Grèce : Comment Alexis Tsipras tente de contourner les blocages des créanciers

Par Romaric Godin  |   |  1523  mots
Les négociations vont se rouvrir. Sans Yanis Varoufakis.
Une nouvelle phase de négociations s'ouvre jeudi 30 avril à Bruxelles. Alexis Tsipras tente de contourner le blocage des créanciers, mais ces derniers jouent la politique du pire. La date du 12 mai semble la prochaine date butoir.

Encore une fois, Alexis Tsipras, le premier ministre hellénique a effectué un mouvement tactique plutôt réussi. En remaniant l'équipe de négociations avec les créanciers, et éloignant Yanis Varoufakis de ces discussions, il a ôté à la partie adverse un de ses arguments pour bloquer les discussions. Jusqu'ici, les ministres de l'Eurogroupe se plaignait des manières du ministre. Jeudi à Riga, ils ont prétendu qu'il était superficiel et qu'il faisait perdre du temps aux négociations ? Fort bien, Alexis Tsipras leur sacrifie l'homme. Mais ne bouge pas sur le fond. Les membres de l'Eurogroupe n'auront plus à parler à Yanis Varoufakis, mais la partie grecque n'entend pas revenir sur son refus des mesures austéritaires : Athènes n'accepte toujours ni réforme du marché du travail, ni privatisations irréfléchies, ni réforme du système de retraites.

Ôter l'excuse Varoufakis

Sauf que, désormais, les créanciers de la Grèce n'ont plus guère « l'excuse Varoufakis » pour bloquer les discussions. Lors de l'ouverture de nouvelles discussions demain jeudi 30 avril à Bruxelles, il va leur falloir faire face à leur responsabilité et assumer leur refus du compromis et, partant, le blocage provoqué de l'économie grecque. Autrement dit, contrairement à ce que les médias du monde entier ont prétendu depuis deux jours, la « mise à l'écart » de Yanis Varoufakis (relative, car rappelons qu'il demeure ministre des Finances) n'est qu'une « concession » apparente. Elle ôte en réalité des mains des créanciers un moyen de « gagner du temps. » « Nous allons désormais pouvoir réellement apprécier si le blocage était lié à des questions de personnes ou à des questions de forme », indique une source gouvernementale grecque à La Tribune.

Montrer la « volonté de réformes »

Parallèlement donc au remaniement de l'équipe de négociation, Alexis Tsipras a lancé une nouvelle offensive. Une « loi multiple » est en effet en préparation et sera soumise très rapidement au parlement. Cette loi reprend l'essentiel des mesures présentes dans la dernière « liste de réformes » présentée à l'Eurogroupe. Là encore, c'est un mouvement tactique qui ôte un argument de poids aux créanciers : celui de la procrastination grecque, de l'incapacité du gouvernement à agir, etc. Le vote de cette loi, mais aussi la progression des recettes fiscales à partir de la fin février, viennent clairement contrecarrer cette posture des Européens qui l'utilisent pour affirmer qu'Athènes « sape la confiance. » Mais encore une fois, le gouvernement grec ne cède pas sur l'essentiel. Bref, ce sera du Varoufakis, sans Varoufakis. Le mouvement est assez subtil pour prendre les créanciers à leur propre jeu.

Le détail des réformes

Le détail de cette loi est, selon la même source, encore l'objet d'arbitrage au sein des ministères helléniques, mais l'essentiel a été présenté dans le quotidien Proto Thema de ce mercredi 29 avril. De quoi s'agit-il concrètement ? D'abord, de l'amélioration des collectes de TVA. Proto Thema affirme que l'usage de la carte de paiement sera obligatoire dans les îles touristiques, à partir de 50 ou 70 euros. Mais il semble qu'il pourrait y avoir un plan plus global, moins fragmenté, pour généraliser et sécuriser l'usage des paiements électroniques. La mesure pourrait donc être suspendue pour mettre en place un programme plus vaste. Parmi les autres mesures prévues par la « loi multiple », on notera aussi une augmentation de la « taxe de luxe » et l'établissement d'une taxe sur les publicités télévisées, et, sans doute, sur les publicités en ligne. L'adjudication des fréquences télévisuelles, jamais achevée officiellement depuis la fin des années 1980, devrait aussi améliorer les revenus de l'Etat.

