"A Baltimore, les protestations traversent désormais toutes les communautés et les classes sociales"

Par Giulietta Gamberini  |   |  885  mots
Meredith Greif, maître de conférences en sociologie à la Johns Hopkins University de Baltimore.
Meredith Greif, maître de conférence en sociologie à la Johns Hopkins University de Baltimore, analyse pour La Tribune le vaste mouvement de mise en cause des violences policières qui secoue la ville américaine depuis quelques jours. Pour elle, un message clair a été envoyé aux autorités: le racisme doit désormais être adressé clairement.

La mort d'un Afro-américain des suites de violences policières est encore une fois le détonateur aux Etats-Unis d'un vaste mouvement de protestations. Depuis lundi 27 avril, jour des obsèques du jeune Freddie Gray, décédé après une arrestation musclée, la ville de Baltimore est secouée par des émeutes dans les quartiers les plus favorisés, auxquelles les autorités ont répondu par l'instauration d'un couvre-feu et le déploiement de la garde nationale. Meredith Greif, maître de conférence à la Johns Hopkins University, qui a son principal siège dans la ville, et spécialiste de sociologie urbaine ainsi que de relations ethniques, livre son point de vue.

La Tribune: Quelle est l'étendue réelle des protestations vue de Baltimore?

Meredith Greif:  "Non seulement le mouvement est très important, mais il va bien au-delà de ce qui est rapporté par les médias, lesquels se concentrent sur les violences et les émeutes. En réalité, il prend des formes très variées, souvent pacifiques, et traverse désormais quasiment toutes les communautés et classes sociales.

Les formes de protestation non-violente, qui ont précédé les émeutes, semblent même avoir été renforcées par ces dernières. Un nombre croissant de personnes a pris conscience d'à quel point le quotidien d'un Afro-américain peut être difficile aux Etats-Unis, à cause des arrestations quotidiennes, des agressions injustifiées, des mauvais traitements subis. Elles ont alors envie de manifester leur soutien dans la rue, tout en affirmant leur opposition aux violences."

Y a-t-il un véritable problème de racisme chez la police américaine?

"Oui, les experts s'accordent à affirmer qu'aux Etats-Unis les Afro-américains, notamment les hommes, font l'objet d'une attitude de suspicion et de harcèlement particulière de la part des forces de police comme des tribunaux. Le récent décès à Baltimore de Freddie Gray n'est malheureusement que l'énième affaire de ce genre.

Il ne faut pas oublier que les policiers sont juste des Américains comme les autres, et que dans ce pays les stéréotypes sont encore très présents, véhiculés entre autres par la télévision et le cinéma. Ces préjugés peuvent être très puissants, notamment dans les situations où il faut décider rapidement et sans beaucoup d'information.

Or, c'est justement le contexte dans lequel se retrouvent souvent à agir les policiers. Malheureusement, les aider à aller au-delà de ces stéréotypes ne semble toutefois pas faire partie des priorités des formations qui leur sont dispensées."

Pourquoi les protestations ont-elles été particulièrement vives ces derniers mois?

"Le développement technologique rend beaucoup plus facile que par le passé de documenter les mauvais traitements. La police est ainsi de plus de plus en souvent appelée à rendre des comptes. Pendant l'année dernière, des violences étaient ainsi rapportées presque tous les mois. Ce n'est qu'une moindre partie de ce qui se passe réellement."

Qu'est-ce qui a rendu la situation à Baltimore particulièrement explosive?

"La ville est marquée -y compris géographiquement- par d'importantes inégalités économiques et de pouvoir entre classes sociales. Certains quartiers très pauvres ont été complètement délaissés par les politiques de rénovation urbaine menées pendant les dernières décennies. Les populations qui les habitent ont le sentiment que toutes les ressources de la ville ne profitent qu'aux gens déjà aisés. Ils ne bénéficient pas des investissements réalisés dans le tourisme, alors que leurs écoles sont délaissées. Les emplois créés ne leur sont pas accessibles, pour des raisons de scolarisation insuffisante, voire de distance. Ils se sentent frustrés."

Quelles peuvent être les conséquences et les évolutions du mouvement dans l'avenir?

"Un fort message a désormais été envoyé aux autorités: les gens exigent de manière de plus en plus déterminée que la question du traitement de la population afro-américaine soit enfin et sérieusement adressée. Un nombre croissant de gens, y compris parmi les hommes et femmes politiques, considèrent qu'elle mérite de faire l'objet d'un débat publique au niveau national. Ils demandent des réponses précises sur ce qui sera fait et ne sont pas prêts à abandonner cette exigence.

S'il n'y avait pas de réaction, les protestations auraient des chances de reprendre: les politiques le savent et sont conscients qu'ils ne peuvent plus négliger ce sujet prenant de plus en plus de place dans le débat national. On ne peut pas encore connaître les réponses qui en suivront, mais il est clair désormais qu'un couvre-feu dans les rues ne suffira pas."

Le fait qu'à la tête du ministère de la Justice figure pour la première fois une Afro-américaine pourrait avoir un impact?

"Cette nomination vient sans doute souligner que la diversité est valorisée par ce gouvernement, ce qui laisse espérer l'adoption de politiques plus respectueuses. Mais dans la rue, les gens n'en seront convaincus que dès lorsqu'ils constateront un changement concret du traitement par la police et la justice."

Propos recueillis par Giulietta Gamberini.