Agriculteurs : la mobilisation resserre l'étau sur Paris et Lyon, les tractations se poursuivent

Malgré les tentatives de l'exécutif d'éteindre le feu de leur colère, plusieurs milliers d'agriculteurs mobilisés poursuivent ce mercredi leur route vers Paris et Lyon, parmi les plus grandes villes de France. Le marché de Rungis fonctionne toujours, mais un groupe d'agriculteurs s'est dit déterminé à le bloquer. Le gouvernement tente d'apporter des réponses à la crise, sans grands effets pour le moment.
Selon Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, 10.000 agriculteurs sont actuellement mobilisés dans l'ensemble de la France.
Selon Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, 10.000 agriculteurs sont actuellement mobilisés dans l'ensemble de la France. (Crédits : © YVES HERMAN/reuters)

La mobilisation du monde agricole français ne faiblit pas, bien au contraire. Malgré les tentatives de l'exécutif d'éteindre le feu de leur colère, les plusieurs milliers d'agriculteurs mobilisés poursuivent ce mercredi leur route vers différentes agglomérations, notamment les métropoles de Paris et Lyon, et le marché de gros de Rungis.

Autour de Lyon ce matin, plusieurs axes sont entravés : après le blocage mardi soir d'une partie de l'autoroute à l'ouest, l'A89, des portions des autoroutes dans les autres directions (A46, A42 et A47) vont aussi être « rapidement » coupées en début de matinée, a affirmé à l'AFP le patron régional de la FNSEA Michel Joux.

Plus au nord, le convoi d'agriculteurs en colère partis du Sud-Ouest, à l'appel de la Coordination rurale, s'est remis en marche un peu avant 8h00 en direction de Rungis, l'énorme marché de gros alimentaire qui alimente Paris, a constaté l'AFP. Les agriculteurs, à bord de quelque 200 à 300 tracteurs, ont passé la nuit dans une exploitation agricole du Loir-et-Cher entre Vierzon et Orléans.

A Toulouse, la Confédération paysanne a essayé d'installer un barrage filtrant devant le marché d'intérêt national (MIN, marché de gros), mais les agriculteurs ont été délogés par la police et se sont rabattus sur une centrale d'achat de Carrefour dans la banlieue toulousaine, où ils ont mis en place un barrage filtrant.

10.000 manifestants et plus de 100 points de blocages recensés

Après avoir été bloqué à plusieurs reprises par les forces de l'ordre, le convoi reste surveillé de près. Des blindés sont sur l'A6. Il y a en France mercredi « plus de 100 points de blocage » et 10.000 manifestants, selon Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, sur France 2.  « Ils ne s'en prennent pas aux forces de l'ordre, ils n'entrent pas dans Rungis, ils n'entrent pas dans les aéroports parisiens, pas dans Paris. Mais si jamais ils devaient le faire, évidemment je le répète, nous ne laisserions pas faire », a-t-il dit.

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Du côté du président de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne, la détermination à bloquer Rungis, restait intacte mardi soir. « Je suis très fier de vous ! Vous allez mener ce combat parce que si on ne mène pas ce combat, on est morts. Demain, il va falloir être sérieux et disciplinés », a-t-il lancé à ses troupes, en route vers le plus grand marché de gros d'Europe.

Le gouvernement tente d'apporter des réponses

Du côté de l'exécutif, la mobilisation pour résoudre cette crise est tout aussi intense. Mardi, lors de son premier discours de politique générale devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre Gabriel Attal a assuré qu'il devait y « avoir une exception agricole française », et a promis que le gouvernement serait « au rendez-vous, sans aucune ambiguïté » pour répondre à la crise agricole actuelle. Rappelant que la crise agricole ne serait pas réglée « en quelques jours », Gabriel Attal s'est dit prêt à « aller plus loin », promettant par exemple que les aides européennes de la Politique agricole commune (PAC) seraient versées « d'ici le 15 mars » et des aides fiscales supplémentaires pour les éleveurs.

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Autre protagoniste clef dans cette crise, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau est attendu ce mercredi après-midi à Bruxelles « pour une série d'entretiens visant à accélérer le traitement des urgences européennes », selon son cabinet. Interviewé sur Sud Radio ce mercredi matin, le ministre a par ailleurs annoncé que le gouvernement mettait sur la table 80 millions d'euros supplémentaires pour soutenir « l'ensemble des régions viticoles qui sont en crise ». Autre annonce : l'Etat prendra en charge « les intérêts d'emprunt sur l'année 2024 » pour soulager la trésorerie des vignerons en difficulté.

