Brexit : pourquoi la Banque d'Angleterre joue la montre

Par Romaric Godin  |   |  1209  mots
Mark Carney, gouverneur de la Banque d'Angleterre, a choisi de prendre son temps.
La banque centrale britannique n'a pas baissé ses taux jeudi 14 juillet. Son gouverneur Mark Carney a préféré attendre trois semaines pour mieux ajuster son action, notamment à celle du nouveau gouvernement.

La décision du Comité de politique monétaire (MPC) de la Banque d'Angleterre (BoE) jeudi 14 juillet de ne pas agir a surpris beaucoup d'observateurs qui tablaient, comme le marché, sur une baisse d'un quart de point du taux de refinancement britannique, qui est à 0,5 % depuis mars 2009. La décision a été prise à une large majorité de huit contre un et a donc inclus le gouverneur Mark Carney, que l'on pensait cependant favorable à une action « préventive ».

La « Vieille Dame de Threadneedle Street » a justifié cette décision de ne rien faire par l'attente de données sûres concernant un ralentissement britannique dans la foulée du vote en faveur du Brexit, le 23 juin dernier. Mais ce ralentissement ne fait aucun doute aujourd'hui, compte tenu des données déjà disponibles (confiance des ménages, tensions dans l'immobilier, ventes d'automobiles). Pour rassurer, la BoE a, en fait, déjà annoncé, qu'elle agirait lors de sa réunion du 4 août. « La plupart des membres du MPC s'attendent à un assouplissement de la politique monétaire en août », a indiqué le communiqué de la banque centrale. Il y aura donc action en août, et l'immobilisme de juillet n'était qu'un moment d'attente.

Mieux ajuster son action

Mais, alors, pourquoi cette procrastination de trois semaines ? Pourquoi ne pas avoir agi rapidement et fort pour circonscrire les incertitudes, selon la méthode qu'avait employée avec la Banque du Canada Mark Carney en 2008 ? Plusieurs éléments peuvent expliquer cet attentisme. D'abord, disposer d'une meilleure visibilité de la situation économique du Royaume-Uni après le vote du 23 juin permettra sans doute de mieux doser la réponse monétaire à apporter. Une baisse du taux de refinancement semble acquise, mais les premières données « dures » permettront de déterminer l'ampleur de cette baisse et s'il faut l'accompagner de nouvelles mesures de soutien aux prêteurs, comme une reprise des rachats d'obligations d'Etat ou de titres privés. C'est un élément important dans la mesure où la BoE est parvenue, à la différence de plusieurs de ses homologues - notamment la BCE - à ne pas se lancer dans une fuite en avant monétaire. Mark Carney veut agir, mais il a sans doute un œil sur sa capacité à renverser sa politique monétaire. Cet élément est d'autant plus crucial que l'on sait la croissance britannique dépendante de son déficit courant, donc des capitaux étrangers. Il faut pouvoir attirer ces derniers par des rendements relativement attractifs. Pour la BoE, la prudence est donc de mise.

Un nouveau gouvernement et une livre plus ferme

Cette prudence était, ce jeudi, rendue possible par deux phénomènes d'ailleurs liés : la remontée de la livre et formation d'un nouveau gouvernement. La stabilisation de la situation politique britannique qu'a impliquée la nomination assez rapide à partir de lundi de Theresa May au poste de première ministre a rassuré les cambistes. Il semble que l'on évite pour le moment des élections anticipées et une rupture du parti conservateur.

Le nouveau gouvernement va pouvoir définir sa stratégie de négociation face au Brexit et prendre des mesures de politique économique. Dès lors, la livre a engagé une remontée. Face au dollar, la livre est repassée au-dessus des 1,30 dollar et face à l'euro, au-dessus de 1,20 euro. Le MPC a sans doute voulu ne pas prendre le risque de « briser » ce redressement de la monnaie britannique, mais au contraire de l'encourager. Une stabilisation de la monnaie semble nécessaire en effet à la stabilisation du marché immobilier, notamment, mais, plus généralement, à celle de l'économie britannique, toujours en raison de cette dépendance au déficit courant. Mark Carney s'est montré favorable à la réduction de ce déficit, mais il préfère sans doute un ajustement progressif à un ajustement violent. Une action rapide de la Banque aurait pu inciter les cambistes à vendre encore davantage de livres et à accentuer encore la pression monétaire sur l'économie.

Une nouvelle politique économique ?

Deuxième élément : le gouvernement de Theresa May semble décider à agir contre le ralentissement économique et à changer de politique économique. Le fait que le chancelier de l'échiquier de David Cameron, George Osborne, ait été écarté de la nouvelle équipe est un message fort tant ce dernier incarnait une certaine politique : celle des baisses d'impôts pour les entreprises et les plus riches financés par une politique d'austérité. Cette politique n'est pas étrangère au vote en faveur du Brexit des populations du nord de l'Angleterre et du pays de Galles, qu'elle a encore fragilisée. Dès son discours d'investiture devant le 10, Downing Street, Theresa May a fait savoir qu'elle entendait rompre avec cette politique et d'en finir avec « les injustices brûlantes » qui divisent la société britannique. « Le gouvernement que je dirige ne sera pas conduit par les intérêts des privilégiés, mais par les vôtres. (...) Quand nous proposerons de nouvelles lois, nous écouterons non pas les puissants, mais vous. Quand il s'agira des impôts, nous donnerons la priorité non aux riches, mais à vous », a indiqué la nouvelle chef de gouvernement. Ceci ressemble à un abandon de la stratégie de George Osborne qui avait proposé de réduire à 15 % le taux de l'impôt sur les sociétés. Or, cette politique aurait sans doute encore creusé le déficit courant et fait entrer le Royaume-Uni dans une logique de « paradis fiscal » très périlleuse.

Volonté de relance ?

Surtout, le gouvernement de Theresa May semble réfléchir à une action de relance, notamment avec un programme d'investissement sur les infrastructures. Rien n'est encore très clair, mais la nouvelle chef de gouvernement a explicitement évoqué une « nouvelle politique industrielle » et « plus d'obligations soutenues par le Trésor pour des projets d'infrastructure ». Elle a aussi évoqué un « plan pour aider non plus une ou deux villes régionales, mais chacune d'entre elles ». Theresa May s'est aussi dite favorable à plus de « service public ». Enfin, la taxe sur la construction de logements imposée par George Osborne pourrait être remise en cause. Bref, tout ceci ressemble bel et bien à un projet de plan de relance pour soutenir l'activité. Pour la Banque d'Angleterre, c'est un élément clé qui a sans doute décidé un certain changement de stratégie.

Meilleure coordination des politiques

En effet, Mark Carney peut observer dans le cas de la zone euro combien l'absence de coordination entre les politiques monétaires et économiques est dommageable. Plutôt que d'agir immédiatement et de se retrouver en première ligne pour soutenir l'activité, il préfère donc attendre que le gouvernement clarifie sa politique de relance. Ceci lui permettra non seulement de mieux ajuster son action, mais aussi de mieux soutenir l'action du gouvernement. Si Londres organise effectivement un plan de relance, la politique monétaire ne viendra alors qu'en soutien. Son action pourra être plus ciblée de moindre ampleur. Et Mark Carney pourra conservera ainsi une meilleure marge de manœuvre pour resserrer la vis si besoin. Globalement, le gouvernement de la BoE s'est donc depuis lundi dernier retrouvé moins seul face au défi économique du Brexit. Il peut donc temporiser.