Grèce : Alexis Tsipras prêt à s'allier avec le Pasok

Par Romaric Godin  |   |  1139  mots
Alexis Tsipras est prêt à une alliance avec le Pasok.
L'ancien premier ministre a affirmé être prêt à gouverner avec le parti socialiste si celui-ci se débarrasse de ses anciens ministres. Un tournant dans l'histoire de Syriza, effectué sous la pression des sondages.

C'est un tabou important que vient de briser Alexis Tsipras. Jeudi 3 septembre, pour la première fois, Alexis Tsipras a ouvert la possibilité à une alliance avec le Pasok, le parti social-démocrate, alliance qu'il excluait jusqu'ici. L'ancien premier ministre a cependant expliqué dans cette interview diffusée sur la chaîne de télévision Kontra TV qu'une telle alliance ne serait pas inconditionnelle. Pour s'allier avec Syriza, le Pasok devra se débarrasser de ses « poids » a indiqué Alexis Tsipras.

« Poids » qui chargeraient le Pasok

Quels sont ces « poids » ? Principalement l'ancien chef du parti, Evangelos Venizelos, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères dans le gouvernement d'Antonis Samaras de juin 2012 à janvier 2015. Un autre « poids » cité par Alexis Tsipras est Andreas Loverdos, ancien ministre du travail de George Papandréou et de Lukas Papadimos de 2010 à 2012. En réalité, Alexis Tsipras voudrait s'allier avec un Pasok débarrassé de tous les ministres qui ont appliqué l'austérité réclamée par les créanciers entre 2010 et 2015.

Tournant

Jusqu'à présent, Alexis Tsipras refusait toute alliance avec les « partis de l'establishment », tant ceux qui avaient appliqué l'austérité, le Pasok et le parti conservateur Nouvelle Démocratie (ND), ainsi que le parti centriste To Potami (« la rivière »), poulain de Bruxelles et des oligarques grecs. Mais si son ambition officielle demeure de reconduire l'alliance avec le parti de droite souverainiste des Grecs Indépendants (ANEL), il doit s'adapter à une nouvelle réalité. Les dernières enquêtes d'opinion traduisent en effet un recul net de Syriza et semble considérer qu'ANEL aura beaucoup de peine à atteindre les 3 % des suffrages exprimés nécessaires pour entrer à la Vouli.

Incarner la stabilité

La situation est donc changée. Si Syriza arrive en tête, même assez largement, il n'aura pas de capacité à former un gouvernement. Sur sa gauche, ni le parti Communiste (KKE), ni les dissidents de Syriza de l'Unité Populaire ne sont des alliés possibles. En revanche, Nouvelle Démocratie peut compter sur une coalition quasi certaine avec le Pasok et To Potami s'il arrive à glaner les 50 sièges sur 300 promis au premier parti du pays. Si la droite arrive en tête, elle a donc plus de chance de former un gouvernement et c'est un argument que le leader de ND, Evangelos Meimarakis, n'a pas hésité ces jours-ci à souligner. La droite dispose donc d'un bonus à la stabilité. Or, dans une Grèce fatiguée par six mois de négociations et cinq ans d'austérité, c'est un argument qui peut peser lourd. Alexis Tsipras doit donc rééquilibrer sa position sur ce point. D'où son ouverture au Pasok qui pourrait être le prélude à un élargissement à To Potami, parti qui, après tout, n'a pas participé non plus à l'austérité des années 2010-2015.

Conditions de pure forme

Car, les conditions posées par Alexis Tsipras sont de pure forme. La future coalition au pouvoir après les élections du 20 septembre sera en charge d'appliquer le troisième mémorandum signé en août dernier par Alexis Tsipras. Vouloir s'allier avec un parti « vierge » de toute austérité passée est donc une simple coquetterie. D'autant qu'Evangelos Venizelos a quitté la tête du Pasok, confiée à Fofi Yennimata, une universitaire de 50 ans. Du reste, C'est aussi considérer que la ligne politique passée du Pasok et son application depuis 2009 n'est que le fruit de certaines personnalités qui ont exercé le pouvoir. Mais Alexis Tsipras oublie que le Pasok est, comme Nouvelle Démocratie, un des piliers d'un système clientéliste qui a conduit la Grèce au bord du gouffre. Sans compter que c'est le Pasok de Konstantinos Simitis, premier ministre de 1996 à 2004, qui a poussé la Grèce à entrer dans la zone euro.

Vers une « pasokisation » de Syriza ?

En réalité, le Pasok n'a guère changé. Il reste un parti « pro-mémorandum » fondé sur une logique de clans. Fofi Yennimata est, d'ailleurs, la fille d'un des fondateurs du parti, Yiorgos Yennimata, cinq fois ministre sous Andreas Papandréou. Avec le Pasok, la volonté réformatrice de Syriza, qui constituait le cœur de son programme de Thessalonique d'août dernier, ne peut qu'être remise à plus tard. Plutôt que de changer réellement le fonctionnement de la société grecque pour la rendre plus égalitaire et plus juste, une telle alliance sera tentée, comme les précédentes, de s'en tenir aux objectifs comptables par le mémorandum et par la troïka. Cette ouverture d'Alexis Tsipras vers le Pasok traduit en réalité l'évolution de Syriza qui, en acceptant les conditions des créanciers, est entré dans le jeu « normal » de la politique grecque. Progressivement, les différences entre Syriza et le Pasok risquent de devenir très réduites. L'ancien parti des Papandréou a, lui aussi, tout en se proclamant de « gauche », appliqué une politique d'austérité dictée par les créanciers. Depuis le début de la campagne, le seul argument de Syriza est celui de défendre un gouvernement « de gauche » en Grèce.

Pari risqué

Ce mouvement d'Alexis Tsipras est donc fort risqué. Pour pouvoir prétendre à la capacité d'assurer la stabilité politique, il met en danger ce qui restait de fort dans le programme de Syriza, autrement dit sa capacité de parti « neuf », capable de rénover le pays et de le réformer réellement. Il prend donc le risque de rajouter de la déception à la déception. Or, l'électorat de Syriza est, selon une enquête de GPO, particulièrement déçu. La moitié seulement des électeurs de Syriza en janvier voteront à nouveau pour ce parti le 20 septembre. C'est le plus faible taux de mobilisation après celui d'ANEL. Il n'est pas certain que le « recentrage » de Syriza et son ouverture vers le Pasok séduisent davantage ces déçus.

Les dangers du transformisme grec

En Italie, il existe un mot pour désigner ce qui se passe en Grèce aujourd'hui : le transformisme. Ce phénomène traduit le recentrage de tous les partis et, une fois le débat électoral factice achevé, la réduction de la politique à la seule lutte pour l'occupation des postes de gouvernement. Ce transformisme a ruiné le parlementarisme italien du début des années 1920 et de l'après-guerre et a provoqué de forts mouvements protestataires. Sous la pression des créanciers, la métamorphose de Syriza est une dernière étape de ce transformisme. Mais la Grèce a besoin de tout sauf de cette évolution qui ne va conduite qu'à renforcer la méfiance envers l'Etat et à fragiliser la démocratie hellénique. Outre les conséquences économiques du troisième mémorandum qui s'annoncent désastreuses, ses conséquences politiques semblent également devoir être fort négatives.