Grèce : débats à l'Eurogroupe autour d'un "plan B"

Par Romaric Godin  |   |  1298  mots
Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe
Certains membres de l'Eurogroupe voudraient qu'on réfléchisse à un plan B en cas d'échec des négociations avec la Grèce. Une question très délicate qui prouve la position fragile des Européens dans les discussions.

L'Eurogroupe est-il sur le point de se diviser sur la question grecque ? Après la réunion de vendredi, certains ministres des Finances ont exprimé ouvertement leurs inquiétudes quant à l'existence d'un « plan B » si aucun accord ne pouvait être trouvé avec le gouvernement grec. C'est le cas notamment du ministre des Finances slovène Dusan Mramor qui, au  cours de la réunion de l'Eurogroupe a soulevé la question : « Que faire en cas d'échec des négociations ? » Selon Bloomberg, qui cite « deux personnes proches des discussions », plusieurs autres ministres des Finances ont soulevé la même interrogation durant la réunion et lors de conversations privées.

Préparer un plan B ?

« Ce que j'ai voulu porter à la discussion était ce que nous ferions si aucun nouveau programme n'est réalisé à temps pour que la Grèce puisse se refinancer et améliorer sa liquidité », a indiqué Dusan Mramor estimant qu'un « plan B peut être n'importe quel plan. » Alors que le risque d'un défaut grec se rapproche, beaucoup au sein de l'Eurogroupe semble s'inquiéter des conséquences qu'il pourrait avoir sur la zone euro, notamment s'il se mue en sortie de la Grèce de la zone euro. Selon Bloomberg, des ministres ont également fait part de leur mauvaise humeur concernant le refus du commissaire européen Pierre Moscovici de préparer des alternatives en cas d'échec des discussions avec la Grèce.

Ne pas inquiéter les marchés

La situation devient particulièrement délicate pour l'Eurogroupe. La possibilité croissante d'un défaut grec les obligerait à préparer une alternative, mais ils savent que prendre en compte réellement cette option reviendrait à accepter l'échec des discussions. Comme le souligne Bloomberg, le risque est donc que ce « plan B » devienne une prophétie autoréalisatrice qui affole les marchés, lesquels auront tôt fait d'y voir le signe évident que la zone euro est décidée à abandonner la Grèce. Mais la voie est étroite, car si les discussions échouent et que la Grèce, effectivement, doit faire défaut, il faudra trouver un moyen de contenir la panique inévitable sur les marchés. Autrement dit, l'Eurogroupe n'a pas réellement d'alternative à un accord. C'est le message qu'a voulu lui envoyer le ministre grec des Finances en martelant vendredi que « qui parle de plan B est anti-européen. » « Ma réponse immédiate a été de dire qu'il n'y a pas de plan B et qu'il ne peut y en avoir », a précisé Yanis Varoufakis.

« Risque superflu »

Ce débat au sein de l'Eurogroupe montre que le scénario avancé depuis le mois de janvier 2015 selon lequel le défaut ou le Grexit serait une catastrophe pour la Grèce, mais un événement « gérable » par la zone euro ne tient plus. Certains pays s'inquiètent désormais clairement des conséquences d'une rupture entre la Grèce et la zone euro.

Pourtant, évidemment, nul n'est dupe, les gouvernements et la BCE travaillent déjà à un plan B. Wolfgang Schäuble a ainsi élégamment répondu à la question des journalistes sur un plan B : « si un politique responsable répond oui à cette question, vous savez ce qui va se passer, s'il répond non, vous ne me croirez pas. » Plusieurs informations ont déjà fait état de travaux sur les conséquences d'un défaut grec ou d'un Grexit.

