Des agriculteurs polonais détruisent des céréales ukrainiennes à destination de l'UE, la tension monte avec Kiev

Par latribune.fr  |   |  1090  mots
La Pologne compte parmi les plus grands soutiens de l'Ukraine depuis l'invasion russe, mais les frictions liées à l'interdiction unilatérale des importations de céréales par Varsovie ont entamé les relations entre les alliés. (Crédits : Reuters)
Nouvel incident à la frontière entre l'Ukraine et la Pologne. Des agriculteurs polonais mécontents ont déversé sur la route des céréales ukrainiennes à destination de l'Union européenne ce dimanche. Une action qui a provoqué un tollé en Ukraine, aussi bien des responsables que de la population. La police et le parquet polonais ont indiqué ouvrir une enquête.

[Article publié le lundi 12 février à 15h11, mis à jour à 17h09] Depuis vendredi dernier, des agriculteurs polonais bloquent plusieurs passages à la frontière avec l'Ukraine. Des manifestations, organisées à l'appel du principal syndicat agricole, qui s'inscrivent dans le cadre du mécontentement croissant des agriculteurs européens face à l'effondrement des prix sur l'ensemble du continent. Ils se plaignent de la concurrence des producteurs ukrainiens, qui pèse sur leurs revenus et qu'ils trouvent injuste, l'Ukraine n'étant pas soumise aux règles de l'UE, notamment en matière de bien-être animal.

Ce dimanche 11 février, la tension est encore montée d'un cran. Des agriculteurs polonais ont arrêté un camion transportant des céréales ukrainiennes alors qu'il traversait la frontière puis ont déversé sa cargaison. Sur des images partagées sur les réseaux sociaux, on peut voir des tas de céréales, parfois recouverts d'un drapeau de l'UE, au milieu d'une route.

La police polonaise a déclaré étudier l'affaire. Les preuves recueillies « seront envoyées aujourd'hui au bureau du procureur du district de Chelm pour une évaluation du droit pénal concernant la suite de la procédure dans cette affaire », a déclaré à l'AFP une porte-parole de la police locale, Ewa Czyz, ce lundi 12 février. Le parquet polonais est lui aussi sur le coup.

« L'enquête a été ouverte. Nous sommes en train de réunir des documents, nous interrogeons des témoins et conservons des images qui constitueront probablement des éléments de preuve essentiels », a déclaré à l'AFP la porte-parole du parquet de Lublin, Agnieszka Kepka, ce lundi également, précisant que les responsables de l'incident pouvaient risquer jusqu'à « cinq ans de prison ».

Les réactions se multiplient côté ukrainien

Cette action a suscité de vives réactions en Ukraine ce lundi, pays à forte tradition agricole confronté depuis deux ans à l'invasion russe et où des millions de personnes sont mortes en 1932-1933, pendant la Grande famine (Holodomor) organisée artificiellement par le régime stalinien.

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« La détérioration des céréales ukrainiennes à la frontière polonaise est inacceptable », a fustigé sur X le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba.

Le ministère ukrainien de la Politique agraire a ainsi « dénoncé fermement » ce lundi une « destruction délibérée » de céréales qui « n'a rien à voir avec des protestations pacifiques, que ce soit d'un point de vue légal ou moral ». Et d'ajouter : « Nous suivons de près l'enquête sur cet incident et espérons que les auteurs seront rapidement identifiés et punis ».

« Aujourd'hui, nous assistons à une nouvelle escalade de la violence à notre frontière commune », a de son côté dénoncé Taras Katchka, vice-ministre ukrainien de l'Économie et représentant commercial de son pays, sur Facebook. « L'absence de réaction des autorités polonaises face à la destruction des livraisons entraînera davantage de xénophobie et de violence politique », a-t-il estimé, dénonçant « l'indifférence » de Varsovie.

Si les autorités polonaises ne réagissent pas, la « bande » ayant organisé le blocus de la frontière va « commencer à tuer les Ukrainiens parce qu'ils sont Ukrainiens », a renchérit Taras Katchka mettant aussi en garde contre le risque de « destruction » de marchandises en Pologne.

« Cela fait mal de voir des céréales ukrainiennes sur la route », a déploré sur Twitter Iryna Verechtchouk, vice-Première ministre ukrainienne.

Andriï Sadovy, le maire de Lviv, grande ville de l'Ouest ukrainien proche de la Pologne, a, de son côté, jugé sur Telegram « honteuses » les actions effectuées, selon lui, « par des provocateurs polonais (...) prorusses ».

Outre les responsables politiques, c'est aussi la population ukrainienne qui a fustigé cette action. « Des fermiers polonais comprennent-ils comment récoltent leurs confrères ukrainiens », qui doivent « déminer leurs champs et risquer leurs vies pour ensemencer » s'est interrogé un internaute ukrainien Iouri Kholod dont le message sur Facebook a été partagé plus de 40.000 fois.

L'UE tente d'apaiser la situation

La Pologne compte parmi les plus grands soutiens de l'Ukraine depuis l'invasion russe, il y a près de deux ans. Mais les frictions liées à l'interdiction unilatérale des importations de céréales par Varsovie ont entamé les relations entre les alliés. La Pologne avait pris cette mesure sous le précédent gouvernement nationaliste, mais l'a maintenue après l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle coalition pro-UE en octobre.

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Pour tenter de calmer les tensions, la Commission européenne a indiqué ce lundi « continuer » à chercher des « solutions » qui permettraient de préserver « un soutien économique maximal à l'Ukraine », ravagée par deux ans de guerre.

« Nous pensons que le travail doit être fait pas à la frontière, pas dans une situation de pression, mais en s'asseyant à la table des négociations », a déclaré le porte-parole de la Commission, Olof Gill.

De nouvelles interdictions dans les cartons côté polonais

Reste que, ces derniers jours, les autorités polonaises ont évoqué la possibilité d'imposer de nouvelles interdictions d'importation de produits agricoles ukrainiens pour protéger ses agriculteurs. Le ministre polonais de l'Agriculture, Czeslaw Siekierski, a en effet déclaré vendredi à la radio publique nationale que des interdictions « totales » d'importations pourraient être nécessaires pour de nouveaux groupes de produits. « Cela pourrait être nécessaire pour le sucre, si son afflux est trop important, pour la volaille », a-t-il estimé, ajoutant que le gouvernement avait l'intention de soulever la question lors de discussions avec Kiev.

Selon le ministre, les agriculteurs ont « des attentes et des demandes légitimes » pour limiter les importations excessives en provenance d'Ukraine. Le ministre a rencontré des manifestants vendredi et promis de les accueillir à son ministère cette semaine.

Outre l'interdiction des céréales et du sucre ukrainiens, les agriculteurs polonais demandent aussi un assouplissement des normes environnementales introduites par l'UE et de celles prévues dans le futur « Green Deal », un ensemble d'initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but de rendre l'Europe climatiquement neutre en 2050.

(Avec AFP)