Pour ou contre : faut-il passer à la semaine de quatre jours ? (Mélanie Tisserand-Berger face à François Asselin)

Par Paul Marion  |   |  1313  mots
Mélanie Tisserand-Berger face à François Asselin. (Crédits : Reuters)
Hier inenvisageable, l'idée de travailler quatre jours au lieu de cinq fait son chemin en entreprise. Certains patrons l'expérimentent déjà, quand d'autres se montrent plus réservés. Faut-il passer à la semaine de quatre jours ? C'est le débat de la semaine entre Mélanie Tisserand-Berger, présidente du Centre des jeunes dirigeants (CJD), et François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).

Après le télétravail, la semaine de quatre jours ? La révolution enclenchée par la crise sanitaire n'a pas fini de produire ses effets sur l'organisation du travail. Alors que les expériences se multiplient en Europedeux tiers des Français se déclarent aujourd'hui favorables à la semaine de quatre jours. Sans perte de salaire évidemment. Cela signifierait travailler autant d'heures en quatre jours qu'en cinq, pour profiter d'une journée libre supplémentaire.

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Contraintes par les pénuries de main d'œuvre, les entreprises cherchent à coller à ces aspirations nouvelles pour recruter. En France, plusieurs entreprises comme LDLC, Elmy, Welcome to the Jungle, Alu Sud ou encore Accenture offrent déjà à leurs employés la possibilité d'une semaine resserrée sur quatre jours. A la demande du ministre des Comptes publics Gabriel Attal, l'expérience est également en cours dans la fonction publique, en Picardie.

Ce format plaît d'abord aux salariés, lesquels reconnaissent de plus en plus à privilégier les loisirs au travail. Reste à voir s'il est compatible avec les obligations de résultat des entreprises : servir les clients de manière rentable.

Alors, faut-il généraliser la semaine de quatre jours ?

Les pénuries de main-d'œuvre que vivent de nombreux secteurs d'activité, les débats actuels sur la place du travail et les évolutions issues de la crise sanitaire nous rappellent à quel point nous devons innover en termes d'organisation du travail. Les dirigeants d'entreprises - pour la plupart petites et moyennes - font ce constat chaque jour.

C'est dans ce cadre que nos membres expérimentent déjà la semaine de quatre jours, dans différents secteurs - tertiaire, restauration, industrie... Ils en constatent, dans leur immense majorité, des bénéfices nombreux : regain de motivation des équipes, baisse des arrêts maladie, hausse mesurable de la qualité de vie au travail, fidélisation des équipes, facilité de recrutement...

Contrairement à l'une des craintes les plus courantes, nos adhérents dirigeants d'entreprise ne constatent pas de baisse de la performance mais à l'inverse, un engagement renforcé des salariés, une qualité du travail qui s'améliore, et à l'arrivée une entreprise plus attractive. S'il n'est pas une réponse magique aux tensions actuelles, ce changement de rythme de travail participe d'une plus juste répartition du temps de vie entre moments pour soi et ses proches, engagement dans des projets d'utilité publique, développement des compétences...

Parce qu'il n'y a pas qu'une seule façon de créer de la valeur ! Si certains grands groupes ont franchi le pas, la France n'est pas en avance : des expérimentations à grande échelle sont menées en Espagne (dans 200 entreprises !), en Islande, en Suède et tout récemment au Royaume Uni, où 86% des entreprises engagées dans cet essai vont garder ce rythme à son issue.

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Ce dispositif va supposer l'ajustement de certaines conventions collectives qui encadrent l'activité salariée. Là, l'État doit aider, en sécurisant un cadre incitatif pour que cette innovation se développe, sans s'imposer. Ce cadre devra être souple, car la semaine de quatre jours ne s'appliquera pas de la même manière dans le secteur de la restauration, de l'industrie ou du bâtiment.

