Brexit : fantasmes et réalités autour de la "facture de sortie"

Par Sasha Mitchell  |   |  886  mots
Il ne s'agit pas pour le Royaume-Uni, deuxième contributeur net au budget de l'UE avec 10 milliards d'euros par an environ, de "rendre de l'argent". L'UE attend plutôt, à en croire les notes publiées, que le gouvernement britannique honore sa part "du financement de tous les engagements pris en tant que membre de l'Union".
En paraphrasant le "I want my money back" de Margaret Thatcher, mardi, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a véhiculé une image simpliste de la question complexe du solde de tout compte. Explications, à trois jours de l'ouverture de la cinquième phase de négociations.

"We want our money back." Interrogé sur le Brexit mardi soir, sur CNEWS, Bruno Le Maire a repris à son compte une déclaration de Margaret Thatcher. Cette phrase (I want my money back, à l'origine), prononcée en 1979, intervenait dans un contexte précis : constatant que le Royaume-Uni payait davantage à l'Union européenne (UE) qu'il ne recevait, la Première ministre récemment élue réclamait un ajustement du déséquilibre. Après d'âpres négociations, la dirigeante conservatrice est parvenue à obtenir un "rabais", dont le pays jouit encore chaque année au moment de contribuer au budget de l'UE.

Le ministre de l'Economie, lui, faisait référence à la fameuse "facture de sortie", point central d'achoppement entre négociateurs britanniques et européens, à Bruxelles. "Nous voulons récupérer notre argent", a-t-il insisté. De quoi entretenir les fantasmes et une vision réductrice du solde de tout compte, compris dans les trois priorités de l'UE en vue du divorce, alors que la cinquième session de discussions débute lundi.

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Position assouplie du Royaume-Uni sur le budget

Concrètement, il ne s'agit pas, pour le Royaume-Uni, deuxième contributeur net au budget de l'UE avec 9 milliards d'euros par an environ, de "rendre de l'argent". L'UE attend plutôt, à en croire les notes publiées, que le gouvernement britannique honore sa part "du financement de tous les engagements pris en tant que membre de l'Union". A savoir, notamment, sa participation au budget de l'Union jusqu'en 2020, date de fin du Cadre financier pluriannuel (CFP 2014-2020) en cours.

Sur ce point, Theresa May a paru conciliante lors de son discours de Florence. Alors que les négociateurs britanniques n'ont pour l'heure communiqué aucune position officielle sur la question, la Première ministre a promis qu'aucun pays ne pâtirait financièrement du Brexit. Sous-entendu, que le pays continuerait de contribuer au budget jusqu'en 2020, voire 2021, en cas de période de transition de deux ans.

En revanche, d'autres obligations de paiement présentées par l'UE ne paraissent ni légitimes, ni valables d'un point de vue légal, aux yeux des équipes de David Davis, ministre britannique du Brexit. Parmi celles-ci, on retrouve la contribution aux retraites des fonctionnaires européens. La prise en charge du déménagement de l'Autorité bancaire européenne et de l'Agence européenne du médicaments, actuellement implantées à Londres, pourrait également poser problème aux Britanniques. Idem, pour ce qui concerne la contribution aux "assurances" contre des événements futurs, à l'image du Mécanisme européen de stabilité.

Des transactions dans les deux sens

"Sur la base des expertises légales que nous avons consultées, relatives au droit européen, l'article 50 du Traité de Lisbonne autorise le Royaume-Uni à quitter l'Union européenne sans obligation" de respecter les engagements financier pris, estime ainsi un rapport de la Chambre des Lords daté de mars. Avant de préciser : "Cependant, les conséquences politiques et économiques d'une sortie de l'UE sans répondre" à ces contraintes financières "seraient profondes".

Les négociations sur ce fameux solde de tout compte traînent depuis des semaines en partie pour cette raison. De nombreux points peuvent être sujets à débat, à interprétation. C'est le cas notamment pour la contribution du pays à l'accord UE-Turquie sur les réfugiés, non inclue dans le budget. Et pour le mode de calcul du montant dû par le Royaume-Uni dans le cadre du CFP 2014-2020, les dépenses de l'Union européenne à venir étant calculées de manière globale et non pays par pays.

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D'où, aussi, le refus des Britanniques de communiquer, pour l'heure, le montant qui leur paraîtrait raisonnable - les estimations varient entre 30 et 100 milliards d'euros selon les sources. D'autant que cet accord financier comprendra également des transactions dans le sens inverse. Le Royaume-Uni détient en effet 16% du capital (11 milliards d'euros environ) de la Banque européenne d'investissement et récupérera sa mise après le versement des prêts validés lors de l'appartenance du pays dans l'Union. Le capital injecté dans la Banque centrale européenne par la Banque d'Angleterre lui sera également restitué.

Quoi qu'il arrive, le Royaume-Uni n'enverra pas un seul chèque de plusieurs milliards d'euros à Bruxelles, comme les expressions "facture de sortie" ou "facture du divorce" pourraient le laisser penser. Ce n'est, en tout cas, pas le souhait de l'Union européenne, qui préfère un paiement en plusieurs fois, étalé dans le temps "afin d'atténuer l'impact de la sortie du Royaume-Uni sur le budget de l'Union et les autres Etats membres".

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