Territoires : le gouvernement déclenche l'opération séduction

Par César Armand  |   |  1264  mots
Jacqueline Gourault est la nouvelle ministre de la Cohésion des territoires et - c'est nouveau - des Relations avec les Collectivités territoriales. (Crédits : Pascal Rossignol)
Au lendemain de la constitution d'un nouveau gouvernement comportant un super-ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, les associations d'élus sont prêtes à renouer le dialogue, mais attendent désormais, au-delà des annonces, des actes forts.

«Cela exige de l'écoute, du dialogue et de s'appuyer sur toutes les forces du progrès et de la réforme, les associations, les élus locaux dans tous nos territoires et en particulier nos maires. »

Mardi 16 octobre à 20 heures, le président de la République, Emmanuel Macron, a tendu la main aux collectivités locales. Alors que Laurent Wauquiez, le président des Républicains, le dit « hanté par une haine de province », le « provincial  monté à Paris à 16 ans », tel qu'il se définit lui-même, entend montrer qu'il parle avec tout le monde.

Jacqueline Gourault, ex-ministre officieusement chargée des territoires auprès de Gérard Collomb, devient superministre de la Cohésion des territoires et - c'est nouveau - des Relations avec les collectivités territoriales. Pour remplir sa mission, elle se voit adjoindre deux ministres : Julien Denormandie, ex-secrétaire d'État auprès de Jacques Mézard promu ministre de la Ville et du Logement, et Sébastien Lecornu, ex-secrétaire d'État à la Transition écologique et solidaire promu ministre des Collectivités territoriales.

« Nous avons à recoudre le tissu des collectivités territoriales », a estimé Jacqueline Gourault lors de la passation de pouvoirs. « Il faut une aiguille, un fil, et être deux pour rapprocher les morceaux de tissu. Il faudra donc que les associations d'élus entendent l'ouverture, le dialogue, que nous voulons reprendre ou poursuivre pour certaines d'entre elles. »

Enterrer la hache de guerre

Les élus locaux, à qui il est demandé 13 milliards d'euros d'économies sur l'ensemble du quinquennat, semblent prêts à enterrer la hache de guerre. « Heureux qu'il y ait une ministre des Territoires qui pourra être notre interlocuteur avec une femme d'expérience, a tweeté Hervé Morin, président de l'association Régions de France, mais ça ne doit pas être seulement un symbole. Nous attendons des actes sur l'association des territoires aux politiques qui les concernent ».

Entre le boycott  de la Conférence nationale des territoires en juillet dernier pour dénoncer la contractualisation de l'État qui contraint 322 communes, départements et régions, à limiter la hausse de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 %, et l'appel de Marseille du 26 septembre, signé par 1. 200 élus, pour davantage de décentralisation et moins de normes, le divorce est en effet consommé entre le gouvernement et les trois grandes associations d'élus. Ni l'Association des maires de France ni son président, François Baroin, n'ont d'ailleurs communiqué sur le remaniement.

Dès lundi, Dominique Bussereau, président de l'Association des départements de France (ADF), avait fait savoir publiquement qu'il n'entrerait pas au gouvernement, après avoir été approché par le Premier ministre. Le 16 octobre, refusant de répondre aux journalistes, il a posté le tweet suivant : « Enfin les collectivités territoriales ont des interlocuteurs désignés ! Il va leur falloir du courage pour combler le fossé qui s'est creusé entre l'État et le terrain. »

Absence du rural, retour de la ville

François Sauvadet, président du conseil départemental de la Côte-d'Or et du groupe majoritaire à l'ADF, confie « souhaiter un dialogue équilibré » dans les plus brefs délais :

« Cette situation de blocage n'est ni tenable ni souhaitable. On ne peut plus bâtir en jouant contre les collectivités. Qu'on travaille de manière constructive et qu'on ne nous donne pas des contraintes inatteignables... Mettons-nous d'accord sur les moyens et tenons compte des situations de chacun. Nous sommes prêts à avancer et à faire de la péréquation horizontale. Le président Macron a pris conscience du problème. C'est un premier pas. Maintenant, des actes !  »

