Bruxelles valide le budget de gauche du Portugal

Par Romaric Godin  |   |  999  mots
Antonio Costa, le premier ministre portugais, a remporté une victoire certaine à Bruxelles ce vendredi.
La Commission européenne n'a pas osé rejeté le budget portugais pour 2016. Une victoire pour le nouveau premier ministre, Antonio Costa.

Bruxelles n'a finalement pas osé. Après une réunion d'urgence sur le sujet, la Commission européenne a décidé de valider le budget portugais pour 2016. Certes, le projet de loi de finances « risque de ne pas être compatible avec les obligations budgétaires » du pays et l'exécutif européen demande au gouvernement d'Antonio Costa de prendre des « mesures additionnelles » pour un montant global de 0,6 % du PIB, soit environ 1,1 milliard d'euros, afin d'éviter de demeurer sous les 3 % du PIB et de voir son déficit structurel progresser.

Le pire évité

Comme l'Espagne ou le Portugal, la Commission réexaminera donc au printemps l'exécution du budget portugais pour évaluer si le pays a bien mis en œuvre ses mesures. Ce n'est pas, donc, un blanc-seing, mais le premier ministre lusitanien a évité le pire, qui aurait été une première : le rejet pur et simple comme « non compatible » du budget portugais qui aurait été le premier pas vers des sanctions et qui aurait obligé le gouvernement à représenter un budget entièrement remodelé. Une telle décision aurait été une invitation à DBRS, la dernière agence de notation qui place encore le Portugal dans la catégorie « investissement », à dégrader la note du pays, l'excluant en conséquence de la politique de rachat de la BCE et coupant son accès au marché.

Les mesures proposées par Lisbonne

Antonio Costa s'en sort d'autant mieux qu'il a lui-même proposé les mesures demandées par la Commission. Ces mesures sont centrées sur les recettes et avaient été précédemment acceptées par ses alliés au parlement, les trois partis de la gauche radicale. Il s'agit d'abord de l'alourdissement des taxes sur l'achat de véhicules, de celles frappant les boissons alcoolisés, le tabac et les combustibles, mais aussi d'une hausse de la taxe frappant les banques créée par le gouvernement précédent. Les fonds immobiliers perdront également une niche fiscale, vieille revendication du parti communiste portugais (PCP). Le gouvernement a cependant dû accepter quelques concessions plus douloureuses, comme la réduction des embauches dans le secteur de la santé.

Changement de paradigme

Certes, ces mesures auront un effet négatif. Mais, in fine, pourtant, la balance penche plutôt pour Antonio Costa. Sur le plan économique, son pari a été validé par la Commission : il peut présenter un budget centré sur la relance de la demande intérieure et comprenant des mesures renversant la politique d'austérité. Le supplément d'impôt sur le revenu qui frappait les classes moyennes et faibles sera supprimé, les baisses de salaires de la fonction publique annulées, la TVA dans la restauration sera baissée. Autant de mesures qui devraient aider à soutenir la demande intérieure au moment où l'effet d'entraînement de la demande externe risque de s'essouffler. L'ensemble de ces mesures pèse pour 0,7 % du PIB avec des mesures externes complémentaires, comme le relèvement du salaire minimum de 505 à 600 euros sur cinq ans. Le contexte, comme la faiblesse des prix du pétrole, aideront à compenser l'effet des taxes sur les combustibles et les véhicules. C'est un véritable changement de paradigme qui a été accepté dans les faits par la Commission qui n'a pas obtenu de véritable remise en cause de cette logique générale.

Victoire politique

La deuxième victoire d'Antonio Costa est politique. L'ancien maire de Lisbonne avait pris un pari audacieux en octobre en décidant de s'engager dans une alliance avec la gauche radicale. Tous prévoyaient alors un échec rapide de cette coalition où se côtoient pro-européens, communistes, sociaux-démocrates, anti-euro et écologistes. Mais Antonio Costa s'est montré très habile. Il a réussi à mettre d'accord autour d'un budget la Commission et ses alliés, en donnant habilement à chacun un peu de satisfaction. Le fait d'avoir négocié des mesures supplémentaires en amont avec ses alliés s'est révélé une bonne tactique, car elle a désarmé les critiques de la Commission et assuré à celle-ci un budget finalement compatible et voté. Antonio Costa a donc réussi un tour de force que beaucoup estimaient au-delà de ses moyens : faire accepter par sa majorité de gauche un budget validé par la Commission et faire accepter par cette dernière un budget voté par la gauche radicale. C'est donc clairement une victoire pour Antonio Costa.

C'est aussi, au niveau européen un message clair qu'une majorité de gauche peut mener une politique de sortie de l'austérité en restant « responsable. » A la veille des élections irlandaises et alors que l'Espagne réfléchit à une formule gouvernementale, ce succès a du poids.

La Commission divisée

Du côté de la Commission, le cas portugais a, semble-t-il, profondément divisé. Dès mercredi midi, le quotidien portugais Espresso prétendait savoir que le budget avait été validé par les équipes techniques de la Commission et par Pierre Moscovici. Information démentie dans la foulée. Il semble que le « supérieur » du Français, Valdis Dombrovskis ait souhaité rejeter le projet lusitanien. La réunion de crise convoquée ce vendredi devait décider du comportement à tenir. La Commission a finalement reculé devant une mesure inédite. Il est vrai que le risque de voir le Portugal exclu du QE est réel et que la zone euro ne peut guère se permettre de voir s'ouvrir un nouveau foyer de crise alors que la confiance commence à disparaître à nouveau.

Un rejet aurait aussi rendu caduc le nouveau Leitmotiv de Jean-Claude Juncker sur son rejet de l'austérité. La Commission a donc préféré valider un budget portugais qui pourra être présenté comme la preuve de sa bonne volonté. Mais certains, à Berlin, notamment, ne manqueront pas d'y voir un acte de laxisme. Wolfgang Schäuble avait déjà dénoncé ce dernier en août dernier, proposant d'ôter à la Commission la surveillance budgétaire.