Brexit : quelle stratégie pour la Banque d'Angleterre ?

Le gouverneur de la banque centrale britannique, Mark Carney, veut s'inspirer de son expérience de 2008 et frapper fort d'emblée. Convaincra-t-il le comité de politique monétaire ? Réponse le 14 juillet à midi.
La Banque d'Angleterre va-t-elle baisser son taux de refinancement, déjà au plus bas à 0,5 % ?

L'exercice est délicat. Le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, annoncera ce jeudi 14 juillet à midi la décision du Comité de politique monétaire (MPC) sur la première réponse à apporter au vote britannique en faveur de la sortie de l'UE du 23 juin. Le marché et la majorité des économistes attendent clairement la première baisse du taux de refinancement britannique au moins de 25 points de base par rapport au niveau actuel de 0,5 %, qui est déjà un plus bas historique et qui est inchangé depuis mars 2009.

Eviter de tarder

Ce changement sera sans doute principalement symbolique. Les conditions de financement de l'économie britannique n'en seront pas immédiatement changées. Mais en termes de politique monétaire, le symbolique compte souvent beaucoup. Si Mark Carney ne parvenait pas à convaincre les huit autres membres du MPC - certains semblent vouloir attendre le 4 août pour avoir plus d'indications sur les effets du Brexit sur l'économie - le marché pourrait traduire violemment sa déception par un nouveau courant vendeur. C'est, en tout cas, ce que craint le gouverneur de la Banque d'Angleterre qui, récemment, a mis en garde contre une réponse tardive et délayée aux inquiétudes des agents économiques. « Le silence peut déclencher une crise financière », a-t-il ainsi affirmé aux membres de la commission des finances de la Chambre des Communes. Et d'ajouter : « on ne peut pas repousser les choses à plus tard ».

Le précédent de 2008

Comme le souligne l'agence Bloomberg, Mark Carney entend gérer les suites du référendum comme il a géré la crise de 2008-2009 lorsqu'il dirigeait la banque centrale canadienne : en agissant vite et fort d'emblée. Au cours du premier semestre 2008, la Banque du Canada a abaissé ses taux de 4,25 % à 3 %, alors que beaucoup croyaient déjà à la fin de la crise financière et que, en Europe, par exemple, le président de la BCE Jean-Claude Trichet a poursuivi sa politique de relèvement des taux entamé en 2006 le 9 juillet 2008 avec une hausse de 4 % à 4,25 % du taux de refinancement. Pour Mark Carney, cette politique « préventive » a permis d'envoyer un message de confiance au marché lorsqu'est survenu la faillite de Lehman Brothers : on savait que la Banque du Canada allait répondre présente. C'est cette stratégie que l'actuel gouverneur britannique voudrait voir appliquer.

L'idée de Mark Carney

Certes, la situation actuelle est différente. Mark Carney n'a pas anticipé le vote du 23 juin comme il avait anticipé celui de 2008 et les taux sont déjà bas, cette fois. Mais il souhaite apporter une réponse rapide pour provoquer un « choc de confiance » qui permettent de maintenir un certain niveau de demande, notamment dans l'immobilier et le crédit à la consommation. La première pierre de cette stratégie a été posée la semaine dernière, lors de la réunion du Comité de politique financière (FPC) qui a décidé d'assouplir les obligations de capitaux pour les banques afin de débloquer potentiellement 150 milliards de livres sterling de crédits supplémentaires. Attendre de disposer de « données certaines » signifie pour Mark Carney perdre un temps précieux et risquer de devoir suivre avec du retard les événements. C'est ce qu'a vécu la BCE entre 2008 et 2011 et c'est ce qu'il veut éviter, car il s'agit, en réalité, d'une perte de contrôle à haut risque.

Stabilisation de la livre ?

