Accord de Paris : le retrait des États-Unis est-il si dramatique ?

Par Dominique Pialot  |   |  1898  mots
Trump annonce que les Etats-Unis se retirent de l'Accord de Paris.
Comme attendu, le président américain a dénoncé jeudi 1er juin un accord mal négocié par Obama et nuisible aux emplois américains. Mais sa justification économique est mise à mal par la spectaculaire création d'emplois dans les énergies renouvelables et la mobilisation de nombreuses entreprises américaines en faveur de l'accord de Paris. Et on voit mal comment les États-Unis pourraient maintenant renégocier un nouvel accord qui leur serait plus favorable.

Aucun des ingrédients de la téléréalité n'aura manqué : les déclarations à l'emporte-pièce de Donald Trump pendant campagne, les multiples reports de la décision, le suspens pendant le G7, les faux espoirs liés à la diversité des opinions dans l'entourage du président... jusqu'à cette annonce faite dans les jardins de la Maison-Blanche avec une demi-heure de retard sur l'horaire annoncé. Sans doute une façon de préparer les opinions internationales et domestiques aux différents scénarios possibles, et une volonté de mettre la diplomatie climatique sens dessus dessous.

Opposant les citoyens de Pittsburgh à ceux de Paris, Donald Trump a donc décidé de tenir ses promesses de campagne faite à ses électeurs, quitte à se mettre au ban des nations et en opposition frontale avec de nombreuses parties prenantes  américaines. « Trump ne va satisfaire qu'un cercle restreint d'industriels auxquels il a fait une promesse de campagne idéologique, et sans doute permettre de sauver pour un temps quelques emplois dans les énergies fossiles, souligne David Levaï, chercheur à l'IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales). Mais cela contrevient aux attentes de nombreuses entreprises, États américains (y compris républicains) et collectivités. Et c'est contraire au sens de l'histoire. »

Ce sont en effet pas moins de 1000 entreprises, 30 PDG (dont ceux de Facebook, Google, Apple, mais aussi d'Exxon, ou encore Elon Musk qui a menacé en cas de sortie de quitter le conseil économique et l'initiative pour les emplois industriels dans lesquels il siégeait) ; les maires de 75 villes représentant 42 millions d'habitants, les gouverneurs de 12 États abritant 102 millions d'Américains...qui ont ces derniers jours publiquement appelé Trump à ne pas sortir de l'Accord de Paris.

Villes et états américains mobilisés contre la sortie de l'Accord

Dès les premières rumeurs d'annonce imminente survenues dans la journée du 31 mai, le gouverneur de Californie ou encore le maire de New York Bill de Blasio ont réaffirmé leur volonté de s'engager plus avant encore dans la lutte contre le changement climatique.

Un récent rapport intitulé « How US Cities will get the job done » évalue leur contribution d'ici à 2025 à un tiers de la baisse d'émissions de CO2 exigée des États-Unis par l'Accord de Paris. À l'instar d'Anne Hidalgo qui préside le réseau, les maires de villes membres du C40 (qui regroupe 91 des plus grandes villes du monde engagées contre le changement climatique) se sont exprimés sur la même ligne, notamment ceux de Vancouver, Milan, Sydney, Stockholm, Cape Town, mais aussi...Austin au Texas.

De façon assez ironique, le maire de Pittsburgh lui-même a twitté après l'annonce de Trump pour réaffirmer que sa ville tiendrait ses engagements conformément à l'Accord de Paris !

Même l'opinion publique américaine, qui pendant la campagne souhaitait à plus de 50% sortir de l'Accord, désire aujourd'hui y rester à 71%, et 57% parmi les sympathisants Républicains. Au sein même de l'administration Trump et parmi les membres du Congrès, la sortie est loin de faire l'unanimité.

Quant aux quelques industriels du charbon, toutes les largesses pourront difficilement rétablir la compétitivité de leur industrie face aux gaz de schiste et à des énergies renouvelables dont les coûts poursuivent leur baisse.

