Grèce : la BCE et la Commission changent la nature du référendum

Par Romaric Godin  |   |  1517  mots
Les institutions s'engagent dans la campagne référendaire
Les institutions européennes s'engagent, avec des menaces et des pressions, en faveur du "oui" au 5 juillet. Une politique contestable.

La décision de la BCE de geler dimanche 28 juin le plafond de l'accès des banques grecques à la liquidité d'urgence (le programme ELA) a modifié entièrement la nature du référendum qui se tiendra dimanche 5 juillet en Grèce. En théorie, la question posée aux électeurs grecs sera de savoir s'ils acceptent ou non les dernières propositions soumises officiellement par les créanciers le 25 juin dernier. Mais ce gel du programme ELA a rendu inévitable l'instauration de restrictions bancaires importantes. Et depuis que ce lundi 29 juin, les banques helléniques sont fermées et que les rues de Grèce se sont couvertes de longues queues devant les distributeurs de monnaie, la vraie question à laquelle l'électeur grec devra répondre est très différente.

La BCE fait campagne pour le « oui »

La manœuvre est subtile de la part de la BCE. En choisissant de mettre la pression sur les banques grecques durant la campagne référendaire, elle prévient implicitement que l'électeur aura le choix entre la réouverture des banques le 7 juillet ou la poursuite de leur fermeture. Elle inquiète naturellement une partie des déposants grecs qui se souviennent du sort des comptes chypriotes en 2013 et qui savent que, pour eux, la limite de 100.000 euros appliquée à Chypre ne sera sans doute pas valable. Elle crée aussi une tension qui, ce lundi, était de plus en plus palpable à Athènes. Tout ceci a évidemment un but politique : arracher un « oui » à la population.

Certes, la BCE peut se dissimuler derrière des arguments solides : l'ELA est conditionné à la perspective d'un accord car si l'Etat grec fait faillite, les banques deviennent insolvables. Mardi, le plan « d'aide » deviendra caduc, aucun accord n'est donc possible. Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas avoir, comme le demandait le président de la Buba Jens Weidmann, couper l'ELA purement et simplement ? Si la BCE estime que le référendum apporte encore l'espoir d'un accord grâce à un « oui », elle aurait dû fournir aux banques grecques les liquidités suffisantes jusqu'au vote, pour ne pas l'influencer. Elle a préféré un jeu plus subtil qui lui permet, en réalité, de peser lourdement dans la campagne. En faveur du « oui », bien sûr. De ce point de vue, la BCE sort de son rôle purement monétaire et devient un acteur politique de l'affaire grecque. Elle tente de maintenir la Grèce dans la zone euro en se débarrassant du gouvernement Tsipras.

Jean-Claude Juncker s'engage

Le but des dirigeants européens est évidemment le même. Et pour le satisfaire, ils ont été plus francs dans leurs déclarations. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, lundi midi, n'a pas caché qu'il en faisait un vote pour ou contre le maintien dans la zone euro et dans l'Union européenne :

« Si le peuple grec, responsable, conscient du rôle et national et européen qu'il joue, votait "oui", le message tel qu'il serait reçu dans les autres pays membres de la zone euro, et au-delà de l'Union européenne, et au-delà de la société mondiale, voudrait dire que la Grèce veut rester ensemble avec les autres pays membres de la zone euro et de l'Union européenne », a déclaré le président de la Commission.

Un peu plus tard, Matteo Renzi, a twitté en anglais que l'enjeu du vote était « euro vs Dracma (sic). C'est cela le choix. »

 Menaces européennes

Le but des créanciers est donc clairement de dramatiser l'enjeu du referendum pour faire entendre au people grec qu'il ne peut être question de poursuivre les négociations avec le gouvernement en cas de « non. » Or, c'est un des arguments d'Alexis Tsipras : en cas de « non », le premier ministre grec promet que la Grèce sera en position renforcée pour engager de nouvelles discussions sur la base du même programme que celui de Syriza : réduire l'austérité en se maintenant dans la zone euro. Un argument que les dirigeants européens qui, ce lundi, sont entrés en campagne pour le « oui » s'acharnent à démonter en faisant croire qu'ils sont prêts à provoquer le Grexit en cas de vote contraire. Pire, Jean-Claude Juncker indique que la place de la Grèce dans l'UE serait en jeu, ce qui n'a guère de sens.

