Pour ou contre : faut-il encore construire des logements neufs ? (Robin Rivaton face à Sophie Jeantet)

Les professionnels de l'immobilier ont rendez-vous au salon MIPIM à Cannes jusqu'à vendredi. Sommés de répondre au manque de logements dans les métropoles en construisant davantage, le BTP doit en même temps se plier à l'objectif de « zéro artificialisation nette » et à la nécessité de contenir l'urbanisation. Faut-il encore construire des logements neufs ? C'est le débat de la semaine entre Robin Rivaton, directeur général de Stonal, essayiste, et Sophie Jeantet, architecte-urbaniste, co-auteure de « La ville stationnaire, comment mettre fin à l’étalement urbain ».
Robin Rivaton face à Sophie Jeantet.
Robin Rivaton face à Sophie Jeantet. (Crédits : DR)

Trouver un logement abordable relève du casse-tête pour des millions de ménages. Les Français déboursent pour leur loyer ou leur prêt immobilier plus que dans n'importe quelle autre dépense contrainte, quand ils ont la chance d'accéder à un logement décent. 4,1 millions de personnes demeurent mal-logées en France d'après les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, à mettre en lien avec 2,2 millions de demandes de logement social en attente et 200.000 hébergements d'urgence chaque nuit.

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L'indéniable crise du logement est-elle pour autant une crise de la construction ? Le cabinet Asterès établit dans une étude récente que France ne subit qu'une « pénurie modérée » de l'ordre de 14.000 logements manquants par an, qui masque de grands déséquilibres entre les régions. L'Île-de-France connaît un déficit de 64.000 logements, là où la Nouvelle-Aquitaine affiche 30.000 logements en surplus.

Au-delà du problème social qu'elle représente, la question se pose désormais en termes environnementaux. Le gouvernement cherche à endiguer l'artificialisation et l'urbanisation à outrance avec sa promesse de « zéro artificialisation nette » en 2050. Un objectif national, très général, qui occasionne déjà une multitude de frictions au niveau local.

Alors, faut-il encore construire des logements neufs ?

POUR Rivaton

500 000 logements construits par an ? En vérité, ce chiffre n'est d'aucune valeur, surtout que trop souvent on s'arrête aux chiffre des autorisations de construction qui est supérieur à celui des mises en chantier, lui-même supérieur à celui des logements achevés, le tout sans prise en compte des logements détruits, de plus en plus nombreux dans le cadre des opérations de recyclage urbain. Personne ne construit pour le plaisir de construire. On construit pour augmenter le parc de logements disponibles.

En France, il y a 37,2 millions de logements. Cette analyse strictement quantitative est pauvre. Un logement neuf parfaitement isolé ne vaut pas un logement ancien passoire énergétique. Néanmoins, elle est la seule dont nous disposons. Ces logements sont soit occupés, soit vacants, soit interdits à la location. Les logements occupés se répartissent entre résidence principale et résidence secondaire ou occasionnelle. La France compte 3,3 millions de ces dernières. Elles progressent de 50 000 unités par an en dépit de la hausse continue de la fiscalité. Depuis 30 ans, la baisse du nombre de logements vacants est souvent présentée par les pouvoirs publics comme un remède miracle. 2,8 millions de logements sont vacants dont 1,5 million liés à des phases de mise en location ou mise en vente. Restent 1,3 million de logements vides depuis au moins deux ans.

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Si la vacance est en forte augmentation, elle est d'abord la preuve d'une inadéquation géographique entre l'offre et la demande. Les trois-quarts des logements vacants se situent d'ailleurs en zones détendues. Leur nombre augmente de près de 90 000 par an. Les logements ayant des étiquettes énergie-climat G, F et E, seront interdits à la location respectivement en 2025, 2028 et 2034. Même dans un hypothèse où seule la moitié des propriétaires se conformeraient à l'interdiction - rappelons qu'il existe en France près de 450 000 logements considérés comme indignes et dont une partie est malgré tout louée -, les sorties annuelles de logements du parc devraient dépasser 50 000 par an. En résumé, le stock de logements à occuper baisserait de 180 000 unités par an.

Ces logements doivent permettre de loger une population de 67,8 millions d'habitants, 300 000 touristes venant dans des meublés touristiques soit 109 millions de nuitées et 650 000 personnes sans papiers. Cette population dynamique s'accroît sous l'effet de l'excédent naturel, naissances moins décès, soit +56 000 personnes en 2022, et des migrations internationales soit 140 000 immigrants arrivant en France de plus que de personnes quittant le territoire.

Arrive le dernier élément de cette longue équation, le nombre de personnes par logement. Il est poussé à la baisse par les modes de vie, notamment l'augmentation des divorces y compris chez les ménages âgés et le recul de l'âge de la mise en couple. Il est trop souvent vu comme une variable alors qu'il est la conséquence de l'ensemble. Si on ne construit pas assez de logements, les gens font tout pour ne pas se retrouver à la rue et c'est l'entassement qui prévaut.

CONTRE Jeantet

Pourquoi construit-on encore des logements neufs ? Certes, la population française est en légère croissance - de l'ordre de 0,3% par an. Mais, pour un habitant supplémentaire, nous mettons... deux logements en chantier (350 000 par an en moyenne sur la période 2016-2021, pour une évolution démographique annuelle de 165 000 personnes). Bien sûr, il y a le phénomène de décohabitation, les recompositions sociales et le vieillissement de la population qui réduisent la taille moyenne des ménages - de 3,1 personnes par foyer dans les années 1960 à 2,2 aujourd'hui.