Améliorer les recettes de l'État

Ce qui est intéressant dans ce projet de loi, c'est qu'il insiste beaucoup sur la capacité de l'État à améliorer les rentrées fiscales. Ainsi, il est prévu de modifier le code pénal pour prévoir non seulement des amendes en cas de non paiement des impôts, mais aussi des sanctions pénales. D'autre part, ce projet prévoit la mise en place d'une procédure de paiement obligatoire par saisie sur le compte bancaire des amendes et des factures. Le Secrétariat général aux recettes publiques sera désormais indépendant. Enfin, un système de loterie sur les reçus de paiement sera mis en place. Ce système qui vise à diminuer les paiements non déclarés a déjà été mis en place avec succès dans d'autres pays, notamment à Taïwan, en Roumanie ou à Malte.

Une nouvelle concession athénienne ?

Le dernier point est la possibilité de maintenir l'impôt sur la propriété l'Enfia. Pour le moment, ce projet ne sera pas compris dans le projet de loi, et selon Proto Thema, le maintien de cette taxe, créée à la demande de la troïka et que Syriza avait promis de supprimer, serait une « dernière carte » pour faire céder les créanciers. Il faut cependant se méfier de ces informations de presse sur les « concessions » du gouvernement grec. Lundi, Bild Zeitung affirmait que le gouvernement renoncerait à relever le salaire minimum à son niveau d'avant-crise. Mardi, c'était le quotidien hellénique conservateur Kathimerini qui annonçait l'introduction possible d'un taux de TVA unique de 18 % qui relèverait ainsi le prix des produits de première nécessité. Il semble que toutes ces informations soient le fruit d'une surinterprétation qui permet de créer une « atmosphère de défaite » autour du gouvernement. On le voit, chacun use des armes comme il le peut.

Selon une source hellénique proche des négociations, le relèvement du salaire minimum n'a jamais été abandonné. Dès février, avant même la moindre pression des créanciers, le nouveau gouvernement avait abandonné l'idée d'un relèvement complet immédiat de 683 euros mensuels sur douze mois à 751 euros. L'idée d'une augmentation progressive a été privilégiée et des discussions portent sur le rythme de ce relèvement. Il n'est pas question d'abandonner ce relèvement progressif, mais l'information de Bild met naturellement la pression dans ces discussions.

La stratégie des créanciers : la politique du pire

Ces « informations » lèvent, du reste, le voile sur les difficultés des négociations et leur vraie nature. « Ces prétendues concessions sont des sortes de pièges qui traduisent le fait que, plus on avance dans les négociations, plus les demandes des créanciers sont larges », souligne une source grecque proche du gouvernement. Il semble que les Européens tentent d'imposer non pas un accord sur des points ponctuels comme le prévoyait l'accord du 20 février, mais un accord « global », reprenant en quelque sorte les termes de la « 5ème revue » qui avait débuté dans le cadre du mémorandum de 2012. Reste qu'il y a aussi une forme d'action désespérée dans cette démarche. Les créanciers jouent donc la politique du pire. Ou plus exactement, devant la résistance hellénique, les créanciers tentent de pousser au maximum leur avantage avant de céder à la veille de la « rupture. » « Ils essaient de prendre tout ce qu'ils peuvent en attendant, mais nous allons voir jusqu'où ils sont prêts à aller », souligne la même source.

La menace du 12 mai

Le mouvement tactique d'Alexis Tsipras vise donc à tenter de désamorcer cette politique en leur ôtant des raisons de bloquer. Mais la pression s'exerce aussi via le calendrier. La date du 12 mai, lorsque la Grèce devra rembourser plus de 700 millions d'euros, devient à nouveau décisive. « Nous sommes incapables de dire si nous disposerons ou non de cet argent à cette date, mais il est certain que ce sera très difficile », dit-on à Athènes. Devant cette incertitude, Athènes table toujours sur le recul des Européens devant le risque « d'accident. » Et du côté européen, on doit penser que les Grecs ont la même crainte. C'est ce que suppose les déclarations de Pierre Moscovici et de Jeroen Dijsselbloem sur le mode du « temps presse. »

Vers un accord a minima ?

Le vice premier ministre grec, Yannis Dragasakis a demandé mardi un « accord sur le minimum » pour obtenir au moins un ballon d'oxygène de la BCE sur l'ELA. D'autres demandent un accord partiel pour libérer une partie des 7,2 milliards d'euros qui demeurent dans l'argent « disponible » pour la Grèce. Rappelons que cette idée du « minimum » était déjà celle du 20 février. Ce serait une nouvelle fois un report à plus tard du règlement du problème, une porte de sortie provisoire. Mais rappelons que l'essentiel du blocage n'est pas financier ou économique, il est politique. Et que, de ce fait, toute solution semble une défaite à l'une ou l'autre partie. Ce qui rend aujourd'hui la conclusion d'un accord très difficile politiquement, pour les deux parties. C'est dire si l'optimisme de façade du gouvernement grec sur un possible accord dans les jours à venir ne doit pas être pris au pied de la lettre.