Agriculteurs européens en colère : Bruxelles prend des mesures pour limiter les importations

Par latribune.fr  |   |  1258  mots
« À Rungis, le kilo de filet de poulet français s'achète 7 euros. Le kilo de filet de poulet ukrainien, environ 3 euros », a illustré Yann Nédélec de l'interprofession avicole (Photo d'illustration). (Crédits : Siphiwe Sibeko)
La Commission européenne fait de nouveaux pas en avant ce mercredi, afin de dénicher un compromis avec les agriculteurs. Depuis plusieurs semaines déjà, les exploitants multiplient les manifestations et blocages, au point que le mouvement social se propage dans de nombreux pays de l'UE. Tour d'horizon des dernières avancées consenties par Bruxelles.

Allemagne, Belgique, Espagne... Le mouvement social agricole dépasse largement les frontières hexagonales. Il prend une ampleur telle que l'exécutif européen n'a d'autre choix que de s'ajuster aux exigences des exploitants. A fortiori dans un contexte marqué par la poursuite des négociations en vue d'un accord de libre-échange avec le Mercosur, et ce, à quelques mois seulement des élections européennes.

« Les agriculteurs mettent notre nourriture sur la table. Dans la difficulté, nous trouvons des solutions communes », a assuré la présidente de l'exécutif europée, Ursula von der Leyen, qui s'entretiendra jeudi avec le président français Emmanuel Macron.

Ce mercredi, la Commission européenne a ainsi proposé de reconduire l'exemption de droits de douane dont bénéficient les produits agricoles entrant dans l'UE, tout en l'assortissant de « mesures de sauvegarde ». Objectif affiché, limiter les volumes des produits les plus sensibles.

« La Commission a proposé aujourd'hui de reconduire pour une année la suspension des droits d'importation et des quotas sur les exportations ukrainiennes vers l'UE, tout en protégeant davantage les produits agricoles sensibles de l'UE, peut-on lire dans un communiqué. Cette mesure est conforme aux engagements pris par l'UE de soutenir l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire. Parallèlement, la Commission propose de proroger d'un an la suspension de tous les droits restants sur les importations moldaves en vigueur depuis juillet 2022. »

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Ces « mécanismes renforcés » permettront d'adopter « des mesures correctives rapides » en cas de perturbations importantes sur le marché européen, y compris si elles sont localisées. Pour certains produits - volaille, œufs et sucre - un « frein d'urgence » est prévu pour « stabiliser » les importations aux volumes moyens importés en 2022 et 2023 - niveaux au-delà desquels des droits de douane seraient réimposés, a indiqué l'exécutif européen.

« Nous sommes sensibles aux inquiétudes (...) Même si notre surveillance ne montre aucun impact négatif sur l'ensemble du marché européen, nous sommes conscients d'effets plus localisés », a reconnu le vice-président de la Commission, Margaritis Schinas.

L'arsenal de restrictions restera supervisé par Bruxelles, à rebours de l'embargo imposé unilatéralement courant 2023 par des Etats voisins de l'Ukraine au grand dam de la Commission, gendarme de la politique commerciale.

Bataille diplomatique européenne sur l'agriculture

Si, à ce stade, cette annonce de l'exécutif bruxellois ne s'est pas encore pleinement concrétisée pour les agriculteurs, le timing de celle-ci est loin d'être anodin. En déplacement en Suède, Emmanuel Macron a réitéré son intention de « réguler » les importations ukrainiennes de céréales et de volailles.

« La volaille a connu des difficultés ces derniers mois. (...) En particulier, en raison de l'arrivée d'une volaille beaucoup moins chère venant d'Ukraine. C'est quelque chose qu'on va chercher à réguler », avait déjà promis le chef de l'État français, au mois de septembre 2023.

Pour rappel, les volailles en provenance d'Ukraine affluent en France depuis que l'Union européenne a, en mai 2022, suspendu les droits de douane avec l'Ukraine en soutien à l'économie du pays, sur la base de l'accord de libre-échange signé en 2014.

