En zone euro, la flexibilité salariale pourrait être inefficace

Par Romaric Godin  |   |  1197  mots
L'emploi est-il favorisé par la flexibilité salariale ?
Selon une étude récente, la stratégie de flexibilisation des salaires dans le cadre d'une union monétaire est particulièrement inefficace, voire contre-productive. Une nouvelle atteinte aux théories qui ont présidé aux travaux de la troïka.

Pendant qu'en France, on s'interroge à coups de polémiques sur l'existence d'un « négationnisme économique », la recherche, elle, continue à travailler et à avancer. Et elle continue à prouver combien la gestion de la crise de la zone euro à partir de 2010 a pu être désastreuse et ses fondements théoriques fragiles. Ainsi, une étude publiée en août 2016 et signé par Jordi Galí, économiste au Centre de Recherche en Economie Internationale (CREI) de Barcelone, et Tommaso Monacelli, de l'université Bocconi de Milan, tend à remettre en cause un des dogmes qui ont présidé aux travaux de la troïka : la flexibilité salariale serait favorable à l'emploi.

Difficulté d'ajustement en union monétaire

Le texte, titré « Comprendre les gains de la flexibilité salariale : la connexion avec le taux de change », tend à montrer que, dans une petite économie ouverte incluse dans une union monétaire ou soumise à un taux de change fixe, les « bénéfices d'une plus grande flexibilité salariale sous forme de davantage de stabilité de l'emploi seront très faibles ». Les deux auteurs soulignent en effet que la réaction sur l'emploi de la flexibilité salariale dépend en réalité de la réaction de la politique monétaire à l'évolution des prix. Ce canal, baptisé « canal de politique endogène », est selon les auteurs le véritable déterminant de la création de l'emploi. L'effet de compétitivité externe direct lié aux coûts est, selon cette étude, secondaire dans la mesure où, précisément, ils dépendent de l'inflation et du taux de change. Résultat : « les ajustements salariaux sont particulièrement inefficaces dans une union monétaire ».

Logique perdante

Dès lors que ce « canal endogène » est clos dans le cas où la politique monétaire n'est pas déterminée par les intérêts directs de l'économie concernée, mais par une union monétaire où son poids est faible ou par un taux de change fixé par une économie plus puissante, les avantages de la flexibilisation salariale s'effacent. Cette conclusion va à l'encontre des réflexes répandus dans les milieux politiques et des dirigeants de la troïka.

Ceux-ci estiment en effet que, en union monétaire, faute de capacité d'ajustement par la monnaie, le seul ajustement possible de la compétitivité est la flexibilité salariale. C'est la logique de « dévaluation interne » appliquée avec violence dans les pays « sous programme ». En Grèce, en Irlande, en Espagne, à Chypre, au Portugal, les mécanismes de fixation des salaires ont été flexibilisés, le pouvoir de négociation des syndicats affaiblis, les marchés du travail libéralisés et les emplois précaires favorisés. Il s'est agi de réduire le coût de la main d'œuvre et de  favoriser la compétitivité externe. Partout, les salaires ont baissé. Jusqu'à plus de 25 % en Grèce depuis 2010. Comme le FMI l'a souligné après coup, les bénéfices de cette politique n'ont pas été à la hauteur des espérances. En Grèce, en Espagne, au Portugal, en Irlande, les taux de chômage en juillet 2016 étaient tous, en tout cas, encore supérieurs à ceux de juillet 2007, premier mois de la crise financière. Six ans d'ajustement n'ont donc pas permis, malgré les politiques menées, d'effacer trois ans de choc externe.

Un choix coûteux

Jordi Galí et Tommaso Monacelli apportent un deuxième élément d'explication à cet échec, qui est la seconde conclusion de leur étude. La flexibilité salariale réduit le bien-être des populations et « est plus susceptible de le faire dans le cadre d'une union monétaire ». C'est la conséquence de la première conclusion : l'effet sur l'emploi étant limité, il ne compense pas la perte de richesse liée à la flexibilité salariale. Globalement, la rigidité des prix dans une petite économie ouverte incluse dans une union monétaire empêche des gains de pouvoir d'achat et renforce ces pertes de pouvoir d'achat des salariés. Au final, la demande intérieure est largement pénalisée par ces « réformes », ce qui rend l'ajustement plus difficile et coûteux.

Une erreur majeure pour la réputation de l'union monétaire

Les conclusions des deux économistes confirment les faits observés dans les pays sous programme de la troïka. La politique de dévaluation interne a été une erreur majeure qui a rendu le programme d'ajustement particulièrement coûteux dans la mesure où, l'absence de correction monétaire adaptée a empêché ces pays de profiter de ces ajustements. L'étude est donc intéressante. Elle sous-entend que, effectivement, une union monétaire bien gérée devrait avoir recours à d'autres modes d'ajustement, notamment par le recours à des stabilisateurs automatiques, des transferts économiques et des soutiens à la demande.

Dans ce cadre, une union monétaire permettrait effectivement de mieux protéger les pays touchés par des chocs externes que des pays disposant de leur propre monnaie qui devront avoir recours à une dévaluation salariale qui, dans leur cas, est parfois efficace, quoique moins sévère. Mais pour cela, il convient de disposer de structures qui, au sein de cette union monétaire, acceptent de telles politiques. Ce n'était pas le cas en zone euro ou la solidarité est minimale et limitée au remboursement des dettes pour lesquelles d'autres Etats membres ont intérêt au remboursement (parce qu'eux-mêmes ou leurs banques sont créanciers). Dans une union monétaire où l'on ne veut pas de transferts, où l'on méprise les victimes de chocs externes, où l'on veut punir les « mauvais élèves », la logique négative de la troïka s'impose. Et la tentation de soumettre tout le monde en même temps - comme de 2010 à 2014 - à l'ajustement renforce encore le phénomène en neutralisant les gains de compétitivité relatifs. Et, en conséquence, l'union monétaire devient inévitablement un problème politique et est potentiellement en danger.

Les leçons retenues ?

La zone euro a-t-elle retenu les leçons de la crise et entendu les conclusions de cette étude ? C'est peu probable. Un des points de crispation entre la Grèce et ses créanciers en 2015 a été la volonté du nouveau gouvernement grec de rétablir le poids des syndicats dans les négociations collectives. Dans le cadre des nouvelles mesures imposées à Athènes en juin, une nouvelle réforme visant à favoriser la flexibilité salariale est en projet.

Au niveau des dirigeants de la zone euro, aucun changement de stratégie en cas de crise dans un Etat membre ne semble se dessiner dans la mesure où la priorité reste donnée aux « ajustements unilatéraux » des pays en difficulté et que les traités, comme celui du Mécanisme européen de Stabilité (MES), par exemple, imposent des « politiques d'ajustement » en cas de soutien à des Etats membres. Aucun mécanisme de relance ciblé ou de soutien direct n'est envisagé. Pourtant, dans la période de réflexion sur son avenir dans laquelle l'Europe entre après le Brexit, une réflexion s'inspirant des avancées de la recherche économique serait sans doute bienvenue.