Pétrole russe : Le Maire veut arrêter les importations européennes mais la mesure pourrait prendre des mois

Par latribune.fr  |   |  1065  mots
Bruno Le Maire "espère" convaincre les Européens, "dans les semaines qui viennent, qu'il faut arrêter d'importer du pétrole de Russie", a-t-il souligné mardi. (Crédits : Reuters)
"Il est plus que jamais nécessaire" de cesser les importations européennes de pétrole russe, a répété mardi sur Europe 1 Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, qui "espère" convaincre les Européens "dans les semaines qui viennent" et ainsi arrêter de financer la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. Mais selon plusieurs sources européennes, un éventuel arrêt des importations d'or noir en provenance de Russie pourrait prendre "des mois". Depuis le début de la guerre en Ukraine fin février, le Kremlin a engrangé 27,3 milliards de dollars avec les achats de pétrole, gaz et charbon de l'UE, selon Velina Tchakarova, directrice de l'Institut autrichien pour l'Europe et la politique de sécurité (AIES).

La nouvelle offensive menée par l'armée hier depuis hier dans le Donbass va-t-elle faire infléchir les chancelleries occidentales au sujet d'un potentiel embargo sur le pétrole russe ? Alors que pour le moment, aucune mesure de restriction n'a été actée sur les importations européennes de l'or noir produit par Moscou, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire semble infléchir sa position. "Il est plus que jamais nécessaire" de cesser les importations européennes de pétrole russe, a répété mardi sur Europe 1 Bruno Le Maire.

"Nous avons toujours dit que nous voulions un embargo sur le charbon, c'est fait, et un embargo sur le pétrole russe", a fait valoir le ministre de l'Economie et des Finances. "Quand vous voyez ce qui se passe dans le Donbass (...) je suis convaincu que la réalité de la situation en Ukraine fera bouger les lignes. Si on est attachés comme nous à la liberté et à la protection du peuple ukrainien, il faut aller au bout de son raisonnement et ne pas financer la guerre" en achetant du pétrole à la Russie, a-t-il déclaré.

27 milliards de dollars d'hydrocarbures achetés par l'Europe à la Russie

Mais depuis le début de la guerre en Ukraine fin février, le Kremlin a engrangé 27,3 milliards de dollars avec les achats de pétrole, gaz et charbon de l'UE, selon Velina Tchakarova, directrice de l'Institut autrichien pour l'Europe et la politique de sécurité (AIES).

Bruno Le Maire "espère" convaincre les Européens, "dans les semaines qui viennent, qu'il faut arrêter d'importer du pétrole de Russie", a-t-il souligné mardi. "Arrêter l'importation de pétrole de Russie, c'est faire mal au financement de la guerre en Ukraine", a-t-il poursuivi. "Quelle est la première source de devises depuis plusieurs années pour le pouvoir de Vladimir Poutine? Ça n'est pas le gaz, c'est le pétrole", a assuré le ministre. Reste que l'Europe est toujours largement dépendante au pétrole russe.

Un calendrier différencié

Le chercheur, Francis Perrin, directeur de recherche à l'IRIS (Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat), rappelle les équilibres énergétiques entre ces deux puissances.

"L'Union européenne (UE) n'est pas une zone importante de production d'énergies fossiles. En 2020-2021, 45% de ses importations de gaz, 47% de celles de charbon, et de 25% à 30% de celles de pétrole venaient de Russie. C'est pourquoi les dirigeants européens ne sont pas désireux d'imposer un embargo à effet immédiat ou à très court terme sur ces importations car il n'y aurait pas de solution de remplacement", estimait-il dans les colonnes de La Tribune.

"D'où la décision prise par l'UE d'agir sur deux temporalités différentes. En un an, on va réduire significativement nos importations de gaz russe sans les supprimer, et sur cinq ans, le but est de se passer complètement du pétrole et du gaz russes.

Des mois pour couper les robinets

Un éventuel arrêt des importations d'or noir en provenance de Russie pourrait prendre "des mois", ont ainsi averti vendredi plusieurs sources européennes. "L'adoption de mesures sur le pétrole impose de déboucler les contrats existants, de trouver des alternatives et d'éviter leur contournement. Cela ne va pas se faire du jour au lendemain. Il faudra au moins plusieurs mois", a expliqué un responsable européen impliqué dans les discussions.

Les Occidentaux doivent faire un véritable choix politique face à la Russie qui ne sera pas sans conséquences d'autant plus que les stocks stratégiques pétroliers des pays de l'OCDE sont tombés à leur plus bas niveau depuis 2018. Ils représentent 91 jours de consommation.

L'UE a décidé le 8 avril de cesser ses achats de charbon à la Russie, un embargo qui entrera en vigueur début août, 120 jours après la publication du nouveau paquet de sanctions au journal officiel de l'UE.

La semaine dernière l'UE disait réfléchir plus sérieusement à des sanctions sur le pétrole russe. La présidente de la Commission européenne a ajouté qu'elle développait des "mécanismes intelligents" pour que le pétrole soit également inclus dans les nouvelles sanctions. "Poutine ne devrait pas pouvoir percevoir sur d'autres marchés des prix encore plus élevés pour des réserves qui seraient normalement destinées à l'UE", a déclaré Ursula von der Leyen. "La priorité est de réduire les revenus de Poutine", a-t-elle ajouté.

La Russie se tourne vers d'autres importateurs

Vladimir Poutine répond en indiquant réfléchir vers qui réorienter ses exportations. "On va partir du principe qu'à l'avenir les livraisons vers l'Ouest vont baisser », a déclaré la semaine dernière le président russe. Il faut donc "réorienter nos exportations vers les marchés au Sud et à l'Est qui croissent rapidement", a-t-il exposé jeudi 14 avril, lors d'une réunion gouvernementale consacrée au secteur de l'énergie dans le contexte des sanctions internationales.

« Des opportunités, des options et des occasions alternatives s'ouvrent à nous. En ce qui concerne le pétrole, le gaz et le charbon russe, nous allons pouvoir augmenter leur consommation sur le marché intérieur (...) et accroître la livraison de ressources énergétiques aux autres régions du monde qui en ont vraiment besoin », avait déjà déclaré la veille Vladimir Poutine.

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Le président russe considère que les discours européens "déstabilisent le marché et font monter les prix". Il se veut néanmoins confiant : "Cela crée bien entendu des difficultés pour nous, mais nous avons les ressources et les opportunités pour trouver rapidement des solutions alternatives", a-t-il affirmé. Mais pour plusieurs experts, à l'instar de Françis Perrin, "la Russie ne doit pas trop se faire d'illusion sur la possibilité de remplacer ses exportations vers l'Europe par la Chine et l'Inde", expliquait-il à La Tribune.

Le mois dernier, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estimait que les sanctions contre la Russie pourraient provoquer un « choc » de l'offre pétrolière mondiale. Or les pays de l'OCDE craignent une flambée des cours du brut, alors que l'inflation atteint déjà des niveaux inédits depuis des décennies.