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Officiellement, les importations de viandes de volailles ukrainiennes ont ainsi bondi de 74% au premier semestre 2023 sur un an, tout en restant négligeables, rapportées au total des importations. Elles représentaient en effet 8,1 millions d'euros sur cette période, soit moins de 1% des importations totales de viandes de volailles en France (1 milliard), selon les douanes françaises.

Les aides à l'Ukraine remises en question

Le conflit ayant été déclenché par la Russie le 24 février 2022, il commémore de fait bientôt un triste anniversaire, avec les deux ans de la guerre. La prolongation de cette dernière conduit les professionnels de l'Hexagone à remettre en cause les aides consenties pour soutenir l'Ukraine.

« Le poulet ukrainien, c'est l'exemple parfait qu'on met en concurrence des producteurs de poulet français qui respectent plein de normes avec un poulet produit en Ukraine qui ne respecte pas les mêmes normes », a ainsi exposé Yann Nédélec, directeur de l'interprofession de la volaille de chair, dans l'émission Apolline Matin au micro de RMC et RMC Story, ce mercredi.

Comme le rappelait déjà La Tribune en 2022, l'écart entre l'Ukraine et la France tient aux modèles de production, radicalement opposés. Lorsqu'une exploitation hexagonale élève 40.000 volailles, son homologue ukrainienne - ou brésilienne, par exemple - compte 2 millions de têtes, expliquait à l'époque l'Anvol (interprofession volaille de chair).

Normes sanitaires, modèle de production plus ou moins industriel, coût de la main-d'œuvre, flambée des prix de l'énergie... A travers un cocktail de facteurs, la volaille française devient, de facto, moins compétitive. « À Rungis, le kilo de filet de poulet français s'achète 7 euros. Le kilo de filet de poulet ukrainien, environ 3 euros », a illustré Yann Nédélec ce mercredi. Cet écart conduit parfois le consommateur, qui ne prête pas attention aux étiquettes ou à la provenance de l'animal chez son volailler, à privilégier le moins cher, surtout dans un contexte d'inflation persistante.

Un sommet européen à l'ambiance électrique ?

Résultat, les statistiques précédemment énoncées sur le poids des importations de volaille ukrainienne au sein de l'UE ne font pas consensus. D'autant plus que le poulet d'Ukraine est accusé d'être reconditionné dans des usines européennes (en Belgique, aux Pays-Bas ou en Pologne), sans obligation de mentionner l'origine exacte, a maintes fois dénoncé l'interprofession Anvol.

Selon la Commission européenne, les importations de volailles ukrainiennes en volume représentaient ainsi sur les cinq premiers mois de l'année 2023 27% des importations totales de l'Union européenne - après le Brésil (36%) et avant la Thaïlande (19%) -, contre 13% en 2021.

Le sujet des importations agricoles ukrainiennes dans l'UE devrait indéniablement atterrir à la table des discussions demain. Et pour cause, un entretien entre la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et Emmanuel Macron, est prévu, en marge d'un sommet européen sur le soutien à l'Ukraine, jeudi 1er février.

Un petit pas sur les jachères

L'annonce de Bruxelles ce mercredi apparaît comme une véritable main tendue vers les agriculteurs européens, et une tentative d'apaiser les relations diplomatiques à l'échelle européenne. La Commission européenne a d'ailleurs assorti cette déclaration d'une autre mesure. Elle a ainsi proposé d'accorder pour 2024 une dérogation « partielle » aux obligations de jachères imposées par la Politique agricole commune (PAC), qui cristallisent ces dernières semaines la grogne des agriculteurs à travers l'Europe.

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Une dérogation avait déjà été accordée en 2023 pour cette règle. Cette dernière prévoit de laisser au moins 4% des terres arables en jachères ou surfaces non-productives. Dans les faits, cette contrainte pourrait être suspendue pour 2024, à condition que les agriculteurs atteignent 7% de cultures intermédiaires ou fixatrices d'azote, a nuancé l'exécutif européen - un assouplissement réclamé par une majorité des Etats membres dont la France.

La dérogation partielle sur l'obligation de jachères intervient « tardivement » dans le calendrier agricole et reste « limitée », a regretté le Copa-Cogeca, organisation des syndicats agricoles majoritaires dans l'UE.

(Avec AFP)