BCE : Mario Draghi plus que jamais dans le labyrinthe

Par Romaric Godin  |   |  1532  mots
La BCE est plus que jamais dans le labyrinthe.
La BCE a fait le service minimum ce jeudi 3 décembre. Plus que jamais, Mario Draghi souffre de son isolement face à l'inflation et la croissance faibles. Le QE ne peut, à lui seul, aider la croissance européenne.

Mario Draghi a assuré le service minimum ce 3 décembre. C'est ce qui explique largement la déception des marchés qui avaient anticipé davantage. Mais, au-delà de ces effets de réaction immédiate, la question est de savoir si ce que le président de la BCE a appelé un simple « recalibrage » (là où l'on attendait une nouvelle version) de l'assouplissement quantitatif (QE) aura un impact sur l'économie réelle de la zone euro.

La baisse du taux de dépôt : un effet déjà terminé

La seule mesure « immédiate » est la baisse du taux de dépôt. L'impact sur la croissance de cette mesure est assez discuté. Sa baisse relativement faible (10 points de base à - 0,3 %) en réduit, du reste, encore l'intérêt. Selon Frederik Ducrozet, économiste spécialiste de la BCE chez Pictet à Genève, le taux de dépôt est « uniquement un moyen de gestion du taux de change. » mais l'effet baisse de l'euro est elle-même douteuse, dans la mesure où les cours de la monnaie unique comportaient depuis quelques jours une baisse à - 0,4 % de ce taux. L'euro est donc remonté face au dollar ce jeudi 3 novembre. L'effet ne sera certainement pas nul puisque la monnaie unique était à 1,15 dollar en octobre et qu'il est passé à 1,05 dollar ce jeudi, avant de remonter à 1,08 dollar. Cette baisse de l'euro aura sans doute un effet sur l'inflation d'ici quelques mois, mais ce sera un effet limité dans le temps et dans son ampleur. L'effet de dépréciation de l'euro pourrait en effet bien être déjà terminé. C'est donc une décision a minima qui ne permet pas de renforcer l'économie de la zone euro dans l'avenir.

Plus de visibilité à long terme

Les autres annonces concernent l'allongement du QE : six mois de plus « au minimum », une garantie de réinvestissement des dettes remboursées et un élargissement des rachats aux dettes locales. Ces mesures, là encore, sont loin d'être inutiles : elles assurent aux banques que la liquidité sera longtemps disponible et longtemps abondante. Elles donnent plus de visibilité aux banques pour prêter à long terme en leur assurant des moyens de refinancement bon marché. En cela, ces mesures peuvent favoriser l'investissement des entreprises en favorisant le crédit. Mais le risque est cependant important qu'il ne s'agisse là que de mesures « défensives. » Les montants disponibles chaque mois étant les mêmes, l'effet sur l'activité restera modeste.

Le problème de la demande

Le problème de la zone euro ne réside en réalité pas dans la liquidité qui est déjà abondante. Le problème de l'accès au crédit et des taux trop élevés existe, mais surtout dans le sud de l'Europe, notamment en Grèce, pays toujours exclu du QE. Les mesures prises vont sans doute permettre de réduire encore les taux et l'offre de crédit, mais elles ne peuvent rien concernant la demande de crédit. Or, la BCE ne peut agir réellement sur la demande par ces mesures. Si les entreprises européennes hésitent à investir, c'est parce qu'elles ne disposent pas de visibilité concernant une reprise vigoureuse, suffisante pour donner l'ambition de se projeter à plusieurs années. Beaucoup de pays ont vu leur potentiel de production se réduire. La capacité d'investissement des entreprises est donc naturellement réduite. Du reste, le QE n'aide qu'à la marge à redonner cette confiance, car beaucoup d'agents y voient aussi le signe que la déprime économique va continuer encore longtemps.

Changer de politique pour relancer la croissance

Pour sortir de ce cercle vicieux, il conviendrait de mettre en place des projets plus agressifs et ciblés sur la demande et l'investissement. Ainsi, la création monétaire irait immédiatement dans l'économie réelle et la machine économique européenne repartirait. Aujourd'hui, cette création monétaire semble se perdre dans les sables mouvants d'une économie encore traumatisée par les effets de l'austérité des années 2010-2013. La BCE pourrait changer la clé de répartition de son programme pour le concentrer sur les pays en difficulté. Mais elle exclut toujours la Grèce, pays qui aurait le plus besoin du QE, de son programme de rachat. Plutôt que le famélique et très vaporeux plan Juncker, il serait préférable de lancer un vaste programme de la Banque européenne d'investissement qui pourrait être appuyé par des rachats de titres de la BEI par la BCE.