Alors pourquoi certains ministres osent-ils ouvrir le débat publiquement ? Peut-être parce que ces « plans B » ne sont-ils pas très convaincants et que ces ministres commencent à s'inquiéter des conséquences d'une rupture. A l'image des Etats-Unis. Vendredi, Jason Furman, chef des conseillers économiques de la Maison Blanche a affirmé qu'une « sortie de la Grèce ne serait pas juste mauvaise pour l'économie grecque, ce serait prendre un très grand et peu nécessaire risque pour l'économie mondiale, juste au moment où les choses commencent à repartir. »

La contagion maîtrisée ?

Le ministre slovène a sans doute des raisons de s'inquiéter. Son pays n'a échappé que de peu au « plan d'aide. » Il a tout à craindre d'une contagion. Or, si les taux sont désormais très bas pour les pays « périphériques », on constate depuis un mois une nouvelle tension, certes limitée, mais d'autant plus remarquable que la BCE a commencé à racheter des obligations sur les marchés dans le cadre de son programme d'assouplissement quantitatif. Ainsi, alors que le taux à 10 ans allemand baissait de 6 points de base en un an et que celui de la France baissait de 8 points de base, celui de la Slovénie a monté en un mois de 8 points de base, celui de l'Italie de 11 points de base, de l'Espagne de 10 points de base et du Portugal de 17 points de base. On est encore loin d'une quelconque crise, mais c'est un signal d'inquiétude envoyé par les marchés. En cas de Grexit, les marchés tenteront sans doute de « tester » la capacité de la zone euro à défendre son unité en attaquant certains de ses points faibles : Portugal, Slovénie, Chypre, par exemple.

Armes à double tranchant

La zone euro dispose certes désormais d'armes défensives comme le MES et l'OMT de la BCE, mais ce sont des armes à double tranchant. Concernant l'OMT, le programme de rachat illimité de dettes par la zone euro, la décision du 14 février de la Cour de justice de l'UE précise explicitement qu'il ne doit pas intervenir dans la constitution du prix de marché des taux. Par ailleurs, l'OMT reste sous la menace, s'il est activé, d'une censure de la Cour de Karlsruhe et donc d'une interdiction faite à la Bundesbank d'y participer. Un risque de division que la BCE voudra sans doute éviter. Enfin, l'OMT doit s'accompagner d'un plan d'ajustement, via le MES. Ce serait un mauvais signal envoyé aux agents économiques, alors que l'on tente de soutenir la reprise.

Du reste, pour obtenir l'aide du MES, il faudra obtenir le feu vert de plusieurs gouvernements, et ceci risque de poser encore des problèmes. Les Etats membres sont-ils prêts à encore dépenser des milliards pour contenir la contagion ? Et ces milliards d'euros ne manqueront-ils pas à l'économie européenne ? Plus généralement, un défaut grec sur les titres de la BCE obligerait sans doute cette dernière à demander une augmentation de capital aux Etats, car ses réserves sont faibles et elle a déjà pris des risques avec le QE. Comment réagira la Bundesbank et l'Allemagne ? L'application de l'OMT est-il envisageable dans ces conditions ?

Pour finir, il faudra régler le problème du système Target 2, le système de compensation des paiements entre banques centrales, qui, en cas de Grexit, devra être compensé. La Grèce affiche un déficit target 2 de 96 milliards d'euros à fin mars contre 41 milliards d'euros en novembre, fruit des fuites de capitaux. On comprend les difficultés du « plan B »...

Nervosité à l'Eurogroupe

Il est donc logique que tous tentent de s'en tenir au plan A, celui d'un accord. Mais cette confusion au sein de l'Eurogroupe sur la stratégie à suivre en cas d'échec montre que la nervosité est forte en son sein. D'autant que la Grèce semble déterminée à ne pas lâcher sur l'essentiel. Jeudi, Yanis Varoufakis avait accepté certaines concessions, comme favoriser un départ effectif plus tardif à la retraite, mais refusait toujours les réformes du marché du travail et l'allongement de l'âge légal de départ à la retraite. Samedi 25 avril, Athènes a, de nouveau, évoqué la possibilité d'élections anticipés en cas de rupture avec la zone euro. Le plan B grec serait-il plus convaincant que celui des Européens ?