« On veut surtout des prix rémunérateurs »

Malgré ces déclarations, le mouvement des agriculteurs n'a montré aucun affaiblissement, notamment sur la question des jachères. Interrogée par l'AFP, Johanna Trau, céréalière et éleveuse à Ebersheim (Bas-Rhin), est sceptique à propos du versement en mars des aides PAC. « Déjà que certaines mesures mettent trois ou quatre ans à être appliquées... Là je demande à voir ! », a-t-elle déclaré mardi dans un convoi de centaines de tracteurs bloquant l'A35, l'autoroute qui longe Strasbourg.

« On veut pas forcément être bercés aux aides, on veut surtout des prix rémunérateurs », a ajouté l'agricultrice, comme en écho à la Confédération paysanne. Le 3e syndicat agricole, classé à gauche, a en effet appelé « à bloquer les centrales d'achat » de la grande distribution.

Les associations environnementales se sont également montrées critiques. A l'instar de Greenpeace qui estime notamment que l'exécutif « privilégie l'agro-industrie au détriment des agriculteurs et des écosystèmes dont ils dépendent ».

L'accord de libre-échange Mercosur cristallise la colère

Le président Emmanuel Macron, lors d'une visite d'Etat en Suède, s'est de son côté engagé à défendre plusieurs revendications des agriculteurs français à Bruxelles, sur l'Ukraine, les jachères et l'accord commercial avec les pays latino-américains du Mercosur.

Cet accord cristallise d'ailleurs une des principales revendications des agriculteurs français mobilisés : arrêter l'importation des denrées de l'étranger non soumises aux mêmes normes et contraintes sanitaires que leur propre production. Une forme de concurrence déloyale. Sur ce front, à l'occasion d'une interview accordée ce matin à Cnews et Europe 1, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a promis que la France s'engagerait dans un « bras de fer » lors des négociations à Bruxelles pour que l'accord UE-Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) « tel qu'il est aujourd'hui ne soit pas signé ».

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Mardi, le président Emmanuel Macron a lui aussi affirmé s'opposer à la signature en raison de « règles qui ne sont pas homogènes avec les nôtres », alors qu'il est souhaité par des pays comme l'Allemagne. Les conditions d'un accord entre le Mercosur et l'UE « ne sont pas réunies », a reconnu de son côté la Commission européenne.

Pour rappel, les négociations entre l'UE et le Mercosur pour la conclusion d'un accord commercial ont débuté il y a près d'un quart de siècle, en 2000. Un accord politique avait été conclu en 2019, mais l'opposition de plusieurs pays, dont la France, a bloqué l'adoption définitive. Des pourparlers entre négociateurs de l'UE et du Mercosur ont eu lieu la semaine dernière au Brésil.

Le mouvement s'intensifie dans toute l'Europe

Le mouvement de colère s'étend en tout cas sur le continent : après des manifestations en Allemagne, en Pologne, en Roumanie, en Belgique ou en Italie ces dernières semaines, les grands syndicats agricoles espagnols ont annoncé des « mobilisations » au cours des « prochaines semaines ».

Premier exportateur européen de fruits et légumes et premier producteur mondial d'olives, l'Espagne est l'une des principales puissances agricoles de l'UE. Le pays est cependant confronté depuis trois ans à une sécheresse historique, qui a fait chuter les récoltes, en particulier de céréales, et fragilisé un grand nombre d'exploitations agricoles.

Autre puissance agricole, l'Allemagne voit ses agriculteurs se mobiliser très fortement. Lundi, ils ont bloqué les axes de circulation menant à plusieurs ports allemands, dont celui de Hambourg (nord du pays), protestant contre la suppression d'un avantage fiscal. Confronté à la grogne grandissante du monde agricole, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, a promis mardi d'accélérer le versement des aides financières aux agriculteurs victimes des graves inondations l'an dernier.

(Avec AFP)

Commentaires 2
à écrit le 31/01/2024 à 16:53
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"les grands syndicats agricoles espagnols ont annoncé des « mobilisations » au cours des « prochaines semaines »." Les agriculteurs indignés après les propos de Gabriel Attal sur la « concurrence déloyale ». Les politiques et les représentants du...

à écrit le 31/01/2024 à 11:24
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"Des pourparlers entre négociateurs de l'UE et du Mercosur ont eu lieu la semaine dernière au Brésil." Oui, et ?

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