Il est urgent pour sortir du piège de l'inflation et de la croissance faibles de favoriser une relance budgétaire dont la zone euro a largement les moyens. La logique ricardienne de la consolidation budgétaire ouvrant la voie à l'investissement a fait long feu en zone euro. Les effets de l'austérité - désordre politique, destruction de l'appareil productif, pression sur les salaires - doivent être combattus avec vigueur. Or, la Commission européenne joue en sens inverse en blâmant encore les projets timides de relance de pays qui ont fait de nombreux efforts comme l'Italie, l'Espagne ou le Portugal. Elle refuse toujours de s'attaquer à l'excédent courant de 8 % du PIB de l'Allemagne.

La faute de Mario Draghi

Mario Draghi en est conscient. Il a timidement appelé ce jeudi à un dialogue, ce 3 décembre, sur le sujet, avec la Commission. Mais il est limité par le refus d'une telle politique de la part des politiques de la zone euro. Il est aussi limité par ses propres erreurs. La « leçon » donnée à la Grèce au premier semestre par Wolfgang Schäuble a, de ce point de vue, été claire : la relance n'est pas permise en zone euro. C'est la leçon générale du cas particulier grec et Mario Draghi a été à dicter cette leçon.

Rappelons que Syriza, alors, ne réclamait pas une « révolution marxiste », mais bien plutôt une politique d'investissement européen en Grèce et un assouplissement de la consolidation budgétaire. Lorsque la Grèce réclamait que ses dettes envers la BCE soient renouvelées, elle ne réclamait rien d'autre que ce réinvestissement de la dette détenue par la BCE, annoncé pour le QE ce jeudi par Mario Draghi. Tout ceci pouvait donc constituer des "modèles" pour une politique plus adaptée, plus efficace, en complément du QE pour le reste de la zone euro. Le président de la BCE a cependant refusé de saisir la chance raisonnable que lui ouvrait un gouvernement grec prêt alors à négocier. En appuyant par ses choix la victoire de Wolfgang Schäuble sur Alexis Tsipras, il a signé l'échec de son deuxième QE, qui devait redynamiser la croissance. Car, désormais, il est absolument seul pour relancer l'activité et il ne le peut pas. « La BCE ne peut pas résoudre seule les questions structurelles de la zone euro », souligne Frederik Ducrozet.

Succès du QE ?

Mario Draghi a affirmé qu'il doit « recalibrer » son QE parce qu'il fonctionne, pas parce qu'il a échoué. En réalité, il joue sur les chiffres. Le QE n'a pas été inutile parce qu'il a permis, en inondant les banques de la zone euro de liquidité, d'éviter la déflation. Mais il n'a pas été utile pour renforcer la croissance. C'est une mesure « faute de mieux. » Et son succès au regard d'un automne 2014 où la zone euro allait tout droit à la spirale déflationniste ne dit rien sur sa capacité à pouvoir dynamiser l'économie de la zone euro. Pour preuve, la croissance reste atone (entre 0,3 % et 0,4 % chaque trimestre) et l'inflation sous-jacente trop faible. Mario Draghi en est donc réduit à rajouter des instruments qui ont des effets de court terme sur l'euro pour donner des impulsions ponctuelles à l'activité. C'est sans doute pourquoi il n'a pas sorti toutes ses armes ce jeudi. Mais, en réalité, la BCE ne peut guère jouer plus qu'un rôle de « coussin de protection » pour la croissance européenne. « Mario Draghi a capitulé face à l'idée qu'il pourrait relancer l'activité et il se résout à l'idée qu'il devra jouer ce rôle pendant longtemps », explique Frederik Ducrozet. Une analyse confirmée par l'insistance, ce jeudi, de Mario Draghi sur le temps de son action.

Labyrinthe en zone euro

L'action de la BCE est donc contraint par le fait qu'elle doit faire face à un manque d'efficacité de ses décisions. Ce « labyrinthe » dans lequel est perdu la BCE en dit long sur les difficultés de gestion de la zone euro. L'obsession budgétaire de la Commission, la domination intellectuelle de Wolfgang Schäuble sur l'Eurogroupe, la rigidité de la nouvelle architecture institutionnelle, la violence de la zone euro envers la Grèce cet été, sont autant d'éléments qui briment la croissance européenne. La BCE est de bonne volonté, mais son impact sur l'activité est de plus en plus réduit. Ce dont la zone euro a besoin, c'est avant tout d'un débat sur sa politique économique. Mais ce débat semble impossible à organiser. La sortie du labyrinthe est encore bien lointaine...