Portugal : le candidat de droite favori à la présidentielle de dimanche

Les Portugais doivent élire dimanche leur nouveau président de la République. Le candidat conservateur est largement favori, mais ce n'est pas le principal problème du premier ministre socialiste Antonio Costa, au pouvoir depuis deux mois.
Marcelo Rebelo de Sousa est le favori de l'élection présidentielle portugaise de ce dimanche 24 janvier.

Dimanche 24 janvier, les quelques 9,7 millions d'électeurs portugais sont invités à élire leur nouveau président de la République au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans. Dix candidats se présentent à leurs suffrages, mais l'un d'entre eux apparaît comme favori : Marcelo Rebelo de Sousa, 67 ans, un ancien journaliste qui occupait un poste d'analyste politique à la télévision, soutenu par l'opposition de droite. L'homme est crédité par le dernier sondage réalisé par l'institut Aximage les 16 et 20 janvier dernier lui attribue 51,5 % des intentions de vote. Il pourrait donc être élu au premier tour. Son principal adversaire, le professeur d'université Antonio de Sampaio da Novoa, n'est crédité que de 22,6 % des intentions de vote. Si néanmoins aucun candidat n'obtient dimanche la majorité absolue, il y aura ballotage le 14 février entre les deux candidats arrivés en tête.

Un poste effacé, mais avec des pouvoirs encore clés

Après la révolution des œillets de 1974, la constitution de 1976 avait créé un régime semi-présidentiel avec un chef de l'Etat fort. Progressivement, cependant, le régime a évolué vers davantage de parlementarisme, notamment après la révision de 1982. Le président portugais a donc désormais un pouvoir limité, mais il reste plus important que beaucoup de ses pairs européens. Lors de la crise politique qui a suivi les élections du 4 octobre dernier, on a ainsi vu combien le rôle d'Anibal Cavaco Silva était important : il a refusé l'alliance du Parti socialiste avec la gauche radicale formée du Bloc de Gauche (BE, sorte de Syriza lusitanien), du Parti communiste (PCP) et des Verts et a confirmé le premier ministre de droite, Pedro Passos Coelho. Une fois ce dernier renversé, il a posé ses conditions pour nommer le socialiste Antonio Costa à la tête du gouvernement sous certaines conditions, notamment le respect des engagements européens et internationaux du pays. Bref, il ne s'agit pas, comme le président allemand, d'un simple rôle de représentation.

Le principal pouvoir du futur élu sera sa capacité de dissoudre l'Assemblée de la république, la chambre unique du parlement. Cette dissolution ne pourra cependant être possible que six mois après le dernier scrutin législatif, soit le 4 avril. Ce pouvoir ne sera pas négligeable dans la mesure où la majorité de l'actuel gouvernement socialiste dépend du soutien de deux partis de la gauche radicale qui le soutiennent en demeurant « autonomes » et en dehors de l'exécutif. En cas de crise entre les alliés de gauche, le président pourra décider une dissolution. Et, évidemment, si le président est conservateur, il sera sans doute moins compréhensif pour les débats internes à la coalition.

Des élections moins « politisées » que les législatives

Bref, l'élection de Marcelo Rebelo de Sousa ne sera pas sans doute une bonne nouvelle pour Antonio Costa. Car il s'agit d'un homme de droite qui a été président du Parti social-démocrate (PSD), le principal parti conservateur portugais entre 1996 et 1999. Mais il faudra sans doute se garder de parler d'un triomphe de l'opposition ce 24 janvier. En effet, l'élection présidentielle au Portugal ne répond pas toujours aux critères politiques traditionnels. Les Portugais cherchent moins à élire un homme de parti qu'un arbitre du jeu politique. L'élection est donc une question de personnalité, avant tout. Du reste, le PS n'a pris aucune position officielle et n'a soutenu aucun candidat. A l'inverse, le dauphin du favori, Antonio de Sampaio da Novoa, n'est officiellement soutenu que par deux partis : Livre et le Parti Maxiste-léniniste des Travailleurs qui ont cumulé le 4 octobre 1,84 % des voix. De fait, les logiques parlementaires sont donc souvent déjouées.

L'histoire le confirme. Ainsi, un an après la première élection du socialiste Mario Soares en 1986, le PSD obtenait la majorité absolue des suffrages aux élections de 1987 (qui avait déjà obtenu une majorité relative en 1985). De même, en 2006, l'actuel président Anibal Cavaco Silva, ancien premier ministre conservateur, avait été élu un an après la victoire du PS aux législatives. La « cohabitation » ne fait donc pas peur aux Portugais.

