Et si le QE de la BCE servait à financer la transition écologique ?

Par Romaric Godin  |   |  1054  mots
Peut-on créer de la monnaie pour financer une vraie politique d'investissement ?
La Fondation Nicolas Hulot propose d'utiliser la création monétaire de la BCE pour financer 300 milliards d'euros par an de dépenses liées à la transition écologique et à la lutte contre l'exclusion sociale. L'idée répond à plusieurs enjeux macroéconomique de la zone euro, mais sera-t-elle entendue ?

Alors que la BCE et son président Mario Draghi s'échinent à chaque instant à prouver, et s'il le faut en la renforçant encore, que sa politique d'assouplissement quantitatif (baptisée parfois « QE » pour Quantitative Easing, en anglais) fonctionne, certains s'interrogent sur des alternatives plus efficaces. Mardi 31 mai, l'association « QE4People » (« l'assouplissement quantitatif pour les gens »), réunissaient les promoteurs de plusieurs de ces propositions.

L'idée principale de ces initiatives est de contourner deux obstacles qui empêchent la politique monétaire d'être pleinement efficace en zone euro. D'abord, les banques qui, malgré les rachats de titres de la BCE et les liquidités qui leur sont prêtées par la banque centrale quasi gratuitement (voire désormais avec une bonification comme dans le cas du programme TLTRO II) à court et à long terme, restent frileuses dans beaucoup de pays à prêter à l'économie réelle. Ensuite, la faiblesse de la demande, notamment des entreprises via l'investissement, sujet que la politique monétaire ne traite que marginalement.

L'option de l'hélicoptère

Plusieurs idées ont donc été avancées, parmi lesquelles le fameux « hélicoptère monétaire », somme créditée sur les comptes des ménages et baptisé « dividende monétaire ». Cette méthode évoquée un temps comme « intéressante » par Mario Draghi, mais qui n'a jamais réellement été envisagée concrètement par la BCE, aurait plusieurs avantages dont le principal est de ne pas être « explicitement interdit par les traités », comme le souligne Christopher Dembik, économiste chez Saxo Bank, même s'il se dit persuadé que l'affaire ira devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Les avantages de l'hélicoptère

Selon ce dernier, le dispositif a trois avantages : il « court-circuite » le secteur bancaire, il n'augmente pas la dette des Etats membres et il peut avoir un effet redistributif pour peu qu'on favorise les ménages aux revenus les plus faibles et/ou les plus endettés. Selon lui, « l'expérience des crédits d'impôts aux Etats-Unis en 2001 et 2008 prouve que les ménages utilisent les rentrées d'argent inattendues pour consommer ou se désendetter, non pour épargner, alors même qu'il s'agissait de périodes de crises ». Ce serait donc la preuve que cet argent ne finirait pas sur les comptes épargne, transfert qui rendrait cet hélicoptère inefficace.

Le problème de l'investissement

Reste que le problème majeur de la zone euro réside dans la faiblesse de son investissement. Malgré un rattrapage, il n'a pas retrouvé son niveau d'avant la crise de 2007 et c'est principalement ce qui obère aujourd'hui non seulement la croissance présente, mais aussi celle de l'avenir. Les plans de relance de 2009 ont permis de parer au plus pressé, mais n'était que des pare-feux. Quant au plan Juncker, il s'enlise définitivement dans une logique erronée (celle du seul « amorçage » par les pouvoirs publics) et dans les marais de la complexité bruxelloise... Les besoins ne manquent pourtant pas, notamment ceux concernant la transition écologique.

300 milliards par an

Dans ce contexte, la Fondation Nicolas Hulot propose un plan d'investissement financé par une réorientation du QE de la BCE de 300 milliards d'euros par an pour la zone euro. L'idée est de confier l'initiative de ces investissements au secteur public, non seulement parce que c'est lui doit assumer des tâches d'intérêt général, pas toujours assez rentable directement, mais aussi parce que les acteurs privés demeurent trop timorés. Il ne s'agit donc pas d'un simple amorçage, comme avec le plan Juncker, mais d'une vraie impulsion et d'une vraie direction issue de choix politiques qui peut et qui doit entraîner la dépense privée. Les dépenses viseront donc à financer la transition écologique et à se donner les moyens d'atteindre les objectifs de la COP21, mais aussi à atteindre des objectifs sociaux : lutte contre la pauvreté, la précarité et les inégalités.

« Flécher » la création monétaire

La Fondation Nicolas Hulot propose donc que la BCE prête directement aux banques publiques européennes et nationales à taux zéro et à très long terme pour assurer le financement de ces investissements. Cette proposition s'appuie sur l'article 123-2 du traité de l'UE qui autorise le refinancement par la BCE des « établissements publics de crédit ». Il s'agirait donc pour la BCE de favoriser ces acteurs pour favoriser les dépenses « utiles ». Ces banques publiques viendraient ensuite financer des projets mis en œuvre par les Etats et répondant à des critères d'éligibilité stricts et prédéfinis. Ces investissements seraient ensuite ôtés des critères de Maastricht en matière de dettes et de déficits, comme la Commission européenne l'avait elle-même proposé pour le plan Juncker. La Fondation Nicolas Hulot estime que les citoyens devraient participer à la définition des projets qui devront faire preuve d'une « gouvernance exemplaire ».

Proposition à la hauteur des enjeux

Cette proposition est intéressante en ce qu'elle répond à plusieurs carences de l'actuelle politique monétaire : elle permet d'agir directement sur l'économie réelle et à dynamiser rapidement, mais aussi durablement compte tenu de l'ampleur des investissements à réaliser, l'économie européenne. Les dépenses visées, qui vont des infrastructures de transports à la rénovation écologique des bâtiments, permettent d'irriguer l'ensemble du tissu économique. Elle permet aussi de « diriger » des dépenses vers des dépenses « utiles » et vers l'économie et l'intérêt général, ce qui semble plus raisonnable que de déverser 80 milliards d'euros par mois sur les marchés en laissant la « main invisible » agir et, souvent, créer des bulles...

Quel avenir ?

Reste à savoir quel sera l'avenir de cette proposition. A Bruxelles et à Francfort, on va feindre d'ignorer ce type de démarche. Leur vision officielle est répétée à chaque conférence de presse de la BCE : la croissance ne viendra que des « réformes structurelles », par ailleurs pourtant largement déflationnistes par essence. Le seul espoir est donc politique. Ce plan ambitieux et réaliste sera-t-il repris par un courant politique ? Sera-ce un enjeu de la campagne électorale française ? Là aussi, on peut en douter compte tenu du niveau faible du débat autour des enjeux européens dans l'Hexagone.