Taïwan : premières représailles de Pékin et ses alliés, deux jours après la victoire des indépendantistes à la présidence

Par latribune.fr  |   |  1296  mots
Lai Ching-te, homme politique taiwanais pro-démocratie, a remporté l'élection présidentielle samedi dernier. (Crédits : Reuters)
Nauru, une île alliée de la Chine, a annoncé mettre fin à ses relations diplomatiques avec Taïwan et de ne reconnaître que la République populaire de Chine. Une décision qui intervient deux jours après la victoire des indépendantistes à l'élection présidentielle et qui émane directement de Pékin, selon les autorités taïwanaises.

L'étau chinois se resserre sur Taïwan. Alors que le candidat du Parti démocrate progressiste (DPP), défenseur de l'indépendance de l'île, Lai Ching-te, a remporté l'élection présidentielle samedi, Nauru, petite nation du Pacifique, a annoncé ce lundi la rupture de ses relations diplomatiques avec Taïwan et son intention de reconnaître la Chine.

Le président de ce micro-État insulaire, David Adeang, a fait part de ce choix dans un discours publié sur Facebook, affichant « la décision du gouvernement de Nauru de reconnaître la République populaire de Chine ». Dans un communiqué de presse, le gouvernement de cette nation insulaire a déclaré qu'il ne reconnaîtrait plus Taïwan « comme un pays distinct mais plutôt comme une partie inaliénable du territoire chinois ».

Nauru « rompra immédiatement ses relations diplomatiques » avec Taïwan et « ne développera plus de relations officielles ou d'échanges officiels avec Taïwan », a-t-il précisé.

En réponse, ce lundi lors d'une conférence de presse le ministre adjoint taïwanais des Affaires étrangères Tien Chung-kwang a déclaré que « la République de Chine (nom officiel de Taïwan, ndlr) va rompre immédiatement ses relations diplomatiques avec Nauru, afin de préserver notre dignité nationale ».

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Pékin accusé d'être derrière cette décision

Les autorités taïwanaises ont réagi en accusant la Chine d'avoir offert « des aides économiques » à l'île de Nauru pour l'inciter à basculer ses liens diplomatiques de Taipei vers Pékin. « La Chine a contacté activement des personnalités politiques à Nauru et a utilisé des aides économiques pour inciter le pays à changer de reconnaissance diplomatique », a affirmé le ministre adjoint des Affaires étrangères Tien Chung-kwang lors d'une conférence de presse.

« Alors que le monde entier félicite Taïwan pour la réussite des élections, Pékin a lancé une répression diplomatique, qui constitue une riposte aux valeurs démocratiques et un défi flagrant à la stabilité de l'ordre international », a déclaré Olivia Lin, porte-parole de la présidence taïwanaise.

Pékin a salué la décision de Nauru, qui était l'une des rares nations à reconnaître officiellement Taïwan sur un plan diplomatique. Nauru, qui compte environ 12.500 habitants, est le dernier pays du Pacifique à tourner le dos à une relation de longue date avec Taïwan. Avec ce revirement, il ne reste que 12 pays à reconnaître officiellement Taïwan au détriment de la Chine, qui revendique l'île démocratique autonome comme faisant partie de son territoire et a juré de la reprendre un jour, par la force si nécessaire. En 2019, les Îles Salomon avaient également annoncé qu'elles abandonnaient la reconnaissance diplomatique de Taïwan au profit de la Chine.

Un nouveau président qui ne plaît pas à la Chine

Si Pékin a fait pression auprès des autorités de Nauru comme l'affirme Taïwan, c'est parce que le résultat de la présidentielle ne lui a pas du tout plu.

Au terme d'une campagne marquée par une forte pression diplomatique et militaire de la Chine, le vice-président sortant Lai Ching-te, 64 ans, a remporté l'élection présidentielle à un tour avec 40,1% des voix. Il prendra ses fonctions le 20 mai, aux côtés de sa vice-présidente, Hsiao Bi-khim, ancienne représentante de Taipei à Washington. Issu du Parti démocrate progressiste (DPP) comme la présidente sortante Tsai Ing-wen - qui ne pouvait se représenter après deux mandats -, Lai Ching-te a promis de « protéger Taïwan des menaces et intimidations continuelles de la Chine ».

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Celui qui, par le passé, s'était défini comme « un artisan pragmatique de l'indépendance de Taïwan », a depuis adouci son discours: désormais, comme Tsai Ing-wen, il adopte une position plus nuancée, affirmant qu'un processus d'indépendance n'est pas nécessaire car l'île est indépendante de facto, avec son propre gouvernement et ses élections.

Mais il reste perçu par Pékin comme un promoteur d'« activités séparatistes liées à l'indépendance » et « un grave danger » pour les relations entre la Chine et Taïwan. La Chine avait donc appelé les Taïwanais à faire « le bon choix », mais ceux-ci ont préféré Lai Ching-te à son principal opposant Hou Yu-ih, du Kuomintang, qui prônait un rapprochement avec Pékin.

Montée des tensions

Résultat, dans la journée, le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a déclaré que l'élection à Taïwan ne changera jamais le fait que l'île fait partie de la « Chine unique ». Taïwan n'a « jamais été un pays et ne le sera jamais », a-t-il réagi. Avant de prévenir : les initiatives en faveur de l'indépendance de Taïwan seront « sévèrement punies ».

Dès samedi soir, le pays communiste, qui considère Taïwan comme l'une de ses provinces à réunifier par la force si nécessaire, avait assuré que ce vote « n'entravera(it) pas la tendance inévitable d'une réunification avec la Chine ». Et il avait promis de « s'oppos(er) fermement aux activités séparatistes visant à l'indépendance de Taïwan ainsi qu'à l'ingérence étrangère ».

« Le ministère des Affaires étrangères appelle les autorités de Pékin à respecter les résultats de l'élection, à faire face à la réalité et à renoncer à réprimer Taïwan », a répondu l'île dans un communiqué du ministère taïwanais.

Sujet central de la discorde entre Pékin et Washington

La question de Taïwan est aussi suivie de près par les Etats-Unis et l'Europe. C'est d'ailleurs l'un des sujets les plus explosifs de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis. Un conflit dans ce détroit serait désastreux pour l'économie mondiale: l'île fournit 70% des semi-conducteurs de la planète et plus de 50% des conteneurs transportés dans le monde y transitent.

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Dès dimanche, une délégation informelle composée de l'ancien conseiller à la Sécurité nationale Stephen Hadley, de l'ex-secrétaire d'Etat adjoint James Steinberg et de la présidente de l'Institut américain à Taïwan Laura Rosenberger, arrivera à Taïwan. Cette délégation rencontrera lundi « une série de personnalités politiques de premier plan et transmettra les félicitations du peuple américain à Taïwan pour le succès des élections », selon le communiqué de l'Institut. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a félicité Lai Ching-te ainsi que les Taïwanais pour leur « solide système démocratique ».

Mais « nous ne soutenons pas l'indépendance », a assuré de son côté le président Joe Biden. Les Etats-Unis ne reconnaissent pas Taïwan comme un Etat et considèrent la République populaire de Chine comme seul gouvernement légitime, mais apportent néanmoins à l'île une aide militaire importante.

« La Chine s'est toujours fermement opposée à toute forme d'échanges officiels entre les Etats-Unis et Taïwan, et a résolument rejeté toute interférence des Etats-Unis dans les affaires de Taïwan, de quelque manière que ce soit et sous quelque prétexte que ce soit », a déclaré en réponse à cette délégation américaine, une porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Mao Ning, lors d'une conférence de presse.

(Avec AFP)