Marcelo Rebelo de Sousa a, du reste, joué sur le consensus. Il s'est ainsi positionné sur l'échiquier politique « à la gauche de la droite », autrement dit... au centre ! Et il a promis de « tout faire pour aider à construire la stabilité. » « Le temps n'est pas à présent aux divisions », a-t-il conclu. Le favori de l'élection de jeudi a donc voulu se présenter en futur « père de la nation » et en « arbitre. » Ce qui ne signifie pas qu'il hésitera à dissoudre l'assemblée en cas de crise au sein de cette coalition. Mais il devra prendre en compte l'état de l'opinion. Or, les sondages prouvent que son élection ne sera pas le gage d'un « renversement de l'opinion » en faveur de l'opposition.

La dernière enquête, réalisée par Aximage, entre les 2 et 5 janvier, les trois partis de la majorité de gauche obtiendraient 50,9 % des voix, contre 50,7 % le 4 octobre, avec un renforcement du PS qui passerait de 32,3 % à 35,5 %. En face, les deux partis de droite sont donnés à 39,8 % d'intentions de vote contre 38,6 % le 4 octobre. Bref, il y a un léger renforcement de la droite, mais la gauche se maintiendrait. Autrement dit, l'élection de Marcelo Rebelo de Sousa ne devra pas être surinterprétée politiquement.

Le programme de la gauche mis en œuvre

Reste qu'avec un conservateur au palais de Belém, l'Elysée lusitanien, Antonio Costa va devoir prendre soin de ses alliés. Après deux mois au pouvoir, la coalition a déjà connu quelques succès et quelques secousses. Le gouvernement Costa s'est, en tout cas, efforcé de respecter les accords passés avec le BE et le PCP. Toute une série de réformes visant à revenir sur les mesures d'austérité du gouvernement de Pedro Passos Coelho ont ainsi été adoptées. Le salaire minimum sera ainsi relevé de 505 à 600 euros d'ici à 2019 ; la privatisation des transports urbains de Lisbonne et Porto ont été annulés ; celle de la compagnie aérienne TAP - décidé par Pedro Passos Coelho lorsqu'il ne disposait pas de majorité parlementaire - est en renégociations ; quatre jours fériés supprimés ont été réinstallés ; le supplément d'impôt sur le revenu introduit par le précédent gouvernement a été supprimé pour les revenus de moins de 801 euros par mois. Enfin, les salaires et les pensions du secteur public ont été augmentés et une commission parlementaire examine la question de la précarité dans un pays où l'essentiel des créations d'emplois repose sur des emplois temporaires.

Premier accroc dans l'unité de la coalition

Pour autant, la coalition a connu une première crise liée à la question bancaire. A peine trois semaines après son arrivée au pouvoir, Antonio Costa a en effet dû empêcher la faillite de la banque Banif. Pour éviter de passer sous les fourches caudines de la nouvelle réglementation européenne, qui met à contribution actionnaires, créanciers et clients, Antonio Costa a dû injecter 3 milliards d'euros dans Banif réduite à l'état de « bad bank » et vendre les actifs valables pour une somme dérisoire à la banque espagnole Santander. Un « sauvetage » qui a été désapprouvé par le BE, le PCP et les Verts qui y ont vu autant de moyens perdus pour la politique sociale et la relance de l'économie. La gauche radicale a donc voté contre le sauvetage de la Banif qui n'a été adopté que grâce à l'abstention de la droite.

Ce premier accroc à l'unité de la coalition est-elle cependant inquiétante ? Rien n'est moins sûr.  Cet épisode montre aussi, en effet, que la gauche radicale est prête à accepter certains désaccords sans, pour autant, renverser le gouvernement. C'est précisément l'esprit des conventions signés entre le PS et ses alliés en novembre : le gouvernement est stable (il ne peut être renversé qu'à la majorité absolue, selon la constitution), mais les partis conservent leur autonomie. Antonio Costa a donc le droit de trouver des majorités alternatives dans certains cas, mais si l'objectif économique et social est maintenu, il restera chef du gouvernement. Paradoxalement, le cas Banif peut donc être la preuve d'une certaine solidité de la coalition portugaise. Du reste, cette alliance des gauches semble être une source d'inspiration pour l'Espagne voisine...

Le défi du budget 2016

Antonio Costa va cependant devoir affronter un défi de taille : la présentation du budget 2016, retardé pour cause d'élections. Le gouvernement doit trouver un équilibre entre les exigences d'une Commission européenne qui regarde avec défiance le gouvernement de Lisbonne et ses engagements avec ses alliés de gauche radicale. Le gouvernement a indiqué qu'il prévoyait pour 2016 un déficit public de 2,6 % du PIB, inférieur à la prévision de son prédécesseur (2,8 %). Si les mesures annoncées coûteront cher, environ 1,2 milliard d'euros en tout, Antonio Costa table sur un plus fort dynamisme, notamment grâce à l'effet sur l'activité de ces mesures de soutien au pouvoir d'achat, mais aussi à l'action de la BCE et à l'accélération de la croissance en Europe. Le gouvernement prévoit ainsi 2,1% de croissance, soit davantage que le 1,74 % de la Commission prévue cet automne. Il prévoit aussi d'augmenter l'impôt sur l'essence et sur le tabac. A Davos, le ministre de l'Economie Manuel Caldeira Cabral, a affirmé que le « Portugal continuait à faire son travail » de consolidation budgétaire et a promis de continuer à faire reculer une dette proche des 130 % du PIB. Reste à savoir si Bruxelles acceptera ce budget.

