Ukraine : les rumeurs d'invasion « imminente » s'amplifient sur fond de jeu de dupes entre Russie et OTAN

Par Jérôme Cristiani  |   |  1092  mots
Les premiers véhicules militaires allemands de renforcement du groupement tactique de présence avancée de l'OTAN arrivent à la base militaire de Rukla, en Lituanie, le 17 février 2022. (Crédits : Reuters)
En annonçant un début de retrait des troupes massées aux frontières de l'Ukraine, la Russie semblait vouloir éviter de froisser le chancelier allemand qui le demandait en préalable à sa visite. Mais selon le renseignement américain, Poutine serait au contraire en train de renforcer ses troupes en vue d'une invasion. La tension a atteint un pic ce matin quand des tirs d'artillerie ont été entendus jeudi près des zones sécessionnistes de l'est de l'Ukraine.

Alors qu'on apprend que le secrétaire d'État américain Anthony Blinken doit prendre la parole en urgence devant l'ONU cet après-midi sur la situation en Ukraine, les rumeurs d'invasion imminente par les troupes russes prennent de l'ampleur, donnant corps aux affirmations de la Maison-Blanche qui accuse depuis mercredi la Russie de ne pas avoir retiré de troupes à la frontière de l'Ukraine, comme elle l'avait annoncé avant la visite de Scholz mercredi qui en faisait un préalable à sa visite. Vladimir Poutine semble avoir fait exactement le contraire en ajoutant 7.000 militaires à la frontière selon le renseignement américain.

Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, confirme lui aussi que la Russie n'a pas retiré de troupes, qu'elle concentre toujours "autant de forces" autour de l'Ukraine.

Quant au président américain, Joe Biden a jugé jeudi "très élevé" et imminent le risque d'une attaque russe contre l'Ukraine, balayant les assurances de Moscou sur un retrait partiel de ses forces positionnées depuis des semaines à la frontière ukrainienne.

La Russie accuse l'Occident d'hystérie

La Russie, quant à elle, campe sur ses positions, assurant qu'elle n'a pas l'intention d'envahir l'Ukraine et accusant l'Occident d'hystérie.

En fin de matinée, cette impasse diplomatique se transformait sur le terrain en un pic de tension quand des tirs d'artillerie ont été entendus jeudi près des zones sécessionnistes de l'est de l'Ukraine, les forces gouvernementales ukrainiennes et les séparatistes pro-russes s'accusant mutuellement d'avoir enfreint le cessez-le-feu en vigueur dans le Donbass.

Dans un communiqué publié sur Facebook, l'armée ukrainienne a accusé les combattants séparatistes d'avoir visé "avec un cynisme particulier" la localité de Stanitsa Louganska, touchant notamment une école maternelle.

Blinken se rend en urgence au Conseil de sécurité des Nations Unie

L'urgence se lit aussi dans la modification de l'agenda du secrétaire d'État américain Antony Blinken qui, avant de se rendre à la 58e édition de la Conférence de Munich sur la sécurité (MSC), a modifié ses plans de voyage à la dernière minute ce jeudi pour prendre la parole lors d'une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies sur l'Ukraine, à la demande de l'ambassadrice américaine aux Nations unies, Linda Thomas-Greenfield.

"La preuve sur le terrain est que la Russie se dirige vers une invasion imminente. C'est un moment crucial", a déclaré à la presse Linda Thomas-Greenfield.

L'ambassadrice américaine explique que Blinken se rend aux Nations Unies « pour signaler notre engagement intense envers la diplomatie, pour offrir et souligner la voie vers la désescalade, et pour faire comprendre au monde que nous faisons tout - tout - nous pouvons pour empêcher une guerre ».

Depuis le siège de l'OTAN, à Bruxelles, Ben Wallace avertit la Russie

Ce jeudi aussi, depuis Bruxelles, au siège de l'OTAN où se tenait une réunion des ministres de la Défense de l'Alliance, le ministre britannique de la Défense Ben Wallace, a tonné :

"C'est une erreur stratégique que Poutine est potentiellement sur le point de faire s'il envahit. Et je pense qu'il est vraiment important qu'il comprenne que l'OTAN est totalement unie sur ce point", a-t-il déclaré.

De fait, l'OTAN mobilise ses forces pour être prête à répondre aux actions de la Russie et dit "prendre très au sérieux" les menaces qui pèsent sur l'Ukraine avec le renforcement des troupes russes à ses frontières.

Ben Wallace a participé à une réunion du "Quad" avec le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin et ses homologues française Florence Parly et allemande Christine Lambrecht pour "un point sur la situation" en Ukraine. Ils ont ensuite retrouvé leur homologue ukrainien Oleksiï Reznikov pour une séance plénière.

La Russie a réaffirmé jeudi poursuivre son retrait militaire entamé mercredi avec un train militaire chargé d'équipements quittant la Crimée, cette péninsule ukrainienne annexée par Moscou. Le retrait concernerait également des unités de blindés.

« Nous allons juger la Russie sur ses actions »

Mais Ben Wallace reste sceptique et a prévenu:

« Nous allons juger la Russie sur ses actions », a déclaré le ministre britannique. « Pour le moment, l'augmentation des troupes continue (...) Nous avons vu une augmentation des troupes au cours des dernières 48 heures, jusqu'à 7.000. Nous avons vu un pont construit depuis le Bélarus, vers l'Ukraine ou près de l'Ukraine », a-t-il précisé.

Il précisait sa pensée par un avertissement :

« En 2014, lorsque la Russie a envahi illégalement l'Ukraine et la Crimée, elle s'est retrouvée avec plus de troupes de l'Alliance à ses frontières, plus de dépenses de défense dans tout l'OTAN. C'est ce qui va se passer », a-t-il averti.

"Nous sommes tout à fait sérieux dans la manière dont nous allons faire face à la menace qui pèse actuellement sur l'Ukraine et, potentiellement, sur notre sécurité. C'est la raison pour laquelle nous sommes venus ici, pour nous assurer que nous sommes tous en phase", a-t-il expliqué.

"Ce n'est pas une plaisanterie, une affaire à prendre légère. C'est un véritable défi pour la stabilité de l'Europe", a-t-il insisté, expliquant qu'il avait prévu d'ajouter un millier de soldats stationnés au Royaume-Uni qu'il pouvait déployer à tout moment "si la Russie envahit l'Ukraine", sans oublier un doublement des forces en Estonie.

Le parlement russe met de l'huile sur le feu

Ajoutant à la friction, le Parlement russe a tenté cette semaine de reconnaître les séparatistes des régions ukrainiennes de Donetsk et Louhansk, qui se sont séparés en 2014 et se sont proclamés indépendants, déclenchant le conflit.

Le président russe Vladimir Poutine n'a pas encore approuvé la demande de mardi du parlement russe et a refusé de dire comment il réagirait.

Le Conseil de sécurité de l'ONU, instance réduite à l'impuissance

L'ambassadeur ukrainien Sergiy Kyslytsya a demandé aux membres du Conseil de sécurité de discuter de la question jeudi, affirmant que cela sapait les accords de Minsk et "aggravait encore les menaces à l'intégrité territoriale de l'Ukraine".

Le Conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni des dizaines de fois pour discuter de la crise ukrainienne depuis que la Russie a annexé la région ukrainienne de Crimée en 2014. Il ne peut rien faire car la Russie est une puissance de veto avec la France, la Grande-Bretagne, la Chine et les États-Unis.

(avec AFP et Reuters)