
Comment financer la transition écologique ? Au regard des montants pharaoniques estimés par les économistes, la question tourne au casse-tête pour les Etats. Pour Patrick Artus, le chef économiste de Natixis, la facture s'élèvera en effet à 4% du PIB sur 30 ans, tandis qu'un rapport de la Fondapol évoque même 6% du PIB sur 10 ans.
La Fondapol ne manque pas d'avancer des pistes de financement pour les gouvernements : s'endetter, réduire les dépenses... ou augmenter les taxes. Pour l'exécutif français, qui a poussé en six ans la dette française à près de 3000 milliards d'euros, soit 111,6% du PIB fin 2022, tout en écartant tout retour à l'austérité, une hausse d'impôts paraît inévitable. « Le gouvernement n'aura guère d'autre alternative que d'augmenter les prélèvements obligatoires », prédisait ainsi François Hollande dans un entretien à Challenges.
Las, Emmanuel Macron a fait la promesse inverse pendant sa campagne. Le sujet dépasse maintenant les frontières de l'Hexagone et pourrait rebondir au niveau européen dans les prochains mois. L'Espagne, qui s'apprête à prendre la présidence de l'UE en juillet, compte mettre sur la table un projet de taxation des plus fortunés au niveau mondial pour financer la transition écologique.
Alors, faut-il augmenter les impôts pour financer la transition écologique ?
Le marché est incapable d'enclencher la bifurcation écologique par la seule grâce de la concurrence pure et parfaite ; les investissements à réaliser sont énormes et rentables à (très) long terme uniquement. Ce sont des dizaines de milliards d'euros annuels qui sont nécessaires aux pouvoirs publics pour assurer une bifurcation écologique et sociale : entre 20 et 30 milliards par an pour le seul volet énergétique, selon différentes études. L'ampleur de la crise écologique appelle dès lors des politiques publiques d'une ambition sans précédent, pour lesquelles l'Etat et les collectivités locales devront se doter de moyens ambitieux.
Une partie des ressources indispensables pourra bien sûr provenir de l'emprunt : il n'y a rien d'aberrant à y recourir pour financer des infrastructures coûteuses dans le domaine des transports ou de l'énergie. Nombre d'experts comme de responsables politiques proposent à cet égard d'exclure les dettes contractées au titre de la transition écologique des indicateurs de l'endettement public.
Mais l'outil fiscal est incontournable pour apporter les recettes publiques nécessaires à la bifurcation écologique. Il peut aussi revêtir deux autres fonctions classiques de l'impôt : redistribuer les richesses et modifier les comportements des individus ou des entreprises. De ce point de vue, la fiscalité écologique ne doit surtout pas devenir une charge supplémentaire pour les ménages les plus modestes. Surtout dans une période où les salaires réels ont baissé de plus de 2% sur l'année écoulée. Elle doit même permettre un meilleur partage des richesses, puisque celui-ci est indispensable à la bifurcation écologique.
En effet, c'est parce qu'il y a des ultrariches que sévissent des modes de consommation insoutenables pour la planète. Oxfam l'a parfaitement documenté : le patrimoine financier des 63 milliardaires français les plus riches émet autant que celui de 49,4 % des ménages de notre pays. Les premiers responsables de la crise écologique sont les plus riches et les multinationales, par leur exploitation massive du vivant et des biens communs. Il est donc juste de mobiliser les plus riches, individus comme multinationales. A l'inverse, une hausse des plus bas salaires est indispensable, par exemple pour permettre l'achat de produits bios et locaux et une transition écologique de l'agriculture.
Ainsi, la taxe supplémentaire sur les carburants, voulue par Emmanuel Macron en 2018, n'est pas une bonne fiscalité écologique. Elle avait mis le feu aux poudres et lancé le mouvement des gilets jaunes, qui y voyaient une injustice sociale et fiscale. Et pour cause, elle revenait à grever avant tout les revenus des plus précaires, contraints de prendre leur voiture, sans que ne soient mis en place des transports en commun accessibles ni relocalisés les commerces et les services publics. La sanction (pour les plus pauvres) a été pensée avant les alternatives. Dans le même temps, les sites industriels les plus polluants se voyaient exemptés de toute fiscalité supplémentaire, et les plus riches, dont le mode de vie est le plus prédateur des ressources naturelles, obtenaient de substantiels cadeaux fiscaux. Voilà bien l'exemple d'une fiscalité écologique antisociale.
