Réforme de la zone euro : des propositions franco-allemandes pleines de bonne volonté

Par Romaric Godin  |   |  1123  mots
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier entend renforcer la démocratisation de la zone euro
Selon Reuters, les ministres des affaires étrangères français et allemand vont proposer des réformes de la zone euro. Des mesures importantes, mais qu'il faudra mettre en oeuvre.

La France et l'Allemagne vont lancer une proposition commune de réforme de l'Union européenne et de la zone euro pour tenter de dépasser l'épreuve créée par le Brexit approuvé le 23 juin par les Britanniques. Ce dimanche 24 juin, l'agence Reuters indique avoir eu accès à une « déclaration commune » des ministres des Affaires étrangères des deux pays, Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier.

Les deux hommes prennent acte « avec regret » du vote britannique et reconnaissent que le soutien au projet « émoussé ». Et ils repoussent la possibilité d'avoir recours aux habituels recours de l'UE : « nous ne pouvons nous contenter ni d'un simple appel à plus d'Europe ni d'une phase de réflexion ». Ils proposent donc de passer par des actions plus concrètes.

L'abandon de la politique d'ajustement unilatéral

Cette évolution se traduit en matière économique. Les deux pays reconnaissent qu'un « alignement unilatéral » des pays déficitaires sur les pays excédentaires est « politiquement irréalisable ». C'est là un élément important, car c'était, dans la zone euro, la politique officielle des autorités : les pays déficitaires devaient « faire des réformes » et des « efforts » pour rejoindre les Etats « vertueux ». Si la déclaration reconnaît encore l'idée d'une « convergence », cette convergence ne saurait donc rester unilatérale. Si cette déclaration devient réalité, ce sera effectivement une évolution cruciale dans la politique économique européenne.

Plus d'investissement

Le document évoque ainsi une nouvelle phase de convergence économique de la zone euro, « reposant sur un équilibre entre obligations et solidarité ». Le texte évoque un « nouvel effort » pour soutenir les investissements publics et privés, pour « libérer la croissance » et améliorer la productivité. Parmi les secteurs visés, on trouve l'énergie, le numérique, la recherche et l'innovation et la formation professionnelle. Le vecteur de ces investissements pourrait être un Fonds européen pour les investissements stratégiques, créé pour gérer le plan Juncker, qui serait « élargi ». Ce nouvel effort, s'il devient réalité, serait une réponse au manque d'action des Etats de la zone euro face à la croissance et à l'inflation faibles, un manque dont se plaint régulièrement avec raison la BCE. Il semblerait donc ici qu'il y a une volonté d'aller plus loin dans la coordination de la politique économique.

Un Eurogroupe sous contrôle

Sur le plan plus institutionnel, les deux ministres proposent plusieurs changements. D'abord, la nomination d'un « président à plein temps de l'Eurogroupe », qui devra rendre des comptes à une sous-commission spécifique du Parlement européen pour la zone euro. Ce serait une réponse à la critique de déficit démocratique dont souffre cette instance, déficit qui avait éclaté au moment de la crise grecque de 2015.

Contrôle budgétaire à des élus

Ensuite, les ministres proposent la création d'un « organe parlementaire » composé de membres du Parlement européen, avec la participation d'élus nationaux, qui aura « pleine autorité sur les sujets de surveillance budgétaire et macro-économique ». La Commission se verrait donc ôter ce contrôle au profit d'élus. Ici, les deux ministres tentent de répondre à la critique allemande du « laxisme » de la Commission en matière budgétaire, tout en donnant plus de pouvoirs aux élus. Ce serait, ici, un changement majeur de logique, puisque l'application des traités seraient confiés à des élus.

Un Fonds monétaire européen

Sur la zone euro elle-même, les deux ministres proposent que le Mécanisme européen de stabilité (MES) se transforme en « Fonds monétaire européen à part entière », sous contrôle parlementaire. Parallèlement, une « capacité budgétaire » pour soutenir les investissements et les Etats en temps de crise sera créée dès 2018. Ici, le mouvement est nécessaire, mais l'efficacité de cette évolution dépendra des détails : quelle sera cette capacité et la nature du contrôle du « FME » ? Actuellement, l'Allemagne dispose d'un veto de facto au sein du MES, en sera-t-il de même dans le FME ?

Base de discussion

Globalement, toutes ces évolutions vont dans le bon sens sur le plan économique. Pour la première fois, il y a une prise de conscience des problèmes et enjeux de l'économie de la zone euro et de ses conséquences politiques. Mais tout dépendra de la mise en place. On se souvient que, de 2011 à 2013, les bonnes intentions ont souvent débouché sur des demi-mesures ou sur un renforcement de l'aspect « punitif » du pacte de stabilité. Par ailleurs, ces propositions économiques ne peuvent être perçus que comme un commencement vers une politique plus intégrée qui devra intégrer des éléments comme la collaboration de la BCE à cette politique ou la réduction de l'excédent courant allemand. Ce sont donc de bonnes mesures, mais elles restent largement insuffisantes.

Qu'en pense Wolfgang Schäuble ?

Ce texte n'est donc qu'une base de discussion. Vendredi, le Handelsblatt faisait savoir qu'un document interne au ministère allemand des Finances mettait en garde contre le fait que le Brexit serait l'occasion pour l'Italie et la France de demander plus de « mise en commun » des dettes et plus de solidarité. Wolfgang Schäuble a sans doute beaucoup à redire à ce plan de son collègue social-démocrate : le FME serait une mise en commun des dettes sans contreparties, la vertu budgétaire n'est plus la politique officielle de la zone euro et il s'oppose à tout nouveau plan d'investissement qui remet en cause son orthodoxie budgétaire. Le ministre avait, l'an dernier, proposé l'exclusion de la Grèce de la zone euro puisqu'elle refusait de « respecter les règles ». Ces règles peuvent-elle, pour lui, changer aujourd'hui pour cause de Brexit ?

Les discussions politiques cruciales

Un autre élément est déterminant : la politique interne. Les deux ministres jouent aussi un rôle face à leurs opinions publiques. Le PS français va repartir à la recherche de l'électorat de gauche, tandis que la SPD allemande, dont fait partie Frank-Walter Steinmeier, tente de se rapprocher aussi de sa gauche et de se différencier de la CDU d'Angela Merkel. Des élections déterminantes ont lieu l'an prochain dans les deux pays et joueront un rôle fondamental dans l'application de ces réformes. Angela Merkel devrait faire face à une opposition de l'aile droite de la CDU, de la CSU bavaroise et des Eurosceptiques d'AfD à ces plans. Tout ceci pourrait amener à des amendements cruciaux dans les projets présentés par les deux ministres.

Vers une Europe de la sécurité ?

A noter que les deux ministres proposent une « Europe à plusieurs vitesses » et une plus forte coopération sur le plan militaire et sécuritaire, mais aussi sur celle de la politique d'asile et d'immigration.