Défiance des marchés

La décision de la Commission ne sera pas anodine, car on remarque que les milieux financiers ont déclaré l'état de défiance contre le gouvernement portugais. L'affaire « Novo Banco » n'y est pas pour rien. Novo Banco est la « bonne banque » de Banco Espirito Santo (BES), ancien géant bancaire portugais en faillite en 2014. Or, fin décembre, la Banque du Portugal a décidé d'imposer des pertes à certains créanciers de Novo Banco. Une décision prise, selon le gouvernement, sans son accord et qui ne cesse de poser des questions. Pourquoi la Banque centrale a-t-elle agi après les élections alors que le scandale BES avait secoué le gouvernement de droite qui avait assuré que la solution « Novo Banco » était solide ? En tout cas, l'effet sur les investisseurs a été désastreux. Le fonds américain Blackrock s'est saisi de cette affaire où, donc, le gouvernement n'avait pas joué de rôle, pour faire part de son scepticisme sur le gouvernement. Il a été imité, voici quelques jours par la banque allemande Commerzbank. Le taux de la dette portugaise à 10 ans a, du coup, été malmené, repassant au-dessus des 3 %, du jamais vu depuis juillet et la crise grecque. Ce taux reste cependant encore faible, car les rachats de la BCE font office de bouclier. Mercredi, le gouvernement a pu lever 1,8 milliard d'euros à 6 et 12 mois à taux négatifs.

Scénario noir pour le gouvernement

Pour autant, le gouvernement d'Antonio Cabral a besoin de retrouver la confiance des marchés. Un blanc-seing de Bruxelles lui serait donc utile. Mais il existe un vrai risque que  la Commission se montrer bienveillante avec Lisbonne alors qu'elle cherche depuis quelques mois (on le voit dans les cas italien et espagnol) à prouver qu'elle n'est pas laxiste en matière budgétaire, comme l'accuse le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble.

Le risque d'un scénario noir pour le Portugal ne peut donc être écarté. Si Bruxelles rejette le budget portugais, la dernière agence de notation à noter le pays en catégorie d'investissement, DBRS, pourrait abaisser sa note en catégorie « pourrie. » Dans ce cas, le Portugal serait exclu du programme de rachat de titres de la BCE. Or, sans ce programme, le taux portugais exploserait. Mais le « QE » de la BCE n'est pas qu'un parapluie indispensable pour l'Etat portugais, mais aussi pour les banques et les entreprises du pays. Car le problème du Portugal, c'est sa productivité et son manque d'investissement.

Si DBRS abaisse sa note, Antonio Costa devra aller demander une dérogation à la BCE. Cette dernière imposera alors sa « potion budgétaire » au gouvernement. Et dans ce cas, les accords avec la gauche radicale ne résisteront sans doute pas. La coalition éclatera et le président de la république élu ce dimanche pourra dissoudre le parlement. Dans ce cas, comme en Grèce, l'expérience d'une politique alternative se fracassera sur les manœuvres de Bruxelles et de Francfort. Le défi d'Antonio Costa sera d'échapper à ce destin funeste.

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Commentaires 5
à écrit le 22/01/2016 à 20:23
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Sans l'excellente politique menée précédemment par Coelho l'actuel exécutif n'aurait rien à distribuer. Mais il sera vite à cours de munitions.

à écrit le 22/01/2016 à 20:15
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Monsieur GODIN, toujours d'excellentes synthèse sur la vie politique et l'économie portugaise ou espagnole. J'en apprends plus qu'en parcourant la presse locale qui se limite le plus souvent à paraphraser des dépêches d'agences de presse (Au demeuran...

à écrit le 22/01/2016 à 16:07
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"Défiance des marchés" Facile, plus le gouvernement est de gauche et plus le marché est mécontent tellement ils ont peur qu'on leur prenne leur argent.

le 23/01/2016 à 18:18
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Mais non Bernardo Zorro, les socialistes ne prennent pas aux riches, ils ne sont pas assez nombreux, non ils prennent aux classes moyennes et aux pauvres parce qu'ils sont plus nombreux. Prendre 10 à 10000 riches, rapporte moins que de prendre 1 à 60...

le 25/01/2016 à 9:42
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Bonjour Mike, j'ai parlé de gouvernement de gauche pas de gouvernement Sans Politique Fixe comme celui que nous avons actuellement. Même si le parti socialiste applique une politique avérée de droite, comme il est plus à gauche que le LR ou bien ...

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