Munitions pour l'Ukraine : pourquoi la France a des doutes sur l'initiative de la République tchèque

En dépit d'un a priori favorable pour l'initiative de la République tchèque pour mobiliser des munitions produites hors d'Europe en faveur de l'Ukraine, la France hésite encore à la soutenir financièrement. Le voyage à Prague d'Emmanuel Macron le 5 mars pourrait définitivement lever le voile.
Michel Cabirol
Les forces armées ukrainiennes sont actuellement confrontées à une grave pénurie de munitions, notamment d'obus de 155 mm, pour faire face aux offensives russes sur le front russo-ukrainien.
Les forces armées ukrainiennes sont actuellement confrontées à une grave pénurie de munitions, notamment d'obus de 155 mm, pour faire face aux offensives russes sur le front russo-ukrainien. (Crédits : VIACHESLAV RATYNSKYI)

La visite d'Emmanuel Macron en République tchèque le 5 mars va clarifier la position française sur l'initiative de Prague qui entend jouer les intermédiaires pour des pays européens qui souhaitent acquérir des obus produits hors d'Europe, puis les fournir à l'Ukraine. Car les forces armées ukrainiennes sont actuellement confrontées à une grave pénurie de munitions, notamment d'obus de 155 mm, pour faire face aux offensives russes sur le front russo-ukrainien. C'est pour cela que l'initiative tchèque, qui n'est pas nouvelle, rappelle-t-on à l'Élysée, se retrouve sur les feux de l'actualité. Une initiative d'urgence qui pourrait donner une bouffée d'oxygène aux troupes ukrainiennes à condition d'augmenter très vite de façon significative la production de munitions sur le sol européen.

La République tchèque aurait identifié « un demi-million de munitions de calibre 155 et 300.000 munitions de calibre 122 », qui pourraient être livrées à Kiev « en quelques semaines » si les financements nécessaires étaient rassemblés (soit environ 1,4 milliard d'euros), avait estimé le président tchèque Petr Pavel lors d'une table ronde à Munich le 17 février. « Je serai très prudent sur les chiffres, qu'il s'agisse de nombre de munitions ou d'argent, puisque ceux qui ont pu s'engager ces derniers mois sur ce sujet ont été rattrapés par la réalité », a rappelé lundi dernier Emmanuel Macron à l'issue de la conférence de soutien à l'Ukraine. L'Europe n'a finalement pu fournir que 30% sur le million d'obus promis à l'Ukraine, a révélé lundi le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Paris va-t-il contribuer ?

L'Élysée n'a pas souhaité révéler si la France allait contribuer financièrement à cette initiative de la République tchèque laissant le soin à Emmanuel Macron de faire mardi d'éventuelles annonces. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a pour sa part annoncé lundi dernier, que son pays contribuerait au plan tchèque à hauteur de « plus de 100 millions d'euros » et que « d'autres pays allaient suivre ». Selon le Premier ministre tchèque Petr Fiala, une quinzaine de pays seraient à ce stade prêts à participer à cette initiative. Cette proposition « jouit d'un grand soutien de la part de plusieurs pays », a-t-il affirmé lundi dernier.

En revanche, Mark Rutte s'est refusé à préciser quels pays en dehors de l'Europe pourraient être sollicités pour produire ces munitions. « C'est un secret », avait-il précisé. Pour autant, ces pays auraient déjà sollicité la Corée du sud, qui serait encline à aider l'OTAN en réponse au soutien de Pyongyang à Moscou, l'Inde, qui a été très longtemps un gros importateur d'armements russes, ou encore l'Afrique du sud.

Les doutes de Paris

Si la France n'est pas du tout hostile à cette initiative, elle veut toutefois s'assurer que ces munitions existent bien dans les quantités identifiées que ce soit en Corée du sud, en Inde ou en Afrique du Sud... Des quantités d'obus de 122 mm, essentiellement de conception soviétique, puis russe, ont été livrées ces dernières décennies à près d'une soixantaine de pays. Paris veut absolument lever les ambiguïtés dans les déclarations des uns et des autres qui pourraient jouer sur des notions complètement différentes : ont-ils vraiment des stocks disponibles qu'ils pourraient livrer immédiatement à l'Ukraine ou avancent-il seulement d'éventuelles capacités de production ? Très clairement, Paris exprime des doutes sur les chiffres avancés (800.000 obus). « Les chiffres ne sont pas nécessairement des chiffres immédiats, mais ils agglomèrent déjà aussi un certain nombre de choses de cette plateforme », explique-t-on d'ailleurs à l'Élysée.

