La Fed dégaine sa cinquième hausse des taux de l'année pour juguler l'inflation (et ce n'est pas fini)

Par latribune.fr  |   |  1152  mots
Jerome Powell, président de la Fed. (Crédits : ELIZABETH FRANTZ)
Réuni depuis mardi, le comité de politique monétaire de la banque centrale américaine (Fed) a acté une nouvelle forte hausse de son taux directeur de 75 points de base pour lutter contre l'inflation très élevée aux Etats-Unis. D'autres hausses sont prévues d'ici à la fin de l'année pour revenir à une inflation de 2,8% en 2023. Certains économistes comme le prix Nobel Joseph Stiglitz questionnent déjà la pertinence d’un tel durcissement monétaire. Selon eux, la hausse des taux pourrait casser l’activité économique sans geler l’inflation.

Nouvelle hausse des taux aux Etats-Unis. Conformément aux attentes de la plupart des analystes, la Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé, ce mercredi, une nouvelle augmentation de son principal taux directeur de 75 points de base, qui s'élève désormais dans une fourchette de 3 à 3,25%. Il s'agit de  la cinquième hausse des taux de l'année. Une annonce qui, à chaud, a fait tousser les investisseurs. Wall Street a terminé en baisse  avec un recul du Dow Jones (-1,70%) du Nasdaq (-1,79%) et du S&P 500 (-1,71%).

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Depuis le discours du président de la Fed Jerome Powell à Jackson Hole (Wyoming) fin août, les investisseurs anticipent en effet un tour de vis monétaire plus rapide et prolongé que prévu initialement. Ce mercredi, la Fed a admis qu'elle « anticipait que des hausses supplémentaires seront nécessaires » et a dit s'attendre à « une croissance quasi nulle pour 2022 (+0,2%) contre 1,7% prévu en juin »

Les opérateurs privilégient désormais l'hypothèse d'un taux de la Fed à au moins 4,50% en fin d'année, une altitude que l'institution n'a plus connue depuis près de 15 ans. Selon Jerome Powell, la plupart des membres de la Réserve fédérale sont favorables à une hausse supplémentaire de 100 points de base d'ici à la fin de l'année. Pas question donc pour la Fed de lever la garde. Jerome Powell a mis en garde contre une baisse des taux précoce.

 « Avant de commencer à baisser les taux, nous voulons être très confiants dans le retour de l'inflation vers 2%. La Fed est fermement résolue à ramener l'inflation à 2% et le restera jusqu'à ce que le travail soit fait », a-t-il martelé. Et d'ajouter : « Nous devons réaligner l'offre et la demande. Et notre moyen pour le faire est de ralentir l'économie. »

Le président de la Fed ne table pas sur une récession. Il voit la croissance rebondir à 1,2% en 2023, un niveau inférieur aux dernières prévisions de juin (+1,7%). Les prévisions d'inflation, en revanche, restent proches de ce qui était attendu en juin : 5,4% en 2022 (contre 5,2%) pour l'inflation PCE, avant de fortement ralentir en 2023, à 2,8% (contre 2,6% précédemment)

Impact sur le chômage

En augmentant les taux, la Fed veut enrayer l'inflation qui, bien qu'elle ait ralenti en août grâce à la baisse des prix de l'essence, est restée à 8,3% sur un an, un niveau plus élevé que prévu. La Fed veut éviter de répéter le scénario des années 1980 quand les prix avaient bondi de 15%

Et ce malgré le risque de récession que font planer les conséquences d'une hausse des taux, non seulement aux Etats-Unis mais aussi sur l'économie mondiale. Ramener l'inflation à des niveaux plus acceptables aura nécessairement des conséquences sur le chômage et plus largement l'économie, a estimé mercredi Jerome Powell, lors d'une conférence de presse.

« Si nous voulons retrouver une période de marché du travail très solide nous devons laisser l'inflation derrière nous. J'aimerais qu'il existe un moyen indolore de le faire mais ce n'est pas le cas », a expliqué le président de la Fed.

Pour autant, la bonne tenue du marché du travail américain, avec un taux de chômage au plus bas depuis 50 ans (3,7%), donne de la marge à la Fed pour réussir l' « atterrissage en douceur » de la conjoncture économique.

Les taux d'intérêts des entreprises et de l'Etat au plus haut

L'agressivité de la politique monétaire de la banque centrale américaine se fait déjà sentir. Lundi, avant même cette nouvelle hausse des taux, les rendements des emprunts américains sont montés à leur niveau le plus élevé depuis onze ans. Les bons du Trésor américains à 10 ans ont atteint 3,51%, une première depuis avril 2011.

Ce coup de chaud du marché obligataire pèse déjà sur les conditions de financement des entreprises. Le taux moyen pour un crédit à 10 ans pour les sociétés américaines les mieux notées a bondi de quasiment un point depuis début août. Pour les entreprises les moins bien notées, le coût moyen du crédit frôle désormais les 9%, contre environ 4% il y a un an seulement. Le marché immobilier est aussi en première ligne, avec un taux moyen pour les crédits hypothécaires à 30 ans qui est passé, la semaine dernière, au-dessus de 6% pour la première fois depuis 2008.

Débat sur la nécessité de relever les taux

Pour autant, la politique monétaire menée par la plupart des banques centrales dans le monde pour lutter contre l'inflation ne fait pas consensus. « Cela me rappelle ce qui se passait avec les saignées », a affirmé le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz au cours d'un entretien à l'AFP, en référence à la pratique consistant dès l'Antiquité à faire saigner un malade pour le guérir.  « Lorsque l'on faisait une saignée à un patient, généralement il ne guérissait pas, sauf miracle. Alors on le saignait encore plus, et sa santé s'aggravait d'autant plus. Je crains que les banquiers centraux soient en train de faire la même chose en ce moment », a critiqué l'économiste.

« Est-ce que l'économie avait vraiment besoin de cela pour freiner ? », s'interroge de son côté Eric Dor, directeur des Études économiques à l'école de commerce IESEG. Selon lui, « l'inflation a créé elle-même la baisse de l'activité, les ménages perdent du pouvoir d'achat, l'augmentation des salaires est inférieure à l'inflation, et représente un frein à la consommation », particulièrement pour l'Europe où les hausses de taux risquent de fragiliser encore davantage l'économie.

« Est-ce que ça entraînera un peu de perte de croissance ? C'est possible », a d'ailleurs reconnu la semaine dernière la patronne de la Banque centrale européenne Christine Lagarde au cours d'une conférence à Paris. Mais pour elle, « c'est un risque que l'on doit prendre en l'ayant bien mesuré ».

Selon Joseph Stiglitz, la flambée inflationniste a moins pour origine un excès de demande que les hausses de prix énergétiques et alimentaires et les blocages persistants sur les chaînes d'approvisionnement. Des phénomènes contre lesquels les banquiers centraux ont un champ d'action beaucoup plus réduit. Ils « utilisent un remède issu d'un mauvais diagnostic », martèle l'économiste, avertissant qu'on pourrait voir aux Etats-Unis les prix des loyers continuer à flamber sous l'effet de la hausse des taux, et donc l'inflation persister. « Le risque est que sans avoir de réel impact sur l'inflation, cette politique aggrave le coût en termes d'activité et d'emploi », craint Eric Dor.

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