Grèce : un accord économiquement coûteux

Par Romaric Godin, à Athènes  |   |  1784  mots
L'économie grecque souffrira sans doute des mesures proposées par le gouvernement.
Alors que se tiennent les dernières discussions entre le gouvernement grec et les créanciers, les conséquences économiques des propositions grecques pourraient être coûteuses. Mais parce que la logique des créanciers a prévalu.

Alors qu'Alexis Tsipras, le premier ministre grec, se rend à nouveau, ce mercredi, à Bruxelles pour tenter de finaliser un accord avec les créanciers, la plupart des observateurs et des économistes se sont inquiétés des conséquences des mesures proposées par le gouvernement grec sur la croissance.

Un plan d'austérité lourd

Il est vrai que le plan, désormais révélé en détail par le quotidien grec Kathimerini, a la main lourde : les mesures prévues s'élèvent sur deux ans à 8 milliards d'euros, soit 4,4 % du PIB. Le relèvement de la TVA pour 2,1 milliards d'euros, des cotisations salariales pour 1,9 milliard d'euros et des taxes sur les entreprises de 2,2 milliards d'euros conduiront inévitablement à un affaiblissement de la demande dans un pays où elle demeure très faible. Certains économistes grecs estiment que l'effet négatif sur la croissance pourrait être de 2 points de PIB et une rumeur de marché évoquait mardi 23 juin une étude de la Deutsche Bank qui évoquait un effet allant jusqu'à 3 points de PIB. Du reste, mardi, dans les rues d'Athènes, un seul mot semblait sur toutes les lèvres, celui « d'austérité », à laquelle le gouvernement se serait rallié.

Comment Alexis Tsipras espère compenser l'effet de ce plan

Le calcul d'Alexis Tsipras est que cet effet sera doublement compensé. D'abord, par un élément « technique » : après un blocage avec les créanciers de près d'un an (la dernière tranche versée par la troïka date d'août dernier et le précédent gouvernement était déjà en conflit avec les créanciers), et des retraits de liquidités de près de 60 milliards d'euros, il y aura nécessairement un effet de rattrapage et de normalisation. Les ménages vont réaliser les achats qu'ils avaient reportés par précaution, les entreprises en feront de même pour leurs investissements urgents. Les liquidités vont retourner sur les comptes bancaires et être de nouveau disponibles pour l'économie. Parallèlement, le gouvernement grec compte beaucoup sur les investissements européens, que ce soit les 35 milliards d'euros promis par Jean-Claude Juncker ou le plan paneuropéen mis en place avec la BEI. Enfin, pour compenser l'alourdissement de la taxation des entreprises, Alexis Tsipras compte sur l'intégration de la Grèce dans la politique d'assouplissement quantitatif de la BCE en s'appuyant sur les améliorations constatées en Italie ou en Espagne de la distribution de crédits.

Des espoirs exagérés ?

Globalement, ces espoirs semblent exagérés. Le « rattrapage » du blocage actuel sera sans doute réel, mais sera-t-il aussi fort qu'Athènes peut l'espérer ? Ces interminables discussions, les menaces des créanciers, la défiance réciproque laissent à penser que l'épreuve de force, même en cas d'accord dans les prochaines heures ne sera pas terminée. Les créanciers ont prouvé qu'ils avaient un but politique. Si ce gouvernement survit à l'accord, il restera l'adversaire plus ou moins déclaré des créanciers. Le feu va donc toujours couvrir et même si l'argent revient dans les banques, il pourrait aussi rester en partie maintenu sous forme d'épargne de précaution, ce qui réduira l'effet positif de ce rattrapage. Quant aux plans Juncker et au QE, les preuves de leur efficacité générale et dans le cas spécifique de la Grèce restent à démontrer.

L'élément clé de la dette

En réalité, entre deux maux, l'austérité et la sortie de la zone euro, le gouvernement grec a préféré le « plus connu », autrement dit la poursuite de la logique précédente : la ponction continuelle de la richesse du pays pour garantir et rembourser les créanciers. La « servitude de la dette » a donc été maintenue jusqu'en 2016 au moins. Les négociations autour de la dette, qui détermineront la marge de manœuvre du gouvernement à moyen terme, sont donc très importantes pour l'avenir de l'économie hellénique. Ce sera le point déterminant non seulement pour justifier politiquement l'accord, mais pour permettre une vraie bouffée d'oxygène à partir de 2017 pour l'économie. C'est pourquoi les députés de la majorité s'accrochent à cette condition d'une restructuration de la dette qui reste cependant incertaine.

Pour le moment pourtant et pendant encore un an et demi, la logique de la troïka prévaut, même si le gouvernement grec a insisté dans ses propositions pour « rééquilibrer » socialement le fardeau autant que cela était possible. Ce n'est pas un détail dans un pays où les cinq années d'austérité ont surtout pesé jusqu'ici sur les plus pauvres et sur la classe moyenne aujourd'hui ravagée. Néanmoins, sur le plan macro-économique, l'effet sera incontestablement négatif.