Peur européenne du « non »

Cette position pose problème. D'abord, il s'agit d'une ingérence dans la vie politique d'un Etat membre, ce qui est assez contestable. Il en résulte une radicalisation visible des positions au sein de la population entre les forces pro-institutions et les autres qui se révèle déjà palpable sur les réseaux sociaux et dans les média. Cela présente un risque élevé dans un pays rongé par la crise et soumis à une fermeture des banques.

Surtout, il cache une peur certaine du « non ». La BCE a montré encore dimanche que si elle était un adversaire d'Alexis Tsipras, elle rechignait encore nettement à engager la mécanique du Grexit en coupant l'ELA. Or, elle seule peut provoquer la sortie de la Grèce de la zone euro. Les chefs d'Etats et de gouvernements de la zone, quoi qu'ils en disent, ne peuvent pas provoquer le Grexit, ils ne peuvent que provoquer le défaut de la Grèce. La question reste donc la même : la BCE est-elle prête à exclure un membre de la zone euro en créant un précédent dangereux ? Et : les gouvernements sont-ils prêts à accepter de prendre des pertes sur les prêts à la Grèce ? La réponse semble encore être non. Et la meilleure preuve en est précisément cette campagne agressive pour le « oui » au référendum, afin de ne pas se trouver dans la possibilité de devoir faire face à un « non », donc à un choix désagréable : engager le Grexit ou de nouvelles négociations ? Jean-Claude Juncker ce lundi a exhorté les Grecs à ne pas « choisir le suicide par peur de la mort. » Mais cette peur de la mort semble aussi partagée par les institutions européennes. D'où cette campagne très vive pour le « oui. »

Le « oui » serait-il une solution à la crise ?

L'ennui, c'est que le « oui » sera peut-être un piège aussi redoutable que le « non » pour les créanciers. Alexis Tsipras peut respecter ce vote comme il l'a laissé entendre et s'engager à appliquer le plan des créanciers. Mais les relations avec la troïka seront forcément exécrables et le gouvernement ne manquera sans doute pas une occasion de contester ce plan pendant sa durée. Surtout, le gouvernement grec pourrait se montrer moins coopératif dans d'autres domaines de la politique de l'UE, on pense notamment aux relations avec la Russie.

Mais le scénario le plus probable est celui d'une démission du gouvernement Tsipras. Selon une source grecque, « tous les ministres, même les plus modérés, sont décidés à ne pas appliquer le plan des créanciers. » Les créanciers auront alors réussi leur pari : se débarrasser de ce gouvernement. Mais ensuite ? Un mois après, de nouvelles élections risquent de replonger la Grèce dans une crise politique. Syriza reste très populaire en Grèce, pour des raisons indépendantes des négociations, qui sont son « innocence » dans le système clientéliste grec. Tout peut changer après le 5 juillet. Mais il est possible que Syriza gagne à nouveau ces élections. Les dernières enquêtes indiquent que même en se regroupant, les partis « pro-mémorandum » (Nouvelle Démocratie, Potami et Pasok) ne passeraient pas devant Syriza (36 % contre 39 % dans le dernier sondage Alco). Cette réélection serait une impasse politique pour la Grèce. Reste le scénario rêvé par les Européens : une victoire des forces « pro-européennes » précitées. Dans ce cas, il est à souhaiter que la médication européenne permettent à la Grèce de disposer d'une croissance forte et bien redistribuée (mais on peut en douter).

Car Alexis Tsipras pourrait autrement rapidement jouer le rôle de recours en s'auréolant du statut de celui qui a résisté pendant six mois à la troïka, victime d'un « coup d'Etat financier. » Il pourrait alors tenir le rôle du « grand homme » grec du 20e siècle, Eleftherios Venizélos, qui a, plusieurs fois, quitté la vie politique pour être rappelé en héros dans les années 1920 et 1930. A moyen terme, la stratégie des Européens apparaît d'autant plus risquée que cette ingérence et les humiliations subies par le pays durant les négociations ne vont pas manquer dans l'avenir de peser lourd dans les relations entre la Grèce et l'Europe. On pourra le cacher quelque temps, mais les plaies resteront longtemps ouvertes.