Chypre cède à la troïka pour bénéficier du QE

Par Romaric Godin  |   |  764  mots
Le palais de la présidence chypriote à Nicosie.
Après des mois de discussions, le parlement chypriote a fini par voter la loi sur les expulsions de propriétaires. Une loi réclamée par la troïka et votée sous la pression de la BCE.

Après neuf mois de discussions, de débats et de pression, le parlement chypriote a finalement approuvé samedi 18 avril par 33 voix contre 23 la loi sur les expulsions de propriétaires insolvables. Cette loi va faciliter les expulsions et donc la revente de ces biens. La troïka formée par les représentants du FMI, de la BCE et de la Commission européenne exigeait une telle loi afin de pouvoir évaluer précisément les pertes des banques sur leurs prêts immobiliers et, ainsi, connaître avec précision les besoins de recapitalisation du système bancaire du pays. Les créanciers avaient suspendu les fonds du plan d'aide à Nicosie dans l'attente de ce vote. Surtout, la BCE avait indiqué que sans accord de la troïka, Chypre ne saurait bénéficier du programme de rachat d'actifs publics, autrement appelé QE. La BCE envisageait autrement de racheter 500 millions d'euros de dette publique chypriote.

Pression sur les députés

Mais, depuis plus d'un an, le gouvernement chypriote - très engagé dans le respect des demandes de la troïka - ne dispose plus de majorité stable au parlement. Dans ce cas, le mouvement social-démocrate Edek souhaitait défendre les intérêts des petits propriétaires insolvables. Or, avec ses 5 députés, ce parti fait et défait les majorités. La situation était bloquée, lorsque deux événements sont venus la débloquer. La première est une pression survenue juste avant le vote de la BCE. Vendredi 18 avril, le porte-parole de la banque centrale chypriote indiquait que, sans accord avec les créanciers, la BCE pourrait lever la dérogation qui permet aux banques chypriotes d'utiliser la dette publique du pays - notée par les agences sous la catégorie d'investissement - comme collatéral pour leur refinancement au guichet. C'était menacer Chypre du même destin que la Grèce : la BCE a en effet suspendu cette même dérogation le 4 février dernier pour la dette hellénique. Dans ce cas, Chypre risquait de retomber dans une grave crise de confiance dans son système financier déjà convalescent.

Concessions

Les députés étaient donc alors sous pression. Le ministre des Finances, Harris Georgiades, en contact étroit avec la troïka, a alors concédé l'adoption de deux amendements de l'Edek. Pour les propriétaires de biens de moins de 250.000 euros qui n'ont aucun autre bien et qui accepte un rééchelonnement de leur dette, les expulsions ne seront pas possibles. Dans les autres cas, certaines protections seront accordées aux ménages menacés d'expulsion. Ceci a achevé de convaincre l'Edek de voter la loi qui a donc été adopté samedi. La troïka doit venir dans l'île du 26 au 29 avril, mais il semble désormais évident qu'elle donnera son feu vert au déboursement de la prochaine tranche de l'aide de 86 millions d'euros.

Retour attendu sur les marchés

Le gouvernement ne cachait pas sa joie après ce vote. Son ambition est de revenir sur les marchés financiers et de sortir du plan d'aide. L'inclusion de Chypre dans le programme de QE de la BCE rend cette perspective beaucoup plus réaliste. Soutenues par ces rachats et garanties implicitement par le programme OMT de septembre 2012, les obligations publiques chypriotes pourraient intéresser les investisseurs en mal de rendement. Le vote de la loi sur les expulsions et le dévouement des autorités de l'île à la troïka rassureront aussi sur l'absence de risque d'un scénario « à la grecque » et ceci pourrait aussi soutenir ces rachats. Nicosie pourrait alors se refinancer sur les marchés et sortir officiellement du programme d'aide où elle n'a puisé que 6 des 10 milliards d'euros offerts (mais on sait que les déposants ont payé le plus lourd écot à la crise).

Economie en crise

Reste deux questions. Première question : l'économie chypriote n'est pas certaine de réellement pouvoir profiter de ce scénario. Certes, cette loi vise à réduire la masse de créances douteuses dans les bilans des banques (qui atteignent parfois la moitié de ces derniers), mais les établissements financiers prêteront-ils pour autant à l'économie ? Ravagée par l'austérité, plombée par un chômage de 16 % et par la méfiance des déposants, l'économie chypriote a peu de perspectives de croissance. Reste, aussi, que cette affaire chypriote démontre une nouvelle fois combien la BCE se « politise. » La menace envoyée au parlement vendredi soir a été d'une efficacité redoutable.