Chypre a annoncé ce vendredi 3 avril que, lundi 6 avril, l'ensemble des restrictions sur le mouvement des capitaux sera levé. Deux ans après la crise bancaire qui a conduit l'île méditerranéenne a instauré un contrôle des capitaux, Nicosie lève donc les dernières restrictions qui concernaient les mouvements vers l'étranger. Le contrôle à l'intérieur des frontières chypriotes avait été levé en mai 2014. Le gouvernement chypriote voit dans cette levée le succès de sa politique, et indirectement, celle de la politique de la troïka. « La levée des restrictions confirme la restauration complète de la confiance dans le système bancaire, l'amélioration significative du climat des affaires et marque le retour de l'économie à des conditions normales », a indiqué le communiqué. C'est en fait beaucoup dire.
Baisse des dépôts
Rappelons qu'une grande partie des dépôts qui étaient dans les banques chypriotes, principalement dans la Laïki Bank, ont été convertis de force en actions de la Banque de Chypre (Bank of Cyprus). Ces actions ne peuvent être vendues librement. Le niveau des dépôts à Chypre est actuellement de 46,5 milliards d'euros contre 67,5 milliards d'euros avant la crise. Le ratio de prêts non performants, ou créances douteuses, est à plus de 53 % de l'ensemble des prêts accordés. Par comparaison, les observateurs s'inquiètent des banques italiennes, qui ont un ratio de créances douteuses à moins de 10 %. La « restauration de la confiance dans le système bancaire » reste donc à prouver et, récemment, l'agence de notation Standard & Poor's s'inquiétait d'une baisse de ces dépôts.
Une économie dévastée
Quant aux « conditions normales » qu'aurait retrouvées l'économie, rien n'est moins évident. Il n'est pas sûr que le pays soit sorti de la récession. Au dernier trimestre 2014, le PIB a reculé de 0,6 %. La richesse du pays est inférieure de 11,5 % au niveau d'il y a deux ans. Le chômage, inexistant auparavant, atteint 17 % de la population active. On a peine à croire que, quand bien même une stabilisation aurait lieu, il y a là des « conditions normales. » D'autant que le modèle économique de l'île - du moins en attendant l'impact des prospections gazières vers 2020 - reste à inventer.
Accord avec Moscou ?
En réalité, a levée du contrôle des capitaux ne peut se comprendre que dans le cadre du voyage récent du président Nikos Anastasiades à Moscou. Les Russes sont les principaux investisseurs à Chypre et, sans leur concours, l'économie chypriote n'a guère de moteur. Le président russe Vladimir Poutine a obtenu de Nicosie l'usage des ports du pays dans certaines conditions pour la flotte de guerre russe. En retour, il s'est engagé à favoriser l'investissement russe à Chypre, mais la levée du contrôle des capitaux était sans doute une condition nécessaire préalable. Du reste, pour les Russes, qui sont souvent installés à Chypre, un départ n'est pas toujours une solution possible, le prix de leurs actifs sur place ayant très fortement chuté. Du coup, la fuite des dépôts pourrait être limitée.
Relations tendues entre le parlement et la troïka
Mais on voit que cette levée des capitaux n'a guère de rapport avec le triomphalisme du gouvernement de Nicosie et il est douteux que de nouveaux investisseurs soient tentés de replacer leur argent à Chypre. D'autant que les relations entre la troïka et le parlement restent tendues, le parlement souhaitant restreindre les expulsions de propriétaires insolvables, la troïka voulant les généraliser. Et elle menace, si la loi ne passe pas, de geler le versement de l'aide à Chypre...
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