Fuite d'une conversation secrète de l'armée allemande : la Russie accuse l'Occident de son « implication directe » en Ukraine

Par latribune.fr  |   |  1339  mots
Le chancelier allemand Olaf Scholz a promis une enquête « très approfondie » et « très rapide ». (Crédits : LIESA JOHANNSSEN)
Après la diffusion sur les réseaux sociaux d'une conversation secrète de l'armée allemande, Moscou dénonce « l'implication directe » en Ukraine des Occidentaux. Berlin dénonce l'ingérence russe.

Le feuilleton continue. Moscou a dénoncé ce lundi « l'implication directe » de l'Occident en Ukraine et convoqué l'ambassadeur allemand après la diffusion sur les réseaux sociaux, depuis la Russie, d'échanges entre des officiers allemands sur des livraisons d'armes à Kiev.

Pour revenir aux faits, l'enregistrement audio d'une visioconférence récente entre officiers allemands de haut rang a été diffusé vendredi dernier par la rédactrice en chef de la chaîne d'Etat russe RT, Margarita Simonyan. Cet audio, qui évoquait en particulier la possible livraison de missiles à l'Ukraine, a provoqué une crise entre les deux pays, et un choc à Berlin.

Dans cette conversation, les participants parlent notamment de l'hypothèse de fournir à Kiev des missiles de longue portée Taurus, de fabrication allemande et de ce qui serait nécessaire aux forces ukrainiennes pour les utiliser et de leur impact éventuel. Embarrassant pour le pays d'Outre-Rhin qui refuse officiellement de livrer des missiles Taurus à Kiev, en arguant d'un risque d'escalade du conflit. Des échanges, dont l'authenticité a bien été confirmée par l'Allemagne dès samedi.

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L'ambassadeur convoqué

Il n'en fallait pas moins pour que Moscou réagisse. Une affaire qui montre « une fois de plus l'implication directe de l'Occident collectif dans le conflit en Ukraine », a ainsi déclaré lundi à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

« L'enregistrement lui-même témoigne qu'au sein de la Bundeswehr (l'armée allemande, NDLR), on discute de manière détaillée et concrète de projets d'effectuer des frappes contre le territoire russe », a-t-il ensuite déploré.

L'ambassadeur d'Allemagne, Alexander Graf Lambsdorff, s'est rendu, lui, ce lundi matin au ministère russe des Affaires étrangères. L'ambassadeur a quitté le ministère sans faire de commentaires, après y avoir passé un peu plus d'une heure, selon les agences de presse russes. Berlin a néanmoins démenti que son ambassadeur ait été convoqué, un porte-parole de la diplomatie allemande affirmant qu'il avait ce rendez-vous « prévu de longue date au ministère russe des Affaires étrangères ».

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Détails sur les livraisons

Outre les missiles Taurus, les participants dans l'audio évoquent également l'hypothèse de frappes contre le pont de Crimée reliant la péninsule annexée par Moscou en 2014 et le territoire russe, l'un d'eux soulignant qu'il faudrait entre 10 et 20 missiles pour en venir à bout. Pour rappel, la péninsule de Crimée a été annexée en 2014 par Moscou.

Dans l'enregistrement, les participants évoquent aussi des détails sur les livraisons et l'emploi de missiles de longue portée Scalp fournis depuis l'an dernier par la France et la Grande-Bretagne à l'Ukraine.  Cette partie de l'écoute est l'une des plus gênantes pour Berlin car elle dévoile des secrets de pays alliés. Olaf Scholz a déjà récemment suscité l'irritation en Grande-Bretagne pour avoir affirmé que les Britanniques et les Français aidaient les soldats ukrainiens pour le maniement de ces missiles et la définition des cibles. D'autant que des différends flagrants ont pu être portés sur la forme d'aide à apporter à l'Ukraine face au rouleau compresseur russe entre la France et l'Allemagne.

Par ailleurs, l'affaire fragilise le chancelier Olaf Scholz, qui tentait depuis plusieurs semaines de s'afficher en fer de lance de l'augmentation des livraisons d'armes européennes à l'Ukraine, suite au blocage de l'aide américaine au Congrès. Berlin est le pays qui aujourd'hui apporte la deuxième aide à Kiev, après les Etats-Unis.