Les autres associations d'élus, qui jouent la carte du dialogue depuis le début du quinquennat, louent les qualités du nouveau trio. « Je salue l'arrivée de Jacqueline Gourault. Sa capacité d'écoute, sa très bonne connaissance des collectivités territoriales (y compris les plus modestes) et la qualité de son implication dans les dossiers permettront un dialogue relancé et une relation apaisée », a ainsi tweeté Jean-Luc Moudenc, président de France Urbaine, l'association qui regroupe les présidents des grandes agglomérations et des métropoles.

Même discours ou presque du côté de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). « Le fait de réunir dans un même périmètre la cohésion des territoires et les relations avec les collectivités est plutôt une bonne chose, assure à La Tribune son président, Vanik Berberian. Même si les choses sont différentes, elles ont un lien. De même, ramener la direction générale des Collectivités locales [historiquement rattachée 
au Ministère de l'intérieur, ndlr] dans le giron de ce ministère est un progrès. » Le maire de Gargilesse (Indre) regrette toutefois que le mot « rural » soit absent des nouveaux intitulés ministériels, alors que le mot « ville » a fait son apparition dans celui du désormais ministre Julien Denormandie.

L'Association des communautés de France (AdCF) qui rassemble les intercommunalités, de la communauté de communes à la grande agglomération, est sur la même ligne. « Ce sont trois personnalités qu'on apprécie et dont on connaît les compétences, affirme-t-on à La Tribune. Ça manquait d'un interlocuteur lisible. Demain, ce ministère sera un contrepoids important face à Bercy, même si on y a de bons interlocuteurs comme Olivier Dussopt, secrétaire d'État à la Fonction publique. »

Un projet de loi sur la fiscalité locale au premier semestre 2019

Ce dernier a d'ailleurs annoncé le 19 septembre, lors de la Conférence des villes de France urbaine, la présentation d'un projet de loi sur la fiscalité locale au premier semestre 2019. Objectif : compenser la suppression de la taxe d'habitation, aujourd'hui remboursée à l'euro près par l'État dans les collectivités concernées, et revoir la dotation intercommunale de fonctionnement afin de donner davantage de prévisibilité aux territoires concernés.

C'est en effet aussi là-dessus qu'est attendu le nouveau gouvernement. D'une part, les métropoles veulent récupérer la part de la taxe foncière et la part de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, ex-taxe professionnelle) des départements, mais rien n'est encore tranché là-dessus. D'autre part, le bloc communal (communes, intercommunalités et donc métropoles) pourrait bénéficier de la taxe sur le foncier bâti, actuellement perçue par les conseils départementaux.

Sans attendre la présentation des grandes lignes de ce texte, ces derniers s'opposent frontalement à de tels transferts budgétaires. En Côte d'Or, François Sauvadet, qui prépare son budget 2019, a calculé que cette taxe lui rapportait 145 millions d'euros par an, soit 30 % de ses recettes. « Qu'est-ce que je fais ? J'arrête les 135 millions d'euros de dépenses pour le très haut débit ? », interroge-t-il.

L'ex-ministre de la Cohésion des Territoires Jacques Mézard, qui va redevenir sénateur du Cantal, n'entend pas non plus se taire sur ces sujets. « Le dialogue avec les élus et le respect des associations sont pour moi essentiels. Je reprends cette liberté que je n'ai jamais abandonnée. La loyauté, ce n'est pas le silence, mais le dialogue », a-t-il déclaré lors de la passation de pouvoir avec Jacqueline Gourault.

Et ce avant d'ajouter, comme une adresse au nouveau ministre de l'Intérieur Christophe Castaner et à son secrétaire d'État Laurent Nunez : « La première urgence, c'est la 
sécurité avec la nécessité de mesures urgentes et la réaffirmation du droit commun dans ces quartiers, après des décennies d'aveuglement collectif. »