Grèce : pourquoi l'Allemagne joue la montre

Par Romaric Godin  |   |  1111  mots
Le ministre des Finances pourrait faire traîner les choses, empêchant le Bundestag de décider sur le plan grec la semaine prochaine.
Wolfgang Schäuble fait la moue devant le projet de mémorandum. Un débat s'est engagé sur le sujet au sein du gouvernement allemand. Il pourrait conduire à renforcer encore la tutelle sur Athènes.

C'était à prévoir. L'Allemagne se montre très prudente face à « l'accord technique » trouvé le 11 août entre la Grèce et le « quartet » formé des représentants de la Commission européenne, de la BCE, du FMI et du Mécanisme européen de Stabilité (MES). Certes, le gouvernement fédéral salue la « bonne volonté » d'Athènes en matière de « réformes » qui a fait preuve « d'une attitude constructive », mais, décidément, ce n'est pas assez. Le porte-parole du gouvernement allemand, Stefen Seibert, a prévenu : « il faut encore reconstruire la confiance par la mise en œuvre des réformes. » Autrement dit, Berlin demande que la mise sous tutelle d'Athènes soit encore renforcée.

Plus de tutelle

Cette demande est assez étonnante. Lorsque l'on regarde dans le détail du projet de mémorandum, en effet, on observe que le gouvernement grec sera tenu de rendre compte de ses réformes à des dates très précises. Mais il est clair que ce que vise Berlin, c'est de maîtriser davantage la libération des fonds. Plutôt que de donner aux Grecs des tranches importantes pour faire face à leurs échéances, le gouvernement allemand serait partisan d'une libération de l'argent au compte-goutte, au moment de chaque échéance, par exemple. Ce maintien d'un « nœud coulant » permettrait évidemment de s'assurer de l'obéissance du gouvernement grec qui, malgré sa bonne volonté affichée depuis le 13 juillet, reste décidément suspect aux yeux des dirigeants allemands.

Retard au Bundestag

Berlin pourrait commencer dès maintenant la mise en pratique de cette stratégie en retardant la validation du texte par le Bundestag de cet accord technique. Mercredi 12 août, le ministère des Finances allemand a fait savoir qu'il allait étudier le texte au plus jusqu'à la fin de la semaine prochaine, donc jusqu'au 21 août. Impossible donc de convoquer le Bundestag avant cette décision. Or, sans le vote du parlement, impossible de disposer du vote allemand au MES et, donc, de libérer les fonds. Ce retard devrait empêcher le versement de la première tranche de « l'aide » et obliger Athènes à solliciter un financement-relais pour faire face à l'échéance de 3,4 milliards de dettes détenues par la BCE et venant à échéance le 20 août. C'est exactement ce que cherche Berlin : obliger le gouvernement grec à « donner des gages » pour obtenir de l'argent.

Opposition entre Sigmar Gabriel et Wolfgang Schäuble

Ce retard est, du reste, assuré par l'existence d'un débat au sein du gouvernement allemand sur le fond du texte. Comme souvent, il prend la forme d'une passe d'armes entre le vice-chancelier social-démocrate Sigmar Gabriel et le ministre des Finances Wolfgang Schäuble. Alors que le premier n'a pas caché son enthousiasme pour le projet de mémorandum, le second ne s'est pas officiellement exprimé. Mais selon la Süddeutsche Zeitung de ce jeudi, un document interne à son ministère estime que le document est trop imprécis. D'autre part, il manquerait encore « d'importantes réformes » dans la liste spécifié par le projet. Bref, la Wilhelmstrasse, siège du ministère fédéral des Finances, souhaiterait durcir le texte. Au final, Angela Merkel - qui reste soigneusement muette - règlera le débat. Mais elle a tout intérêt à le laisser apparaître, car c'est un message envoyé au FMI, à Athènes et à Paris.

Fonction du débat allemand

Ce débat a une fonction importante dans le nouveau rôle qu'entend jouer l'Allemagne en Europe. Il montre que l'accord de Berlin n'est jamais acquis. Ceci signifie que la Grèce, mais aussi l'ensemble des autres pays de la zone euro, doivent évidemment faire un effort supplémentaire pour apaiser le débat interallemand et arracher l'accord du gouvernement fédéral. Le message est aussi envoyé au FMI qui hésite à se lancer, sans restructuration d'envergure de la dette grecque, dans cette périlleuse aventure d'une nouvelle phase de la cavalerie financière pour « sauver la Grèce. » Avec une Allemagne encore hésitante, le FMI constate que le défaut grec n'est toujours pas à exclure. Pour sauver sa mise existante, le FMI doit donc rassurer l'Allemagne, abandonner ses demandes de restructuration dont Berlin ne veut pas entendre parler et reprendre un engagement vis-à-vis de la Grèce. Une situation qui peut sembler absurde, mais qui est le fruit de la logique à l'œuvre depuis 2010.

Craintes à Athènes et à Paris

Quant au gouvernement grec, ce débat berlinois ne peut que l'inquiéter. Sans accord allemand, pas de mémorandum. Or, dans la logique adoptée le 13 juillet par Alexis Tsipras, il n'y a pas d'alternative au mémorandum. Il faut donc à tout prix rassurer la Wilhelmstrasse. Si nécessaire, on acceptera donc de resserrer la tutelle et de s'engager sur quelques réformes supplémentaires. En réalité, Athènes n'a plus les moyens de résister aux pressions allemandes.

Ce débat intérieur à l'Allemagne est aussi un message envoyé à la France. Il consiste à montrer que pour conserver l'Allemagne dans la « solidarité européenne », il faut donner davantage de gages. En termes budgétaires, bien sûr, comme l'a encore réclamé ce dimanche Volker Kauder, un proche de Wolfgang Schäuble, mais aussi en ce qui concerne le futur « approfondissement » de la zone euro qui pourrait passer, sur la pression allemande, par une nouvelle surveillance renforcée des budgets nationaux via un « ministre des Finances de la zone euro » indépendant de la Commission. Les hésitations de Wolfgang Schäuble et l'opposition renforcée au Bundestag au plan grec, sont autant de raisons de chercher à « rassurer Berlin. » Et au final, de renforcer le pouvoir de décision allemand dans la zone euro.

Renforcement de la démocratie allemande au détriment de la grecque

La stratégie allemande commence donc progressivement à prendre forme. On assiste au renforcement de la démocratie allemande au détriment de la démocratie grecque. Pour réduire le nombre d'opposants au plan parmi les députés conservateurs allemands (une minorité qui de toutes façons ne remetrait pas en cause l'adoption de ce plan, compte tenu de la grande coalition), on cherche ainsi à renforcer la mainmise des créanciers sur le processus de décision en Grèce. On assiste aussi à une forme de pression permanente sur le reste de la zone euro pour obtenir des concessions. C'est le fruit de la crise grecque où l'on a vu combien le débat Schäuble-Merkel sur le Grexit a inquiété la zone euro. Cette méthode pourrait perdurer dans l'avenir.