Le développement inexorable des énergies renouvelables

« Dans les énergies renouvelables, la dynamique est enclenchée, affirme Gérald Maradan, co-fondateur et PDG d'EcoAct, un cabinet qui accompagne les entreprises dans leurs stratégie bas carbone. Avec 770 000 emplois, elles pèsent dix fois plus que le secteur du charbon, et créent des jobs 17 fois plus rapidement que le reste de l'économie américaine. » C'est sans doute l'argument qui bat le plus directement en brèche la justification de Trump pour sortir de l'Accord.

« Beaucoup d'investissements ont déjà été lancés et l'État fédéral  n'a qu'un impact limité sur ces projets », renchérit David Levaï. Même le Clean Power Plan instauré par Obama et démantelé par Trump, présenté comme le fer de lance de la politique climatique américaine, n'était en réalité que le stimulus que pouvait avoir en 2015 le pouvoir fédéral pour impulser une reconversion du système énergétique. L'impulsion nécessaire a donc déjà eu lieu.»

« Certains états conservateurs comme le Texas et l'Iowa se trouvent dans une forme de schizophrénie entre leur volonté de s'opposer aux politiques climatiques, et les retombées économiques et en termes d'emplois dues aux énergies renouvelables », observe encore David Levaï.

Pour Andrew Light, du WRI (World Ressources Institute), ces mêmes entreprises vont néanmoins voir leur compétitivité  sur la scène internationale s'éroder, les investisseurs étant susceptibles de leur préférer des acteurs issus de pays plus allants sur le sujet.

Des investisseurs qui sont eux aussi de plus en plus conscients des risques climatiques et exigeants vis-à-vis des entreprises. Le vote des actionnaires à plus de 62% lors de l'Assemblée Générale d'Exxon le 31  mai pour exiger du pétrolier plus de transparence quant à sa politique climatique et l'impact d'un scénario 2°C sur ses activités, est à ce titre emblématique.

Beaucoup de bruit pour rien ?

Sur le plan climatique, avec environ 14% des émissions de la planète (29% pour la Chine), le poids des États-Unis ne cesse de diminuer, mais n'est pas anecdotique, et l'on ne peut pas dire que leur défection soit une bonne nouvelle pour la planète. Mais sans sortir de l'Accord, encore moins de la Convention-cadre sur le climat, sans même renégocier leurs ambitions (qui ne sont le fruit d'aucune négociation et ont été proposées de son propre chef par chaque État signataire), les États-Unis pouvaient se contenter de ne rien faire sinon abandonner comme ils l'ont déjà fait les mesures en faveur du climat instaurées par Obama. Car l'accord de Paris n'a rien de contraignant. En revanche, on voit mal comment les Etats-Unis pourraient renégocier un nouvel accord près s'être retirés.

Sur le plan politique, cette annonce tonitruante aura peut-être pour effet de rappeler cette faiblesse. « L'accord de Paris consiste essentiellement à créer une dynamique vertueuse et à se donner rendez-vous tous les cinq ans, avec une obligation de rendre compte », observe Gérald Maradan. De là à créer un précédent ou ouvrir une brèche, il y a un pas. « Il s'agit plus d'un effet d'annonce, poursuit-il. En réalité Trump était déjà sorti de l'Accord puisqu'il n'aurait jamais respecté les engagements pris par Obama, dont il a entrepris de démanteler le Clean Power Plan. »

« Si c'était Obama qui avait annoncé la sortie des États-Unis, cela aurait été différent, mais Trump est le président des États-Unis le plus détesté de l'histoire, rappelle Arnaud Gossement. Avocat spécialisé en droit de l'environnement, il hésite à peine à qualifier cette annonce de « non-événement ».

La sortie de l'Accord ne peut néanmoins pas être effective avant le 4 novembre 2020, soit quatre ans après la ratification, et...au lendemain de la prochaine élection présidentielle américaines. L'Accord lui-même, conçu pour prendre la suite du Protocole de Kyoto (dont les États-Unis étaient également sortis), n'entrera en vigueur qu'en 2020, grâce à la ratification par 145 pays représentant 83% des émissions, quand 55 pays représentant 55% des émissions mondiales auraient suffi.

