Grèce : la mécanique du défaut

Par Romaric Godin  |   |  1854  mots
Après le défaut, la Grèce sortira-t-elle de la zone euro ? (Photo: le 12 juin, le drapeau européen flotte devant la Bourse d'Athènes)
Le défaut grec vis-à-vis du FMI semble de plus en plus probable. Quelles en seront les conséquences ? Comment peut-il mener au Grexit ?

L'option d'un défaut grec sur ses dettes du FMI, le 30 juin, est désormais probable, compte tenu de l'impasse dans laquelle se trouvent les discussions. Désormais, aucun accord global permettant d'offrir une solution de long terme à la Grèce ne semble pouvoir se dessiner. Que va-t-il alors se passer ?

L'échéance du 30 juin

Il est évident aujourd'hui que la Grèce ne pourra pas payer les échéances regroupées qu'elle doit au FMI, soit environ 1,6 milliard d'euros (le chiffre peut varier en fonction du cours des droits de tirage spéciaux du FMI, sa monnaie « officielle »). Les statuts du FMI prévoient une « période de grâce » de 30 jours pendant laquelle la Grèce ne sera pas encore officiellement en défaut de paiement vis-à-vis de l'institution de Washington. Ce n'est donc que le 30 juillet que le FMI considérera officiellement qu'Athènes n'a pas honoré ses engagements. Autrement dit, le 30 juin n'est qu'une étape.

Le 20 juillet, vrai échéance ?

Si l'Eurogroupe décide de prolonger l'actuel programme d'aide à Athènes qui vient aussi à échéance théoriquement le 30 juin, les discussions pourront se poursuivre pour parvenir à un accord avant le 30 juillet. Dans ce cas, la Grèce paiera le FMI à temps et évitera le défaut officiel. Mais attention : la Grèce doit encore payer, le 13 juillet, 450 millions d'euros au Fonds. Compte tenu de l'échéance du remboursement des obligations détenues par la BCE pour un montant de 3,5 milliards d'euros le 20 juillet, la Grèce devra débourser sur ce seul mois de juillet 5,55 milliards d'euros. Si les 7,2 milliards d'euros restant dans le programme d'aide sont donc débloqués moyennant des réformes douloureuses pour la Grèce, ils seront donc quasiment immédiatement engloutis par les échéances de juillet. Or, en août, il faut encore rembourser 3,2 milliards d'euros à la BCE, puis, durant le mois de septembre, encore 1,5 milliard d'euros au FMI.

Un accord pour rien ?

Les concessions grecques, faute d'un accord global sur la dette, ne conduiraient qu'à une nouvelle course aux différentes échéances. En acceptant l'austérité exigée par les créanciers, le gouvernement grec aura non seulement abdiqué ses engagements devant les électeurs, mais il se sera mis de lui-même dans une position de faiblesse, obligé au bout de quelques mois de quémander un troisième plan d'aide aux conditions, évidemment des créanciers. Bref, un accord au dernier moment ne ferait de repousser très temporairement le spectre du défaut.

Le FMI déclare le défaut

Si la Grèce ne paie pas au 30 juillet, elle sera donc en situation officielle de défaut. Dans le mois suivant, la directrice générale du FMI demandera l'ouverture d'une plainte contre la Grèce au directoire du FMI. Progressivement, l'institution de Washington va stopper toute coopération avec le pays mauvais payeur qui peut être suspendu dans les 18 mois, puis dans les six mois suivants, exclu du FMI. Cette extrémité n'a jamais été atteinte, mais le FMI a souvent dû accepter des restructurations des arriérés pour récupérer sa mise. Le plus probable sera donc que des négociations s'ouvriront pour étaler davantage les paiements. Le Soudan, le Pérou, le Libéria ou la RDC ont déjà connu des défauts sur les remboursements au FMI. Mais le FMI ne pourra plus participer à aucun programme avec la Grèce. A noter, cependant, que ce sera le plus important défaut de l'histoire du Fonds. Jusqu'ici, le record est détenu par le Soudan pour 1,25 milliard d'euros.

Défauts en cascade ?

En réalité, le défaut sur le FMI n'est pas le problème principal. Le problème, c'est que ce défaut peut entraîner d'autres défauts. Lors des « sauvetages » précédents de la Grèce, le FMI et les Européens se sont déclarés créanciers solidaires. Une fois effectif le défaut officiel, le 30 juillet, le Fonds européen de Stabilité financière (FESF), géré par le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui est le créancier principal de la Grèce et est constitué des pays de la zone euro, pourrait décider d'exiger le remboursement immédiat de ses créances envers la Grèce. C'est l'article 9/1-i du mémorandum signé avec la Grèce en 2012. Le texte précise que le FESF « peut exiger » le retour des sommes versées, il n'y est donc pas obligé et on peut avoir encore une période d'attente où des discussions se poursuivraient. Mais s'il le fait, la Grèce ne pourra évidemment pas payer. Or, un défaut sur le FESF entraînera la déclaration de défaut sur la plupart des titres de la dette publique grecque. Dès lors, les banques grecques seront sans doute en faillite compte tenu de la perte de valeur de la dette publique grecque qu'elles détiennent dans leurs bilans.

