Economie mondiale : l'ONU préconise un nouveau plan Marshall

Par Grégoire Normand  |   |  1128  mots
La CNUCED préconise une politique de relance keynesienne en faisant des investissements publics dans les infrastructures par exemple.
Dans sa dernière publication, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement veut inciter les Etats développés à mettre fin aux mesures d'austérité budgétaire.

L'économie mondiale, qui peine à rebondir, a besoin d'un vaste plan d'investissements. Selon les auteurs d'un rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement, (CNUCED) publié ce jeudi 14 septembreil faut s'inspirer de "l'esprit de 1947", lorsque les principales institutions et économies mondiales se sont unies pour lancer le Plan Marshall.

Une lente reprise

En 2017, les experts de la CNUCED ont noté que l'économie mondiale s'est "redressée mais ne décolle pas". Elle devrait enregistrer un taux de croissance de 2,6 %, légèrement supérieur à celui de 2016, mais bien inférieur au taux moyen d'avant la crise financière, qui était de 3,2%. La situation s'est améliorée dans la plupart des régions mondiales. L'Amérique du Sud sort de la récession et enregistre la plus forte reprise depuis 2010, même si celle-ci n'est que de 1,2%. Du côté de la zone euro, les pays devraient connaître leur plus forte croissance depuis 2010 (1,8%) mais ils sont toujours à la traîne des Etats-Unis avec une croissance prévue de 2,1% par la CNUCED pour 2017.

Un plan Marshall

Pour sortir de cette lente reprise, l'institution internationale préconise de s'inspirer du programme élaboré après la Seconde guerre mondiale pour aider l'Europe à se reconstruire. "70 ans plus tard, un effort tout aussi ambitieux est nécessaire pour remédier à l'iniquité de l'hyper-mondialisation et rendre l'économie inclusive et durable".

L'agence énumère un catalogue de mesures destinées à alimenter ce plan comme la hausse des investissements publics avec une politique de grands travaux, un accent plus prononcé sur les activités de prestations de soins, et une hausse des recettes publiques, notamment de l'imposition des grandes fortunes.

"Si des mesures notables, durables et coordonnées ne sont prises pour raviver la demande mondiale en augmentant les salaires et les dépenses publiques, l'économie mondiale sera condamnée à enregistrer, au mieux, une croissance anémique. On ne peut rêver meilleur moment pour attirer l'investissement privé à l'aide de mesures budgétaires concertées visant à relancer la machine tout en contribuant à rééquilibrer l'économie et la société après trois décennies d'hypermondialisation qui les ont sérieusement déréglées."

Utiliser les excédents budgétaires

Pour financer ce vaste programme d'investissements, le document se focalise particulièrement sur les excédents budgétaires de quelques Etats. Le cas de l'Allemagne est souvent cité comme le pays ayant les excédents les plus élevés. Mais contrairement aux excédents chinois "qui, en temps de prospérité, ont favorisé la croissance dans divers autres pays en développement en les faisant participer à des chaînes de valeur orientées vers l'exportation de produits dans les pays les plus avancés," ceux de l'Allemagne sont loin d'avoir eu des retombées positives dans les pays en développement. De même que pour la zone euro, ces forts excédents provoquent des déséquilibres entre les pays membres.

"Les effets dommageables qui en ont résulté pour l'économie mondiale ont été aggravés par une tendance généralisée dans la zone euro, où les plans d'austérité ont tiré vers le haut les excédents courants de la région, exportant la déflation et le chômage dans le reste du monde."

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Pour tenter de relancer la demande mondiale, les experts indiquent que de longs investissements sont nécessaires dans les pays à faible revenu. Ils font ainsi référence au récent plan Marshall lancé par l'Allemagne pour financer des programmes en faveur de la jeunesse, de l'éducation, de la formation et du renforcement des économies.

Franz Josef  Radermacher, président du Sénat de l'économie, un des think-tanks allemands à l'origine de cette initiative, a expliqué à la Deutsche Welle que :

"Nous avons proposé un fonds  pour l'avenir de l'Afrique, qui devrait notamment être garanti par le gouvernement allemand. Les fonds pourront être levés sur les marchés de capitaux. Si nous les injectons de manière judicieuse dans le développement des infrastructures et dans le secteur industriel, nous aurons ainsi un double levier pour la croissance."

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Mais pour la CNUCED, ce plan de financement ne semble pas à la hauteur même s'il est "encourageant". L'organisation suggère de regarder plutôt du côté de la Chine qui a lancé un vaste projet mondial intitulé "La Ceinture et la Route". Il vise notamment à désenclaver les anciennes routes de la soie au niveau mondial. Interrogé par Sciences et Avenir, le géographe Michel Foucher ancien ambassadeur et directeur du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères (CAPS), a expliqué :

"Le premier souci de la Chine est d'intégrer à son marché intérieur ses provinces de l'Ouest (Xinjiang, Tibet, Yunnan) en les faisant bénéficier de débouchés commerciaux. Pour cela, le pays veut réduire les distances - et donc le temps - sur le continent eurasiatique en faisant circuler des trains entre le marché chinois et européen. La Chine est en effet en surcapacité de production dans beaucoup de domaines (acier, matériel ferroviaire etc.) et elle veut exporter ses biens industriels."

Si le projet est mis en oeuvre dans sa totalité, il drainera des investissements estimés à 900 milliards de dollars. Pour l'instant, le projet est loin d'être abouti et son rythme d'exécution "ainsi que ses répercussions dépendront de la manière dont la Chine gère ses propres déséquilibres et du mode de financement des investissements proposés dans les pays participants".

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Sortir de l'austérité dans les pays développés

L'autre proposition défendue par les économistes concerne la sortie de l'austérité dans les pays développés, qui serait le frein essentiel à une reprise robuste de l'activité. "Le principal obstacle à une forte reprise dans les pays avancés est l'austérité budgétaire, qui reste l'option macroéconomique par défaut. Selon les calculs de la CNUCED, 13 des 14 principaux pays avancés ont connu l'austérité entre 2011 et 2015." Sur ce point, la CNUCED rejoint le FMI, qui a plusieurs reprises, a souligné que l'austérité réduit plus fortement que prévu l'activité économique, et donc les rentrées fiscales, provoquant en fait un creusement du déficit.

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