D'où la prudence de la France. Stratégiquement, elle a toujours préféré privilégier les investissements en faveur de sa base industrielle et technologique de défense (BITD), en l'occurrence Nexter (production d'obus) et Eurenco (poudres notamment), les leaders de la filière munitions dans l'Hexagone, plutôt que de dépenser des crédits pour nourrir les outils de production de pays étrangers. Ainsi, la France devrait produire 4 à 5.000 obus par mois d'ici à la fin de l'année (contre 2.000 au début de la guerre), avait indiqué le ministre des Armées Sébastien Lecornu lors d'une audition devant l'Assemblée nationale. Un doublement de capacités mais qui reste encore trop peu à l'échelle de la guerre russo-ukrainienne.

« Dans les dix prochains jours, nous allons mettre tous ces efforts autour de la table car nous avons démarché beaucoup de pays européens et non-européens qui ont des munitions disponibles à très court terme. Il faut que ce soient des munitions qui soient disponibles dans les stocks », avait d'ailleurs expliqué lundi dernier Emmanuel Macron à l'issue de la conférence de soutien à l'Ukraine. La réalité de ces évaluations (800.000 obus) est désormais très proche.

Une initiative complémentaire

Très clairement pour Paris, cette initiative est complémentaire à ce que fait déjà ou prépare l'Union européenne pour soutenir l'Ukraine. Ainsi, la France veut absolument que les pays membres de l'Union européenne fassent la différence entre cette « initiative ad hoc » pour « répondre à des besoins urgents » et « des sujets européens (sur le plus long terme, ndlr) sur lesquels on cherche à renforcer la base industrielle de défense européenne », fait-on valoir à l'Élysée. Et de rappeler qu'Emmanuel Macron lors de ses discussions avec ses partenaires européens, « a toujours défendu la préférence européenne et la nécessité que les instruments européens financés par les Européens puissent s'adresser à l'industrie de défense européenne et puissent en particulier renforcer ce qu'on appelle la base industrielle et technologique de défense européenne ».

C'est d'ailleurs l'objet des discussions actuelles sur la facilité européenne de paix pour les futures acquisitions conjointes, sur le Programme européen d'investissements de défense, qui sera présenté cette semaine par la Commission européenne, et enfin, le programme EDIP, un programme européen d'investissement dans le domaine de la défense, qui permettra aux États membres de former des consortiums pour les futures capacités européennes de défense. Compte tenu du conflit russo-ukrainien, Emmanuel Macron a toujours défendu le concept d'en « profiter pour développer » les capacités de production de l'industrie de défense européenne.

Aussi, la France est très claire sur le financement de cette initiative. « Cette initiative à laquelle le président s'est montré ouvert et qu'il évoquera lors de sa visite à Prague, est une initiative extra-européenne, en tout cas hors des mécanismes financiers de l'Union européenne et hors des discussions que nous avons en ce moment sur la Facilité européenne de paix ou sur le futur programme présenté cette semaine par la Commission européenne sur la stratégie européenne de défense ou un nouveau programme industriel de défense », précise-t-on à la présidence de la République.

Partenariat stratégique entre Paris et Prague

Au-delà des dossiers ukrainien et nucléaire, la visite d'Emmanuel Macron sera également l'occasion de signer une nouvelle feuille de route pour le partenariat stratégique franco-tchèque lancé en 2008. Ce « document extrêmement complet », qui court sur une période de quatre ans, intègre « une dimension de dialogue stratégique, en particulier sur les questions militaires et le soutien à l'Ukraine, des questions de dialogue européen ». La présidence de la République veut pérenniser la dynamique de coopération européenne pour continuer à faire avancer l'agenda de souveraineté européenne.

D'une façon plus générale, le dialogue stratégique entre la République tchèque et la France est intense ces derniers mois. Le président tchèque Petr PAVEL a été reçu à Paris le 20 et le 21 décembre dernier par Emmanuel Macron. Le premier ministre tchèque Petr FIALA était présent à Paris lundi dernier pour la réunion sur l'Ukraine. Ce dialogue a commencé avec la succession des présidences française et tchèque en 2022 et qui se poursuit particulièrement sur le sujet du soutien à l'Ukraine. Au-delà de Prague, le président a manifesté une attention particulière à l'Europe centrale. Il a notamment reçu les Premiers ministres polonais, Donald Tusk, et bulgare, Nikolaï Denkov. Et il sera mardi en République tchèque pour des enjeux cruciaux aussi bien sur les questions de géopolitique que sur les coopérations bilatérales.

Michel Cabirol

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Commentaires 20
à écrit le 05/03/2024 à 9:25
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Mais on a un peu l'impression que les Ukrainiens tirent au 155 à tire-larigot, sans résultats probants, d'ailleurs. De l'hyperconsommation, en quelques sortes. Mais c'est un peu compliqué de sous-traiter la fabrication aux Chinois, comme d'hab'.

le 05/03/2024 à 10:03
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Sérieux ? on voit que vous n'avez pas cherché... Déjà tout dépend de la pièce et des types de munition... et de l'usure globale. Dans l'artillerie tout s'use très vite... et selon l'âge des pièces vous aurez plus ou moins besoin de saturer le ter...