Alors, quelle fiscalité acceptable, juste et efficace mettre en place ? Plus qu'une augmentation généralisée des impôts, c'est une révolution fiscale qu'il faut enclencher. Qui allègerait, par exemple, la TVA sur les produits de première nécessité, qui pèse davantage dans le budget des ménages modestes, et l'accentuerait nettement sur les produits de luxe et les pratiques de loisir particulièrement polluantes. Il est urgent, aussi, de remettre en cause les cadeaux fiscaux massifs concédés aux plus riches comme aux grandes entreprises. De telles mesures généreraient, sans prélèvement supplémentaire pour l'immense majorité des ménages, plusieurs dizaines de milliards par an pour l'Etat. De quoi engager des investissements massifs dans les énergies renouvelables et dans la transition agroécologique, par exemple.
La France est l'un des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre au monde avec moins de 1% des émissions mondiales alors que notre PIB représente 4% du PIB mondial. 4,5 tonnes de CO2 par habitant quand la moyenne dans l'Union européenne est à 6 tonnes, l'Allemagne à 7,9 tonnes et les Pays-Bas à 8,4 tonnes. La France, grâce au nucléaire, émet moins de CO2 par habitant que la plupart des pays d'Europe. Mieux encore, pour produire son électricité, la France émet 7 à 10 fois moins de CO2 en gramme par kWh que l'Allemagne.
De surcroît, la France a déjà une fiscalité écologique substantielle. Selon l'OCDE, la fiscalité verte représentait en 2016 en moyenne 1,6% du PIB des pays industrialisés, 1,9% en Allemagne, 2,2% en France, 2,2% en Suède et 2,4% au Royaume-Uni. En 2022, la fiscalité verte pourrait représenter 2,5% du PIB en France. Nos concitoyens sont assujettis à une des fiscalités écologiques parmi les plus élevées du monde.
Qu'on en juge : en 2021, les Français ont payé 64 milliards € de taxes environnementales. Un record qui a baissé un peu depuis, avec les boucliers énergétiques qui ont momentanément réduit puis supprimé la TICFE, la taxe sur l'électricité pour financer justement les énergies renouvelables. Celle-ci est passée de près de 8 milliards € en 2021 à 0 en 2023 dans les prévisions du gouvernement. Mais ne nous leurrons pas, l'allégement n'est que transitoire dès que les boucliers sauteront. En cas de suppression des allègements fiscaux sur les énergies en 2024, la facture pourrait exploser, à près de 68,3 milliards d'euros. Il faudrait d'ailleurs ajouter à ces taxes environnementales le produit de la TVA assise sur ces mêmes consommations énergétiques.
De plus, nous nous sommes donné des objectifs très exigeants dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) à horizon 2030. Voyons plutôt : neutralité carbone à l'horizon 2050, réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 40% dès 2030. Il était aussi prévu que la part du nucléaire dans la production d'électricité baisse à 50% à l'horizon 2035. Un objectif heureusement annulé en janvier 2023 par le Sénat au moment du vote sur la loi pour accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Mais il aura fallu attendre qu'une crise énergétique, la peur des coupures d'électricité et que la moitié de nos réacteurs nucléaires soit à l'arrêt pendant l'hiver 2022-2023 pour nous réveiller !
Qui va payer cette montagne d'investissements pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Tous ces objectifs demanderont en France des investissements de l'ordre de 2,1% à 2,9% du PIB à par an d'ici 2030. Soit entre 58 et 80 milliards chaque année selon Rexecode. Le poids des investissements se répartirait de la manière suivante : 43 milliards d'euros pour les entreprises et 37 milliards d'euros pour les ménages.
Nous avons des objectifs hors sol et infinançables qui sont économiquement et socialement dangereux car trop rapides. Il est vraisemblable que, devant le mur de financement qui se précise devant nous et ce n'est pas le risque d'aggravation d'impôts qui nous menace, mais la réalisation qui soit intenable. Pour que la trajectoire soit soutenable, il faudra non pas augmenter les impôts des Français et des entreprises mais repousser les dates trop courtes fixées en termes de transition. 2030 et 2035 c'est demain. Ainsi la France presse pour la fin de véhicules neufs thermiques en 2035... un objectif impossible à tenir industriellement, a fortiori en phase de réindustrialisation. Et qui risque de déclasser définitivement notre industrie automobile. N'a-t-on pas retenu les leçons de la filière nucléaire, qui était condamnée à la fermeture, ce qui a découragé les investissements dans cette filière ?
Comment croire aussi que nous pourrions réindustrialiser la France sans passer par une augmentation transitoire des émissions françaises de CO2 ? Il vaut mieux réindustrialiser et affronter directement chez nous l'impact des émissions de CO2 plutôt que de repousser la question chez nos partenaires commerciaux mais en sacrifiant les emplois qui vont avec.
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