dividendes distribués, additionnelle à l'impôt sur les sociétés, avait été instaurée en 2012 peu après l'arrivée de François Hollande à la présidence pour réduire le déficit public. Elle avait déjà été partiellement invalidée par le Conseil Constitutionnel en 2016, puis totalement invalidée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en mai 2017 en raison de la rupture d'égalité entre sociétés. De fait, selon leur situation juridique, toutes les entreprises n'étaient pas soumises à cette taxe. Puis, enfin, en octobre dernier le Conseil Constitutionnel a déclaré cette taxe définitivement anticonstitutionnelle.

Mais avant cela, dès 2017, la plupart des entreprises en étaient exonérées et, une fois arrivé à Bercy, le nouveau ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, avait annoncé cet été qu'elle serait définitivement supprimée dans le projet de loi de finances 2018. C'est en effet le cas... restait donc à trouver environ 10 milliards d'euros, voire plus, à rembourser aux entreprises. Bruno Le Maire avait évoqué la possibilité de trouver une recette exceptionnelle pour le faire... Mais le président du Medef Pierre Gattaz a déjà prévenu: "On ne va tout de même pas remplacer cette taxe illégale de 3% par une nouvelle taxe."

Une taxe annulée... et partiellement remplacée

Finalement, pour éviter que ce coût ne pèse trop sur les finances publiques et permettre à la France de tenir ses engagements européens, le gouvernement a mis en place dans l'urgence une surtaxe sur les 320 plus grandes entreprises françaises qui doit compenser partiellement l'annulation de la taxe sur les dividendes, en rapportant environ 5 milliards d'euros à l'État.

Mais ce texte actuellement en discussion divise l'Assemblée nationale et le Sénat. Bref, un véritable pataquès. Aussi, Bercy a commandé l'IGF un rapport pour comprendre la genèse de ce véritable fiasco législatif et, surtout, pour en tirer, les leçons.

Dans son rapport, l'IGF attribue à des "responsabilités plurielles" l'annulation de la taxe sur les dividendes par le Conseil constitutionnel, regrettant notamment le manque de réactivité de la France après "l'alerte" donnée dès 2015 par Bruxelles.

En revanche, en 2012, l'IGF souligne qu'aucun signal d'alarme n'a été tiré, bien au contraire :

« Lors de la mise en place de la taxe, sa conformité avec la Constitution et sa compatibilité avec le droit européen ne sont pas mises en cause par l'administration et par le Conseil d'Etat. Après le vote du Parlement en décembre 2012, la loi de finances est déférée devant le Conseil constitutionnel. Les parlementaires auteurs de la saisine ne mettent pas explicitement en cause cette disposition ».

L'GF regrette l'inertie face aux différentes alertes

C'est en effet à compter de 2015 que la France aurait dû se méfier car des « signaux clairs d'incompatibilité avec le droit européen apparaissent », selon l'IGS :

 « - le 28 janvier 2015, la Cour de Justice de l'Union européenne est saisie d'une question préjudicielle sur la fairness tax instituée par la Belgique, qui présente des similitudes avec la taxe française ;

- le 26 février 2015, la Commission européenne met en demeure la France pour manquement à ses obligations, en particulier pour la possible incompatibilité de la taxe avec la directive mère-filiale, ainsi qu'avec les libertés d'établissement et de circulation des capitaux. Cette mise en demeure fait suite à une première procédure de la Commission, dite EU Pilot : dans une lettre du 6 septembre 2013, la Commission appelait déjà l'attention des autorités françaises sur le risque de non-conformité au droit européen de la taxe à 3 %.

Ces deux alertes montrent que la fragilité juridique de la taxe à 3 % sur les dividendes était bien identifiée et connue dès 2015. »

En outre, c'est en 2015 que les contentieux avec les entreprises se multiplient, il y a eu 626 réclamations cette année-là contre seulement 22 en 2014... autre signe. Rappelons qu'en 2015, Emmanuel Macron était ministre de l'Economie...

Tous responsables

"Les responsabilités sont plurielles, dans les sphères administratives, gouvernementales, parlementaires et chez les représentants d'intérêts", indique le rapport qui ajoute que "la construction trop rapide, dans l'entre-soi, instable de cette norme a conduit à un gâchis pour les entreprises et une impasse budgétaire massive et a rendu difficile la tenue des engagements politiques pris devant les Français et vis-à-vis de nos partenaires européens", ont regretté les auteurs du rapport.

Pour l'IGF, l'ouverture de "la procédure de mise en demeure par la Commission européenne constituait une alerte sérieuse". Adressée par le commissaire européen Pierre Moscovici... ex-ministre des Finances de François Hollande, elle montrait que le "risque" était "sérieux", même si la "mise en conformité" se révélait "techniquement délicate".

Les causes de ce scandale fiscal sont ainsi à rechercher "pour partie dans un concours de circonstances extraordinaires, pour partie dans la chronique ordinaire des défauts français d'élaboration de la norme, pour partie dans des défauts systémiques d'ordre politique ou institutionnel", indique encore le rapport.

Davantage associer tous les acteurs aux mesures fiscales

Aussi, pour que ce genre mésaventure ne se reproduise plus, l'IGF préconise deux séries de recommandations. D'abord, elle plaide pour un « renforcement de la sécurisation de la procédure de la loi fiscale ». Pour cela, il faudrait que toutes les parties prenantes soient davantage associées en amont : entreprises, contribuables, Conseil d'Etat, Commission européenne. Il faudrait aussi davantage de « transparence sur les risques de contentieux ». Ainsi, les alertes de la Commission européenne ou de la Cour de justice de l'Union européenne relatives aux dispositions fiscales les plus significatives devraient "faire l'objet d'une information des commissions des finances"  de l'Assemblée nationale et du Sénat.

En attendant, cette triste histoire va couter 5 milliards d'euros aux entreprises française et cinq autres milliards d'euros à l'Etat... donc aux contribuables.

(avec AFP)