à écrit le 04/03/2024 à 18:14
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Serait bien de savoir pourquoi l'UE n'a livré que 30% de ce qui était attendu.

le 04/03/2024 à 19:20
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Ce qui a été livré est une chose, difficilement vérifiable. L'important c'est la montée en cadence. L'UE est-elle déjà dans le rythme pour livrer 1 millions d'obus par an à Kiev? Kiev doit refaire des stocks. Quelle sera la cadence de production ...

à écrit le 04/03/2024 à 16:40
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Douter des tchèques partirait du principe ou nous sommes capable d'en produire !!! comme ce n'est pas le cas et qu'il n'y a plus de savoir faire et 'industries, ben cela montre au moins qu'alimenter la guerre devient presque l'enjeu, plus que les ra...

le 05/03/2024 à 9:06
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En attendant, les efforts concertés pour soutenir l’Ukraine existent eux bel et bien. Je ne sais pas quels sont vos sources d’information, mais dans les livraisons d’armes, d’équipements civils pour remplacer ceux détruits par la Russie ne cessent d’...

le 05/03/2024 à 9:29
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tous se qui vient d'une autre personne hormis m macron est une hérésie combien de temps encore il vous faut pour enregistrer meme ces premier ministre un idee contraire est remis a sa place deja trois en ont fait l'experience mais il est vrai peut...

le 05/03/2024 à 14:32
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m macron pense que lorsque l'ont insulte les chef d'etats des pays occidentaux ceci vont lui preter une attention que neni le petit jupiter reste seul meme dans son pays il est rejeté au simple niveau de faire valoir

à écrit le 04/03/2024 à 13:15
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D'un côté, on nous dit que les USA ne peulent plus payer à cause de Trump alors qu'ils ont d'énormes stocks d'armes et de munitions. D'un autre côté, on nous dit que l'Europe est riche mais que les stocks d'armes et de munitions sont au plus bas dans...

le 04/03/2024 à 16:02
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L'US Army avait un gros stock de munitions, parce que très grosse armée, notamment des milliers de chars ABRAMS et plus de 2 milliers de canons de 155 mm. Même si la France alignait CAESAr + TRF-1 + AuF1, les Etats-Unis disposeraient toujours de 10 f...

à écrit le 04/03/2024 à 10:05
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En clair, on ne sait rien...et c'est heureux parce que c'est la guerre. L'ennemi doit rester dans le brouillard. La seule chose certaine dans la politique geostrategique actuelle vise à l'affaiblissement de la Russie et de la Chine. Objectif à court ...

à écrit le 04/03/2024 à 9:48
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C'est marrant ces européens qui se/nous sacrifient toujours pour les autres...

le 04/03/2024 à 11:02
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En 40 ce sont les autres qui se sont sacrifiés pour nous.

à écrit le 04/03/2024 à 9:37
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En visite à Varsovie, Ursula von der Leyen a annoncé que la Commission européenne était prête à libérer les fonds de l’UE destinés à la Pologne : 137 milliards d’euros. Pierre Lellouche dans une émission diffusée le 3/3/2024 sous entend que cet arge...

le 04/03/2024 à 9:54
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Les dirigeants européens ont enfin compris que Trump va heureusement revenir et régler cette affaire d'Ukraine qui n'a que trop duré en coût pour l'UE et en vie pour les belligérants . L'Ukraine ne peut pas gagner et la Russie ne peut pas perdre donc...

à écrit le 04/03/2024 à 8:47
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C'est le ridicule de cette coalition bruxelloise que les médias souhaitent nous rapporter... Cela veut construire un "Etat fédéral" sur la division permanente afin que les peuples n'aient pas à se prononcer !

à écrit le 04/03/2024 à 8:45
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J'imagine assez bien des obus acheté à l'étranger non compatibles avec les canons livrés 🤣 Ce conflit tourne à la mascarade, avec le sentiment que les pays européens font trainer les livraisons en espérant que les russes l'emportent sur le terrain. ...

à écrit le 04/03/2024 à 6:44
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Bonjour, avant toute chose je reste surpris du peux de munitions livré a l'ukraine ( 30 % de se qui a etait promis). Soit les promesses des politiques avez aucune idée de nos capacités de production, ous ils y a un problème de production... Au 21...

le 04/03/2024 à 8:25
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Pendant 40 ans le budget des armées a été la variante des «  équilibres » budgétaires du pays .. réveillez vous!! Depuis la cohabitation de 1996 mais surtout les années Chirac on a démantelé des pans entiers de notre production industrielle militai...

le 04/03/2024 à 10:27
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Les capacités sont réduites mais elles n'augmentent pas assez vite. On a organisé la paix, pourquoi voulez vous en même temps faire des stocks au cas où voire avoir des lignes de production en réserve pour le jour où sait-on-jamais ? Vous construisez...

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