La BCE devient un acteur clé

Dans ces conditions, légalement, la BCE ne pourra maintenir l'accès du système financier grec à l'aide à la liquidité d'urgence, autrement dit au programme ELA, qui est réservé aux banques solvables ayant des problèmes « temporaires » de liquidité. Dès lors, les banques ne pourront plus fournir de liquidités à l'économie grecque qui s'effondrera. Du reste, la question de l'accès à ELA peut se poser plus en avant. En théorie, le simple défaut du FMI et encore moins le pré-défaut du FMI du 30 juin ne change rien à la situation des banques grecques. Si elles sont solvables aujourd'hui, comme le prétend la BCE, elles le seront tout autant le 1er juillet. Sauf que le signal du 30 juin risque de déclencher une accélération des retraits des dépôts dans les banques grecques. La BCE pourrait alors stopper l'ELA ou demander plus de garanties (de collatéraux), ce qui reviendrait à en réduire l'usage. Dans ce cadre, le défaut inévitable sur les titres grecs détenus par la BCE le 20 juillet, pourrait inciter la BCE à durcir le ton avant la fin du mois d'août, surtout si aucun accord n'est encore en vue. S&P a cependant précisé ce lundi que ce non paiement ne constituerait pas un défaut officiel. Dans tous les cas, on le voit, le défaut grec mène inévitablement à la question du maintien de l'ELA.

Le dilemme de la BCE

La BCE devra donc prendre une décision cornélienne : ou suivre les « règles » et couper l'ELA et prendre le risque d'assumer les conséquences d'une « exclusion » d'un membre de la BCE qui rendrait alors l'euro réversible, ou continuer à laisser survivre le système bancaire grec et donc, en quelque sorte, reconnaître qu'elle craint la menace de Grexit. Dans ce cas, ce serait une victoire pour le gouvernement grec, car il aura alors fait la preuve qu'il a là une carte majeure en main. Incapables d'exclure la Grèce de la zone euro, les créanciers devraient alors accepter un compromis favorable à Athènes. Là encore, c'est une raison pour Alexis Tsipras de ne pas céder aujourd'hui aux exigences des créanciers.

Monnaies parallèles ?

Et si l'ELA est coupé ? Le gouvernement grec aura pour première tâche de rétablir de la liquidité dans l'économie. Pour cela, il devra instaurer un contrôle des capitaux, ce qui est possible à l'intérieur de la zone euro, comme l'a montré le précédent chypriote. Mais cela risque de ne pas suffire. Il faudra pallier à l'absence de liquidités. Pour cela deux solutions : instaurer rapidement une monnaie nationale ayant seule cours légal en Grèce ou  mettre en place une ou des monnaies parallèles. Eric Dor, directeur des études économiques de l'IESEG à Lille, estime que trois « monnaies parallèles » avec l'euro sont possibles : les « IOU », dettes du gouvernement qui auront valeur monétaire ; des « certificats de dépôts bancaires » émis par les banques et, enfin, des certificats de crédit d'impôts qui seraient reçus en paiement des impôts. Elles peuvent avoir des vertus : la première étant de demeurer dans la zone euro, donc de ne pas « brûler ses vaisseaux. » Des discussions pourront ainsi continuer à être menées en montrant aux créanciers que la Grèce est déterminée à aller jusqu'au bout. Mais les ressources de ces monnaies sont limitées. Ce sont des solutions d'attente, de la « dernière chance. » A terme, la monnaie « grecque » perdra de la valeur face à des euros qui se feront rares. C'est la loi de Gresham : la mauvaise monnaie chasse la bonne. L'État devra alors émettre de plus en plus de monnaie « grecque », entrant dans un cercle vicieux encore moins aisé à maîtriser qu'un simple Grexit. Du reste, la BCE a déjà déclaré que ce type de monnaie étaient illicites en zone euro, ce qui pourrait encore marginaliser le pays. In fine donc, il faudra passer à l'instauration d'un régime monétaire national si les créanciers restent intransigeants.

Coût du Grexit pour la zone euro

En laissant la Grèce faire défaut sur le FMI, les créanciers prennent donc le risque de lancer une machine infernale conduisant au Grexit. Reste pour eux à évaluer les risques d'un tel Grexit. Certains, notamment en Allemagne, semblent décidés à aller vers cette issue le cœur léger, certains que ce ne sera que le problème des Grecs. Ils devraient y songer à plusieurs fois. Alors que certains économistes, comme Wolfgang Munchau dans le Financial Times, Philippe Legrain dans Foreign Policy ou Jacques Sapir, sur son blog, jugent que la Grèce peut faire face à un Grexit, ce serait à coup sûr, la perte des créances pour les Européens et le contribuable allemand n'y gagnerait rien en réalité. Les conséquences politiques seraient aussi sans doute considérables, car ce serait la fin de l'irréversibilité de l'euro.

Enfin, ceux qui estiment que les conséquences seraient contenues à la Grèce peuvent remarquer que les marchés financiers suivent avec anxiété les évolutions des négociations. Dans un contexte de hausse des taux longs, il n'est pas sûr que les pare-feu de la BCE soient efficaces pour contenir un nouvel écartement des taux. Enfin, ce Grexit sera-t-il une leçon politique pour les Eurosceptiques ou, au contraire, un encouragement à réclamer des restructurations de dettes ? Si l'exemple grec tourne mal, il est peu probable que la BCE et les dirigeants européens prennent le risque de renouveler l'expérience. S'il tourne bien, les peuples pourraient s'interroger sur les vertus de l'euro... Autant de tentations que la zone euro serait bien avisée de ne pas réellement poser... Bref, peut-être est-on dans un moment assez semblable à celui qui précéda le 15 septembre 2008 lorsque, tout le monde étant persuadé de la fin de la crise, on laissa chuter Lehman Brothers.