Enquête « très approfondie »

Le chancelier allemand Olaf Scholz a donc promis une enquête « très approfondie » et « très rapide » sur la publication de ces informations. « J'espère que nous pourrons apprendre d'une manière ou d'une autre (...) à quoi cette enquête a abouti », a commenté lundi, Dmitri Peskov.

« Il faut établir bien évidemment si la Bundeswehr le fait de sa propre initiative. Et alors la question est de savoir à quel point la Bundeswehr est contrôlable et à quel point Olaf Scholz contrôle tout cela, ou bien si cela fait partie d'une politique de l'Etat allemand », a-t-il indiqué. « Dans les deux cas, c'est très mauvais », a conclu le porte-parole du Kremlin.

La chaîne de télévision publique ARD parle de « catastrophe » pour les services secrets allemands, accusés de légèreté dans leurs mesures de sécurité. Selon le magazine Der Spiegel, la visioconférence a eu lieu via la plateforme publique WebEx et non un réseau interne ultra-sécurisé de la Luftwaffe (l'armée de l'air, NDLR). « Si cette histoire se vérifie, elle serait hautement problématique » a déclaré le président de la commission parlementaire allemande de contrôle des services secrets, Konstantin von Notz, aux journaux du groupe RND.

Et l'un des officiers se trouvait dans un hôtel de Singapour, dont la chambre pourrait avoir été piégée avec des micros, affirment certains médias. Le contre-espionnage militaire allemand devra déterminer si « la bonne plateforme a été choisie » pour la conversation, a reconnu Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense.

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Ingérence russe

Pour sa part, le ministre allemand de la Défense a accusé dimanche le président russe Vladimir Poutine de chercher à « déstabiliser » l'Allemagne avec l'espionnage d'échanges militaires confidentiels sur l'Ukraine. Cela « fait partie d'une guerre de l'information que Poutine mène », a-t-il affirmé, « il s'agit clairement de saper notre unité (...), de semer la division politique sur le plan intérieur et j'espère sincèrement que Poutine n'y parviendra pas ». D'autant que les ingérences russes à l'égard de l'Occident se sont particulièrement accrues depuis le début de la guerre.

De nombreux responsables à Berlin y voient, eux, une opération de Moscou pour peser dans le débat allemand sur les livraisons d'armes à l'Ukraine. Pour l'experte Défense du parti libéral FDP, membre de la coalition gouvernementale, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, l'intention de Moscou « est évidente » : « intimider » Olaf Scholz pour qu'il ne revienne pas sur son refus de livraison des Taurus, a-t-elle dit au groupe de presse Funke.

Ukraine : Macron affirme que tous ses mots sont « pesés » et « mesurés »

Emmanuel Macron a appelé lundi dernier les alliés de l'Ukraine à un « sursaut » pour assurer la « défaite » de la Russie, en procédant à des livraisons plus rapides et plus massives d'armes et munitions. Il a aussi brisé un tabou en n'excluant pas l'envoi de militaires occidentaux en Ukraine, tout en soulignant qu'il n'y avait pas de consensus sur le sujet.

« Il faut que Vladimir Poutine sache qu'il y a des risques pour lui aussi », souligne une source diplomatique française tout en précisant qu'il ne s'agissait « pas de participer aux combats avec l'Ukraine ».

Le président russe, réagissant à ces déclarations, a averti jeudi les Occidentaux d'une « menace réelle » de guerre nucléaire en cas d'escalade du conflit en Ukraine. « Ils doivent comprendre que nous aussi avons des armes capables d'atteindre des cibles sur leur territoire », a martelé Vladimir Poutine.

Nombre de pays européens, dont l'Allemagne, la Pologne, l'Italie et la République tchèque, de même que les Etats-Unis, ont de leur côté catégoriquement rejeté l'idée de l'envoi de troupes au sol.

Emmanuel Macron a affirmé jeudi dernier que chacun de ses mots sur l'Ukraine était « pesé » et « mesuré » après ses propos sur l'envoi potentiel de troupes au sol dans le pays, qui lui ont valu une fin de non-recevoir de ses principaux alliés et une riposte cinglante de Vladimir Poutine. « Ce sont des sujets suffisamment graves. Chacun des mots que je prononce sur cette matière est pesé, pensé et mesuré », a-t-il déclaré lors de l'inauguration du Village olympique des Jeux de Paris à Saint-Denis.

(Avec AFP)