La visite d'Emmanuel Macron en République tchèque le 5 mars va clarifier la position française sur l'initiative de Prague qui entend jouer les intermédiaires pour des pays européens qui souhaitent acquérir des obus produits hors d'Europe, puis les fournir à l'Ukraine. Car les forces armées ukrainiennes sont actuellement confrontées à une grave pénurie de munitions, notamment d'obus de 155 mm, pour faire face aux offensives russes sur le front russo-ukrainien. C'est pour cela que l'initiative tchèque, qui n'est pas nouvelle, rappelle-t-on à l'Élysée, se retrouve sur les feux de l'actualité. Une initiative d'urgence qui pourrait donner une bouffée d'oxygène aux troupes ukrainiennes à condition d'augmenter très vite de façon significative la production de munitions sur le sol européen.
La République tchèque aurait identifié « un demi-million de munitions de calibre 155 et 300.000 munitions de calibre 122 », qui pourraient être livrées à Kiev « en quelques semaines » si les financements nécessaires étaient rassemblés (soit environ 1,4 milliard d'euros), avait estimé le président tchèque Petr Pavel lors d'une table ronde à Munich le 17 février. « Je serai très prudent sur les chiffres, qu'il s'agisse de nombre de munitions ou d'argent, puisque ceux qui ont pu s'engager ces derniers mois sur ce sujet ont été rattrapés par la réalité », a rappelé lundi dernier Emmanuel Macron à l'issue de la conférence de soutien à l'Ukraine. L'Europe n'a finalement pu fournir que 30% sur le million d'obus promis à l'Ukraine, a révélé lundi le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Paris va-t-il contribuer ?
L'Élysée n'a pas souhaité révéler si la France allait contribuer financièrement à cette initiative de la République tchèque laissant le soin à Emmanuel Macron de faire mardi d'éventuelles annonces. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a pour sa part annoncé lundi dernier, que son pays contribuerait au plan tchèque à hauteur de « plus de 100 millions d'euros » et que « d'autres pays allaient suivre ». Selon le Premier ministre tchèque Petr Fiala, une quinzaine de pays seraient à ce stade prêts à participer à cette initiative. Cette proposition « jouit d'un grand soutien de la part de plusieurs pays », a-t-il affirmé lundi dernier.
En revanche, Mark Rutte s'est refusé à préciser quels pays en dehors de l'Europe pourraient être sollicités pour produire ces munitions. « C'est un secret », avait-il précisé. Pour autant, ces pays auraient déjà sollicité la Corée du sud, qui serait encline à aider l'OTAN en réponse au soutien de Pyongyang à Moscou, l'Inde, qui a été très longtemps un gros importateur d'armements russes, ou encore l'Afrique du sud.
Les doutes de Paris
Si la France n'est pas du tout hostile à cette initiative, elle veut toutefois s'assurer que ces munitions existent bien dans les quantités identifiées que ce soit en Corée du sud, en Inde ou en Afrique du Sud... Des quantités d'obus de 122 mm, essentiellement de conception soviétique, puis russe, ont été livrées ces dernières décennies à près d'une soixantaine de pays. Paris veut absolument lever les ambiguïtés dans les déclarations des uns et des autres qui pourraient jouer sur des notions complètement différentes : ont-ils vraiment des stocks disponibles qu'ils pourraient livrer immédiatement à l'Ukraine ou avancent-il seulement d'éventuelles capacités de production ? Très clairement, Paris exprime des doutes sur les chiffres avancés (800.000 obus). « Les chiffres ne sont pas nécessairement des chiffres immédiats, mais ils agglomèrent déjà aussi un certain nombre de choses de cette plateforme », explique-t-on d'ailleurs à l'Élysée.
D'où la prudence de la France. Stratégiquement, elle a toujours préféré privilégier les investissements en faveur de sa base industrielle et technologique de défense (BITD), en l'occurrence Nexter (production d'obus) et Eurenco (poudres notamment), les leaders de la filière munitions dans l'Hexagone, plutôt que de dépenser des crédits pour nourrir les outils de production de pays étrangers. Ainsi, la France devrait produire 4 à 5.000 obus par mois d'ici à la fin de l'année (contre 2.000 au début de la guerre), avait indiqué le ministre des Armées Sébastien Lecornu lors d'une audition devant l'Assemblée nationale. Un doublement de capacités mais qui reste encore trop peu à l'échelle de la guerre russo-ukrainienne.