Pour autant, en se retirant, les Etats-Unis refusent d'honorer quelque engagement que ce soit prévu dans le cadre de l'Accord, à commencer par leur contribution au Fonds vert et aux 100 milliards de dollars annuels promis aux pays les plus pauvres pour les aider à financer leur transition écologique et à s'adapter aux impacts du changement climatique.

Pas d'effet domino, mais des ripostes politiques

Cette décision risque-t-elle d'ouvrir une brèche ? David Levaï ne croit pas un instant à un effet domino. « D'abord, chaque pays a décidé de s'engager de façon souveraine. Les petits États d'Europe centrale n'ont aucun intérêt à se mettre au ban des nations, ce qui impliquerait en outre qu'ils sortent de l'Union européenne, rappelle-t-il. La Russie ou l'Arabie saoudite, qui manifestent peu d'allant, ont des objectifs peu ambitieux qui ne justifient pas non plus leur sortie. »

Géraud Guibert, fondateur de la fondation « La fabrique écologique », est plus réservé sur l'impact que pourrait avoir la décision, et sur les contrefeux à allumer. « Il est important de montrer l'isolement des États-Unis, mais aussi de prendre en compte cette décision dans le cadre d'autres négociations », souligne-t-il. Notamment en termes de politique commerciale (droits de douane, contingents d'importation) dans les secteurs les plus énergivores (acier  par exemple) afin de ne pas subir de concurrence déloyale d'entreprises américaines moins contraintes sur le plan environnemental.

Pour David Levaï, « Cette sortie de l'Accord est surtout un pied de nez à la communauté internationale, un signal dramatique signifiant que les États-Unis s'assoient sur toute idée de coopération telle qu'elle a prévalu dans l'Accord de Paris. »

Une opportunité pour l'Union européenne ?

Mais ce peut être aussi l'occasion pour l'Union européenne, naguère à la pointe du climat pour le climat avant de se faire discrète depuis la COP15 de Copenhague en 2009, de regagner une position clé. Certes, les dirigeants chinois (artisans de l'Accord de Paris en collaboration avec l'administration Obama) n'ont pas manqué une occasion depuis l'élection de Trump, de rappeler qu'ils étaient prêts à reprendre la flambeau. Ils sont d'ores et déjà, et de très loin, les champions des énergies renouvelables. « La Chine prendra la tête sur le plan technologique et en matière d'innovation,  admet David Levaï. Mais en matière diplomatique et politique, elle n'assumera pas seule le leadership. Celui-ci se fera de façon plus conjointe et distribuée que par le passé, autour de l'Union européenne, le Canada et la Chine. »

« C'est une opportunité qu'il faut saisir », renchérit Laurence Tubiana. A ses yeux, la décision de Trump constitue « une distraction inutile et une mauvaise nouvelle », mais aussi « un électrochoc à l'origine d'une forte mobilisation, dont il pourrait sortir de bonnes choses. » L'ancienne négociatrice de la COP 21 aux côtés de Laurent Fabius, se félicite de l'effet « boule de neige » sur lequel les négociateurs français avaient parié, en complétant l'accord onusien stricto sensu par trois autres piliers : des contributions nationales, dans une approche « bottom-up » plutôt que « top-down » ; un paquet financier et technologique pour soutenir les efforts des pays en développement qui s'engagent ; et l' « Agenda des solutions », pour impliquer tous les acteurs de la société civile.

Regain d'influence de l'ultra-droite américaine

Qualifiant de « compagnonnage étrange » la position des États unis aux côtés de la Russie et du Nicaragua, les trois seuls pays à n'avoir pas signé (ou dans le cas des États unis, à avoir dénoncé) l'accord de Paris, elle souligne que « le test du G20 (organisé par l'Allemagne début juillet à Hambourg) va être déterminant ». Le climat avait en effet été l'oublié du dernier G20. Face à la mobilisation des acteurs américains, Donald Trump, qui pensait avoir trouvé « une façon peu coûteuse de remplir ses promesses de campagne », pourrait se trouver dépassé par l'ampleur des réactions à laquelle il ne s'attendait peut-être pas.

*Un graphique de notre partenaire Statista