Grèce : Angela Merkel a-t-elle cédé ?

Par Romaric Godin  |   |  1141  mots
Angela Merkel a-t-elle choisi la voie de la conciliation ?
Selon Bloomberg, l'Allemagne ne demanderait plus qu'une "seule réforme" pour convenir d'un accord avec Athènes. Le signe d'une défaite cuisante pour Wolfgang Schäuble ?

On a beaucoup glosé sur les tensions au sein du gouvernement grec et entre Syriza et le premier ministre hellénique Alexis Tsipras. On en a fait la clé des négociations entre la Grèce et ses créanciers. Sans doute trop. Car on a oublié que la véritable clé réside bien plutôt à Berlin, au sein même du gouvernement allemand et de la coalition d'Angela Merkel. Or, ces tensions apparaissent de plus en plus réelles. Le 26 mai déjà, le quotidien conservateur Die Welt révélait que la chancelière et son ministre des Finances étaient sur des positions divergentes concernant l'attitude à tenir face à une Grèce qui refuse de céder aux injonctions de ses créanciers. Ce mercredi 10 juin, c'est un député social-démocrate, vice-président du groupe SPD au Bundestag, Carsten Schneider, qui confirme à la radio Deutschlandfunk que « le groupe parlementaire conservateur est divisé et le gouvernement aussi » sur le sujet grec.

Les deux visions allemandes

Cette division est connue : Wolfgang Schäuble est, depuis fort longtemps, un partisan de l'exclusion de la Grèce de la zone euro, sauf à ce que ce pays se plie aux conditions de ses créanciers. Il voit à cette méthode plusieurs intérêts : un effet « d'exemple » d'abord pour les autres pays qui seraient tentés de « ne pas respecter les règles », une cohérence renforcée ensuite pour la zone euro puisqu'on aura imposé une unique politique économique possible et, enfin, une sécurité pour les contribuables allemands. Face à lui, Angela Merkel refuse de prendre le risque de fragiliser l'euro tant pour des raisons économiques que politiques. Or, plus le blocage actuel de la situation entre la Grèce et ses créanciers oblige le gouvernement allemand à faire un choix entre ces deux positions : ou accepter de faire des concessions à Athènes pour la conserver dans la zone euro ou exiger jusqu'au bout une capitulation grecque au risque du Grexit.

Pourquoi Angela Merkel fait encore monter les enchères

Berlin a déjà lâché un peu de lest en oubliant dans le dernier plan les demandes de réforme du marché du travail et en abaissant les objectifs d'excédents primaires. Mais au prix d'exigences très dures sur les retraites. En fait, dans le jeu auquel se livre Athènes et Berlin, chacun tente de montrer à l'autre qu'il est prêt à la rupture, pour le faire céder en premier. On tente donc d'obtenir de l'adversaire le plus de concessions possibles. Avec le report au 30 juin de l'échéance du FMI, on peut donc encore continuer ce petit jeu. Angela Merkel serait sans doute fort aise de pouvoir présenter à son opinion publique une défaite d'Alexis Tsipras sur le terrain des retraites. Mais si le premier ministre grec ne cède pas et si le défaut se rapproche, il lui faudra nécessairement faire le choix présenté plus haut.

Wolfgang Schäuble sur la touche ?

Or, pour Carsten Schneider, ce choix est déjà fait. « Wolfgang Schäuble peut bien donner des interviews, il ne participe plus réellement aux négociations », a-t-il affirmé dans une autre interview à la chaîne de télévision ZDF. « Angela Merkel lui a retiré son mandat de négociation », ajoute-t-il à la Deutschlandfunk, avant de comparer le sort de Wolfgang Schäuble à celui de Yanis Varoufakis, qui avait été mis en retrait des négociations en mai par Alexis Tsipras. Désormais, donc, Wolfgang Schäuble ne servirait plus que d'aiguillon, jetant volontiers de l'eau sur le feu, évoquant à l'envi dans la presse, le Grexit ou le « Graccident », mais il n'aurait plus aucune prise sur les discussions. Du reste, sa ligne a déjà été largement écornée par les concessions acceptées par les créanciers dans leur dernier plan. Carsten Schneider, qui n'a sans doute pas parlé sans l'accord des dirigeants sociaux-démocrates présents dans le gouvernement, pourrait donc bien avoir raison.

Menace de la SPD

Angela Merkel pourrait donc avoir fait le choix d'une solution de compromis avec Athènes. Le durcissement de ses derniers jours serait tactique. A la fois pour faire céder, si c'est encore possible, Alexis Tsipras et pour montrer aux députés conservateurs allemands sa détermination à le faire. Mais Carsten Schneider se dit certain que « le groupe parlementaire conservateur suivra sa chancelière. » Du reste, prévient-il, si ce n'est pas le cas « ce sera la fin de ce gouvernement. » par la bouche de Carsten Schneider, la SPD met donc directement en garde la chancelière sur une explosion de la « grande coalition » en cas d'échec des négociations avec la Grèce.

Or, si les sondages demeurent encore largement favorables à la chancelière, il n'est pas certain que cette dernière ait envie de se lancer dans une campagne électorale maintenant, alors même qu'elle est engluée dans l'affaire de la collaboration entre les services secrets allemands et étatsuniens qui lui coûte cher en popularité. De même, des élections anticipées sur fond de rumeurs de Grexit pourrait donner une nouvelle vie aux Eurosceptiques d'AfD actuellement en voie de dissolution en raison de leurs divergences internes. Bref, le moment est assez mal choisi, d'autant qu'un accord avec la Grèce bénéficiera sans doute d'une large majorité au Bundestag, les groupes du Parti de gauche Die Linke et des Verts votant sans doute en sa faveur...

« Où il y a une volonté, il y a un chemin »

Dans ce cadre, le refus sec du « plan grec modifié » par la Commission ce mardi 9 juin, ne doit pas être interprété comme le signe d'un blocage irrémédiable de la part des créanciers. C'est bien plutôt un moyen de faire monter la pression. Mais Angela Merkel a, ce mercredi en début d'après-midi, affirmer par une phrase sibylline que les négociations continuaient : « où il y a une volonté, il y a un chemin. » Comprenez : la négociation se poursuit. Au reste, le vice-président de la Commission Valdis Dombrovskis, a reconnu que les créanciers « sont prêts à étudier des alternatives aux coupes dans les retraites. » Or, ces coupes sont le principal obstacle qui empêche aujourd'hui un accord. Selon Bloomberg qu cite deux personnes familières des discussions, l'Allemagne se contenterait désormais "d'une seule réforme". S'il n'est pas sûr qu'un accord soit trouvé la semaine prochaine, comme l'affirme Carsten Schneider, ni même qu'un accord soit in fine trouvé, il semble que la ligne Merkel, celle qui refuse la rupture avec la Grèce et le risque d'un Grexit l'ait bien emporté sur celle de Wolfgang Schäuble. Ce serait incontestablement une victoire pour Alexis Tsipras qui serait le fruit de sa persévérance.