Voilà pourquoi Mark Carney est si pressé de baisser les taux britanniques. S'il convainc les membres du MPC, il peut imaginer que la livre finisse par se stabiliser, pour trois raisons. D'abord, parce que l'arrivée de Theresa May au 10, Downing Street redonne confiance dans une gestion politique du Brexit, et l'on a commencé à constater un raffermissement de la livre depuis lundi. Ensuite, parce que les cours de la livre ont déjà largement intégré une baisse de 25 points de base des taux britanniques. Il n'y a donc pas de risque de chute vertigineuse de la monnaie britannique à la suite de cette baisse des taux. Enfin, la baisse des taux pourraient venir compenser la demande sur le marché immobilier, freiner la baisse des prix et, in fine, inciter certains investisseurs étrangers à rester. La baisse des taux ne devrait donc pas entraîner de fortes corrections sur le marché des changes.

Ajustement par la monnaie, ma non troppo...

Mark Carney ne cherche, du reste, sans doute pas pourtant à totalement inverser la direction de la monnaie britannique. Il sait que le Brexit va donner lieu à un « ajustement de l'économie britannique », comme il l'a reconnu devant la commission parlementaire. La baisse de la livre est un élément clé de cet ajustement, car le gouverneur de la Banque d'Angleterre s'est longtemps inquiété de l'important déficit courant britannique, qui a frôlé les 7 % du PIB. Comme il l'a déclaré, une baisse de 10 % de la livre face à un panier de devises conduit à un recul d'un tiers de ce déficit. Compte tenu de la faiblesse actuelle de l'inflation britannique (+0,3 % en mai 2016 sur un an), cette correction n'est pas nocive et peut même soutenir la conjoncture, à condition que la confiance soit de retour. C'est le calcul de Mark Carney : utiliser l'effet inflationniste de la baisse de la livre et rétablir la confiance pour stabiliser l'économie et la renforcer en réduisant sa dépendance à l'étranger.

La manœuvre requiert cependant du tact, car une chute trop forte de la monnaie britannique pourrait là aussi conduire à une perte de contrôle de la situation, alors même que le caractère très désindustrialisé de l'économie britannique et sa dépendance aux capitaux étrangers réduit les effets positifs sur la compétitivité de la baisse de la livre. Il faut donc maintenir un équilibre délicat entre une baisse mesurée de la devise et le rétablissement de la confiance. Voilà pourquoi Mark Carney n'entend pas avoir recours d'emblée à des mesures radicales comme une forte baisse des taux, une relance de l'assouplissement quantitatif ou les taux négatifs, qui, tous, accélèreraient la baisse de la livre et risqueraient ainsi de renforcer le risque de récession.

Mark Carney va-t-il convaincre ?

L'enjeu pour la Vieille Dame de Threadneedle Street est donc de rétablir au plus vite la confiance des agents économiques. La stabilisation politique engagée avec la nomination de Theresa May, qui a évoqué des projets de soutien conjoncturels, pourrait l'aider. Son argument vis-à-vis des membres du MPC sera donc de ne pas gâcher cette occasion en faisant un surplace qui pourrait faire naître des doutes sur la détermination de la Banque d'Angleterre et sur le risque de récession qui pourrait en découler. La baisse de la confiance des consommateurs viendra appuyer son propos. Reste à savoir s'il sera écouté ou si certains prendront prétexte de la remontée de la livre et des marchés boursiers pour jouer la montre et n'agir qu'une fois les risques assurés et certains. Ce serait alors une défaite claire pour un gouverneur qui a montré beaucoup de sang-froid, jusqu'ici, face au résultat du référendum, qualité assez rare à Londres depuis le 23 juin...

Commentaires 2
à écrit le 14/07/2016 à 14:55
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Bon et bien Romaric Godin a tout faux: pas de baisse des taux, et ca ne sera probablement pas non plus pour Aout, puisque la BoE se dirige plutot vers un autre genre d'intervention...

à écrit le 14/07/2016 à 11:20
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La question étant de savoir s'il est bien raisonnable de suivre les caprices d'une économie financière complètement déconnectée de l'économie réelle qui n'a fait que prouver son incompétence depuis qu'elle règne, du coup il ne faut pas s'étonner que ...

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