Ainsi pensé à l'échelle de l'entreprise, ce changement de rythme devient un vrai sujet de dialogue social fertile, pour engager tous les salariés, dirigeant inclus, dans une réflexion collective sur l'organisation de l'activité. Bien conçue, elle permet de créer du commun dans l'entreprise.

Enfin, la semaine de quatre jours aide à répondre à deux défis de taille, à la fois sociaux et climatiques. D'un côté, le lien entre nos modes de production et le dépassement des limites planétaires est largement démontré, de l'autre la création de valeur reste trop mal répartie. Avec une réorganisation de l'activité, nous pouvons mieux partager le travail parmi la population active et mettre en avant la sobriété : favoriser les activités bas carbone sur le temps libre, réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports, baisser notre facture énergétique.

Travailler mieux pour produire mieux, c'est à cet effort que participe le passage à la semaine de quatre jours. Sa mise en place doit être soutenue à l'échelle de l'entreprise, partout où elle est pertinente !

La question de l'organisation du temps de travail est, et doit rester, avant tout une question d'organisation de l'activité de l'entreprise. A partir du moment où nous connaissons les bornes à l'intérieur desquelles s'organise le temps de travail - que ce soit à travers le droit du travail et le droit conventionnel de branche - , il faut laisser à l'entreprise le soin de s'organiser suivant sa propre activité.

Ainsi pour certaines entreprises, organiser le travail sur quatre jours peut s'avérer judicieux, dans le cadre de grands déplacements par exemple, et pour d'autres pas du tout adapté. Aussi, au sein d'une même entreprise, certains employés peuvent être concernés par la semaine de quatre jours et d'autres, non. C'est donc au chef d'entreprise à l'appui des représentants du personnel d'organiser l'activité de l'entreprise, sachant que l'intérêt collectif prime sur l'intérêt individuel.

Une entreprise doit répondre à deux obligations de résultat. Une, vis-à-vis de ses clients qui consiste à les servir, une évidence à rappeler, et une autre vis-à-vis d'elle-même qui est de servir ses clients tout en étant profitable. Cette deuxième évidence permet d'assurer la pérennité de l'entreprise. Pour répondre à ces deux obligations de résultat, l'employeur doit s'attacher à obtenir l'adhésion du plus grand nombre et c'est là, parfois, que peuvent apparaître les difficultés. L'attrait de pouvoir organiser soi-même son temps de travail est très fort. On peut toujours trouver de bonnes raisons d'expliquer que sa propre organisation est compatible avec celle de l'entreprise.

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Pour le chef d'entreprise, il est évident que son point de vue ne peut se détacher des obligations de résultats décrites ci-avant. La productivité ainsi que la qualité du service rendu au client seront ce qui le guidera dans sa vision d'organisation du temps de travail. Changer cette hiérarchie, c'est accepter de voir évoluer le corps social de l'entreprise vers une somme d'individus aux aspirations différentes. Le début d'une équipe « d'indépendants »... Le piège peut tout autant se refermer sur l'employeur que sur les salariés.

En trente ans de direction d'une PME, j'ai pu constater combien le temps réservé aux loisirs avait grignoté le temps consacré au travail. Attention, dans les entreprises, les Français, et je le constate tous les jours dans ma propre entreprise, sont courageux et aiment leur travail. Mais depuis 1999, une vraie rupture est apparue avec la mise en place progressive des 35 heures. Certes, beaucoup travaillent plus que 35 heures. Mais depuis sont aussi apparus les RTT pour certains, le télétravail pour d'autres. On a aussi régulièrement élargi le champ des jours chômés, le dernier en date étant le congé parental passant de 11 jours à 28 jours. Il y a dans l'air du temps le compte épargne-temps universel.

Nous mettons beaucoup d'énergie à sortir les salariés de leur travail ou de l'entreprise, notamment par le télétravail. Or, du travail dépend la création de la richesse. Il suffit de regarder une fiche de paie pour constater tout ce qu'elle finance. Un grand pays est un pays de travailleurs. Je sens qu'en disant cela je rame à contre-courant, et pourtant...