« Dans les dix prochains jours, nous allons mettre tous ces efforts autour de la table car nous avons démarché beaucoup de pays européens et non-européens qui ont des munitions disponibles à très court terme. Il faut que ce soient des munitions qui soient disponibles dans les stocks », avait d'ailleurs expliqué lundi dernier Emmanuel Macron à l'issue de la conférence de soutien à l'Ukraine. La réalité de ces évaluations (800.000 obus) est désormais très proche.
Une initiative complémentaire
Très clairement pour Paris, cette initiative est complémentaire à ce que fait déjà ou prépare l'Union européenne pour soutenir l'Ukraine. Ainsi, la France veut absolument que les pays membres de l'Union européenne fassent la différence entre cette « initiative ad hoc » pour « répondre à des besoins urgents » et « des sujets européens (sur le plus long terme, ndlr) sur lesquels on cherche à renforcer la base industrielle de défense européenne », fait-on valoir à l'Élysée. Et de rappeler qu'Emmanuel Macron lors de ses discussions avec ses partenaires européens, « a toujours défendu la préférence européenne et la nécessité que les instruments européens financés par les Européens puissent s'adresser à l'industrie de défense européenne et puissent en particulier renforcer ce qu'on appelle la base industrielle et technologique de défense européenne ».
C'est d'ailleurs l'objet des discussions actuelles sur la facilité européenne de paix pour les futures acquisitions conjointes, sur le Programme européen d'investissements de défense, qui sera présenté cette semaine par la Commission européenne, et enfin, le programme EDIP, un programme européen d'investissement dans le domaine de la défense, qui permettra aux États membres de former des consortiums pour les futures capacités européennes de défense. Compte tenu du conflit russo-ukrainien, Emmanuel Macron a toujours défendu le concept d'en « profiter pour développer » les capacités de production de l'industrie de défense européenne.
Aussi, la France est très claire sur le financement de cette initiative. « Cette initiative à laquelle le président s'est montré ouvert et qu'il évoquera lors de sa visite à Prague, est une initiative extra-européenne, en tout cas hors des mécanismes financiers de l'Union européenne et hors des discussions que nous avons en ce moment sur la Facilité européenne de paix ou sur le futur programme présenté cette semaine par la Commission européenne sur la stratégie européenne de défense ou un nouveau programme industriel de défense », précise-t-on à la présidence de la République.
Partenariat stratégique entre Paris et Prague
Au-delà des dossiers ukrainien et nucléaire, la visite d'Emmanuel Macron sera également l'occasion de signer une nouvelle feuille de route pour le partenariat stratégique franco-tchèque lancé en 2008. Ce « document extrêmement complet », qui court sur une période de quatre ans, intègre « une dimension de dialogue stratégique, en particulier sur les questions militaires et le soutien à l'Ukraine, des questions de dialogue européen ». La présidence de la République veut pérenniser la dynamique de coopération européenne pour continuer à faire avancer l'agenda de souveraineté européenne.
D'une façon plus générale, le dialogue stratégique entre la République tchèque et la France est intense ces derniers mois. Le président tchèque Petr PAVEL a été reçu à Paris le 20 et le 21 décembre dernier par Emmanuel Macron. Le premier ministre tchèque Petr FIALA était présent à Paris lundi dernier pour la réunion sur l'Ukraine. Ce dialogue a commencé avec la succession des présidences française et tchèque en 2022 et qui se poursuit particulièrement sur le sujet du soutien à l'Ukraine. Au-delà de Prague, le président a manifesté une attention particulière à l'Europe centrale. Il a notamment reçu les Premiers ministres polonais, Donald Tusk, et bulgare, Nikolaï Denkov. Et il sera mardi en République tchèque pour des enjeux cruciaux aussi bien sur les questions de géopolitique que sur les coopérations bilatérales.
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