Si le parc augmente de 350 000 logements par an, cela correspond en réalité à 250 000 résidences principales, 50 000 résidences secondaires ou de tourisme et presque 50 000 vacants. L'existant n'est pas toujours en adéquation avec les besoins (ou les envies), du fait de son état, sa forme, sa localisation... et des zones se vident tandis que d'autres subissent les affres de l'attractivité territoriale : décohabitation et métropolisation sont les deux mamelles du BTP ! Le seul parc vacant - 8% des logements - pourrait, en théorie, couvrir 40 ans de croissance démographique au rythme actuel.

Or, la « fabrique » de la ville, à base d'infrastructures et de bâtiments neufs, est insoutenable. Les aires urbaines s'étalent sur les terres agricoles et le secteur de la construction est le principal utilisateur de ciment et d'acier, poids lourds climatiques avec environ 7% des émissions mondiales de CO2 chacun.

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On peut - et il faut - se tourner massivement vers les biomatériaux : paille, chanvre, lin, ... La construction en structure bois a fait des progrès spectaculaires ces dernières années mais on ne généralisera pas les logements en bois ; les volumes nécessaires ne pourraient être sortis des forêts européennes, même en soumettant celles-ci à une exploitation industrielle. Elles vont en outre subir de plein fouet les effets du changement climatique.

Pour construire « mieux », il faudra construire moins. C'est ce que disent la plupart des scénarios de neutralité carbone (Ademe, négaWatt) à commencer par l'officielle Stratégie Nationale Bas Carbone - qui table sur -40% de m2 à l'horizon 2050. Moins de neuf permettrait aussi de concentrer des moyens sur la réhabilitation. Selon ces mêmes scénarios, il va falloir multiplier par 20 à 25 le nombre de rénovations thermiques annuelles !

Comment faire ? Il faut favoriser toutes les mesures pour « produire des m2 » sans construire : favoriser les solutions de « recohabitation » (béguinage, habitat intergénérationnel, logements partagés, accueil d'étudiants chez l'habitant...), adapter les logements aux différentes étapes de la vie pour lutter contre la sous-occupation - 8 millions de logements concernés, en plus des 3 millions de logements vacants -, développer la densification douce dans le pavillonnaire en créant des petits logements dans de grandes maisons existantes...

Il faut aussi repenser l'aménagement du territoire : les métropoles ne doivent plus attirer et grandir, mais se stabiliser voire essaimer au profit des villes petites et moyennes. La redistribution de la population, des emplois, des commerces, des services, de l'offre médicale, sociale, culturelle, s'articulerait bien avec les autres enjeux de la transition énergétique et environnementale. En quelques décennies, rien d'impossible.

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Commentaires 13
à écrit le 13/04/2023 à 15:45
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Déjà si les gens habitaient où ils devraient être : pas de soucis, pourquoi s'entasser dans des villes gangrènees par la violence et la misère si on 'n'y travaille pas? Laissez la place aux autres! Combien de petits villages déserts mais pas sans em...

à écrit le 15/03/2023 à 17:21
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Pour étendre encore les horreurs pavillonnaires à la Bouygues?

à écrit le 15/03/2023 à 15:23
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Appliquons des malus aux occupants de VHLM dont les revenus dépassent désormais les critères...

à écrit le 15/03/2023 à 9:20
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Il n'est pas utile Il n'est pas nécessaire de construire de logements neufs ; IL SUFFIT de donner les moyens aux Municipalités D'EXPROPRIER les locaux VACANTS plus de 1 an pour les transformer en habitations ;

à écrit le 15/03/2023 à 8:56
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Le manque de Service Public dans les zones rurales participe à l'entassement dans les villes et leur agglomération !

à écrit le 15/03/2023 à 8:56
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Cette loi est bienvenue, il faut construire en hauteur des logements plus agréables avec des terrasses, (faire des ajouts sur de l’ancien), et des espaces verts pour les familles, comme le font si bien nos voisins au nord. Et passer au bulldozer ces ...

le 15/03/2023 à 12:21
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Le problème étant que tout le monde ne veut pas habiter dans des « clapiers » même avec une terrasse et des géraniums dessus !!

le 15/03/2023 à 12:55
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"il faut construire en hauteur des logements plus agréables avec des terrasses" Aujourd'hui ,ce qui compte,c'est ce qui passe dans la cage d'escalier au RDC et le parking souterrain.

le 15/03/2023 à 14:09
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En proche banlieue parisienne de nombreux propriétaires de maisons individuelles les réhaussent d'un étage .

à écrit le 15/03/2023 à 8:50
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Construire sans fondation serait un plus pour éviter toute artificialisation !

à écrit le 15/03/2023 à 6:41
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Des logements vides existent partout surtout en centre ville mais mal adapté. Personne n’en veut et on construit des logements sociaux ou pas . On a aussi beaucoup de famille monoparentale ce qui double le besoin de logement, et en plus la politique ...

le 15/03/2023 à 8:48
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Ça fait longtemps que le nombre de familles monoparentales est stabilisé.

le 15/03/2023 à 12:09
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Quand on voit l'état très souvent dégradé des logements existant dans les centres villes, sans parler de tous les problèmes de bruit, promiscuité, insécurité, saleté des voieries et trottoirs, de l'impossibilité d'accès avec sa voiture, taxe foncière...

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