Cercle vicieux

Au final donc, le gouvernement grec risque avec un tel plan de se retrouver dans le cercle vicieux auquel ont dû faire face les gouvernements précédents : une croissance plus faible que prévu, un objectif d'excédent primaire manqué et de nouvelles exigences des créanciers pestant encore contre l'incapacité des Grecs. C'est là le plus grave risque auquel devra faire face le pays dans les prochaines années. Le gouvernement d'Alexis Tsipras en portera certes une lourde responsabilité, mais il convient de se souvenir que cette logique de priorité donnée aux objectifs budgétaires par rapport aux objectifs économiques est celle des créanciers. Et qu'Alexis Tsipras aura dû l'adopter sous la pression de ces derniers, utilisant même le risque de Bank Run pour obtenir raison de son gouvernement. Du reste, le premier ministre hellénique mardi 23 juin a martelé que ces mesures étaient « contraires à son programme. » Ceux qui s'affligent aujourd'hui des maux futurs de la Grèce en raison de ce programme sont souvent ceux qui réclamaient une capitulation rapide d'Athènes face aux créanciers, donc la mise en place de la même logique.

Un accord trop tardif ?

Reste la question du temps. Beaucoup, comme l'agence Bloomberg, accuse le gouvernement grec d'avoir perdu trop de temps dans les négociations. En cédant immédiatement, Athènes aurait obtenu un traitement au moins équivalent, voire meilleur. Finalement, les demandes des créanciers sur la TVA et les retraites s'élevait à 3,6 milliards d'euros, soit moins que ce que propose le gouvernement. Cet argument oublie plusieurs faits.

En février, les créanciers souhaitaient l'application pure et simple du programme de 2012, plus lourd encore que celui imposé par cet accord. Si cela est contestable compte tenu de l'affaiblissement de la croissance pour 2015 (un excédent primaire de 1 % du PIB avec une économie stagnante peut être équivalent à un excédent de 3 % du PIB avec une croissance théorique de 3 %), c'est incontestable pour les années suivantes. L'excédent primaire prévu entre 2018 et 2020 est de 3,5 % du PIB, un point de moins que celui du programme de 2012. C'est peu, mais c'est un acquis pour l'économie grecque qui n'aurait pas été possible sans le bras de fer avec les créanciers.

L'utilisation de la dégradation de l'économie par les créanciers

Par ailleurs, le gouvernement Tsipras a rapidement pris conscience des conséquences économiques du blocage et de la pression de la BCE puisque le 20 février, il a accepté l'essentiel des conditions des créanciers. Mais, logiquement, ne voulant pas jeter de l'huile sur le feu, ce dernier a tenté d'éviter le plus possible la logique récessive des années précédentes. Or, à coup de rejets des listes de réformes grecques, de déclarations alarmistes, d'ultimatums et de menaces sur les banques pendant quatre mois, les créanciers ont clairement utilisé la dégradation de l'économie comme un moyen de pression, faisant preuve d'une indifférence complète vis-à-vis de la situation sur place. Le gouvernement grec a fait beaucoup d'erreurs, mais il a toujours tenté d'éviter un nouveau fardeau budgétaire sur l'économie grecque tout en éloignant la perspective - attisée en permanence par un Wolfgang Schäuble, par exemple, d'une sortie de la zone euro. Or, la crainte d'un Grexit a été le premier moteur des retraits des comptes et du blocage de l'économie. Dans cette négociation, ce sont les créanciers qui ont joué la politique du pire pour imposer une logique économique de toute façon nocive pour la Grèce.

Le bilan politique

Enfin, cet argument oublie que le gouvernement grec avait reçu une mission de ses électeurs et qu'il devait à ces derniers d'essayer au moins de briser la logique de la troïka. Dans un pays où les partis politiques clientélistes sont devenus des partis de l'austérité et où les gouvernements ont été des fondés de pouvoir de la troïka, la résistance du gouvernement a une valeur politique qui n'est pas à négliger. Elle a, du reste, permis de respecter certains objectifs comme la préservation des pensions ou le refus de relever la TVA sur l'électricité qui eût frappé les plus pauvres de plein fouet. Le rétablissement des négociations collectives a également été obtenu des créanciers. Le bilan n'est donc pas nul pour Athènes. Et la réalisation de ces objectifs politiques n'était possible que par la résistance aux premières exigences de la troïka. Désormais, le gouvernement peut prétendre avoir du moins « essayer » de faire fléchir cette politique et il peut, comme il l'a fait, ne pas accepter la paternité de la politique qui sera menée. Il peut donc se présenter encore comme une ligne de défense contre l'austérité. Politiquement, cette résistance était donc nécessaire.

Le « blame game » a commencé

Il est donc piquant de voir aujourd'hui le FMI s'inquiéter des risques sur la croissance des mesures proposées par le gouvernement grec. Ou un Pierre Moscovici affirmer mardi soir devant des députés européens grecs que le plan hellénique est « plus dur » que celui des créanciers, alors même que ce plan n'a pas été accepté par les créanciers.

 Le « blame game », consistant à trouver un coupable pour la prochaine dégradation de l'économie grecque a commencé. Les créanciers prouvent ainsi que leur but politique reste d'actualité. Si le gouvernement survit politiquement à l'accord, on prépare déjà l'étape suivante : faire reporter sur le gouvernement grec l'échec d'une politique qu'on lui a imposée.