Grèce : un "plan Juncker" pour sortir de l'impasse ?

Par Romaric Godin  |   |  971  mots
Jean-Claude Juncker tente de sauver les négociations avec la Grèce
Selon le journal grec To Vima, Bruxelles aurait proposer un compromis qui reporterait à plus tard les questions qui fâchent en accordant 5 milliards d'euros aux Grecs. Un plan bancal qui n'est pas confirmé par la Commission.

C'est le premier mouvement en près de trois mois des Européens en faveur d'un compromis avec la Grèce. Selon le quotidien grec To Vima, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a proposé un « plan » pour sortir de la crise grecque. Rien d'étonnant à ce mouvement, car le temps presse. To Vima cite un document de la Commission parvenu à Athènes ce lundi 18 mai et baptisé « notes sur l'aide à la Grèce. » Mais Bruxelles a affirmé ne pouvoir confirmer l'existence d'un tel document. Selon des sources gouvernementales contactées par La Tribune, ni le coordinateur Euclide Tsakalotos, ni le vice-premier ministre Yannis Dragasakis, autrement dit deux des principaux négociateurs, n'ont reçu ce lundi 18 mai au soir ce texte. "Ceci ne signifie pas qu'il n'existe pas, il a pu être transmis directement à Alexis Tsipras, soit à d'autres institutions", expliquent ces sources.

5 milliards d'euros contre des mesures de 5 milliards d'euros !

Que propose ce plan ? D'abord, de débloquer 5 milliards d'euros sur les 7,2 milliards d'euros dont dispose encore le programme. En échange, la Commission propose des conditions bien moins strictes que celles exigées jusqu'ici par les créanciers. Le gouvernement devra cependant accepter deux mesures délicates à faire accepter par sa base : l'établissement d'un taux de TVA unique de 18 %, contre trois aujourd'hui de 23 %, 13 % et 6,5 %. Un taux réduit de 15 % sera attribué en cas de paiement par carte bancaire. Le taux de 6,5 % sera maintenu sur certains produits (il est aujourd'hui appliqué sur les livres, les journaux et la restauration). L'effet de cette mesure sur l'économie reste encore incertain. La deuxième mesure, qui sera sans doute la plus difficile à faire accepter, sera le maintien de l'ENFIA, la taxe sur l'immobilier, qui est très impopulaire et que Syriza avait promis de supprimer. De façon générale, ces mesures pourraient conduire sur deux ans à rapporter 5 milliards d'euros.

L'idée centrale  du plan Juncker : tout remettre à plus tard

En retour, cependant, Athènes obtient plusieurs éléments qui lui sont favorable. D'abord, un objectif d'excédent primaire qui ne devrait être que de 0,75 % du PIB en 2015, avant de monter en 2016 à 2 % et à 3,5 % du PIB en 2017 et 2018. C'est, pour 2015, compte tenu de la dégradation de l'économie, un objectif beaucoup plus réaliste que les 3 % du PIB du mémorandum et même que les 1,5 % du PIB proposés en janvier et février par Athènes. Mais en réalité, l'idée de Jean-Claude Juncker a été de reporter les problèmes à plus tard. La hausse de la TVA ? Ce sera pour après la saison touristique. La réforme des retraites ? On rouvrira le dossier à l'automne. La réforme du marché du travail ? La Commission la réclame, mais là encore la reporte à plus tard.

Un nouveau blocage à l'automne ?

Bref, la Commission propose de faire ce qu'elle sait le mieux faire : gagner du temps. L'idée est que, à partir d'octobre, les échéances pour la Grèce sont moins lourdes. Au cours du dernier trimestre 2015, Athènes ne devra ainsi rembourser que 1,7 milliard d'euros au FMI. Reste qu'il ne s'agit là que d'un plan d'urgence. Le blocage actuel ne sera simplement reporté qu'à l'automne. Sans épée de Damoclès financière directe, peut-être, mais on ne voit pas pourquoi le gouvernement grec accepterait cet automne ce qu'il refuse aujourd'hui. Surtout qu'il aura dû faire accepter à l'aile gauche de Syriza et à la population quelques mesures n'allant pas réellement dans la logique du programme de Thessalonique proposé par Syriza en septembre dernier. Par ailleurs, les objectifs d'excédents budgétaires pour 2016, 2017 et 2018 semblent toujours aussi peu réalistes et, en tout cas, pas convaincants sur leur capacité à dégager des marges de manœuvre pour le gouvernement...

Des créanciers sans doute dubitatifs

Du côté des créanciers, cette proposition de la Commission risque également d'avoir du mal à passer. Du point de vue des pays les plus critiques, reporter à nouveau le problème risque de ne pas constituer une solution. Reporter les « réformes » pourrait, à leurs yeux, revenir à les enterrer. L'objectif d'excédent pour 2015 risque également de faire grincer des dents. Surtout, il y a un risque que ce compromis soit traité comme une défaite par certains créanciers, car l'enjeu est tout autant politique que financier. Le nouveau gouvernement finlandais, le gouvernement néerlandais ou le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble risquent d'émettre des doutes sur un tel compromis.

Le financement de cet été pas assuré

Du reste, ce compromis semble laisser encore bien des questions ouvertes. Les 5 milliards d'euros libérés permettent-ils au gouvernement grec de passer l'été ? Rien n'est moins sûr. Outre les 1,5 milliard d'euros dus au FMI en juin, la Grèce devra rembourser jusqu'au mois d'octobre 8,4 milliards d'euros, dont 6,7 milliards d'euros à la BCE. En tout, la facture pour les créanciers est de 9,9 milliards d'euros de juin à octobre. Comment trouver les 4,9 milliards d'euros qui manqueront ? La BCE doit certes libérer 1,9 milliards d'euros d'intérêts sur les bons grecs qu'elle détient. Mais il restera 3 milliards d'euros à débourser. Où les trouver quand on sait que le gouvernement ne parvient pas à mobiliser les 2 milliards d'euros de réserves des entités publiques. Bref, au mieux ce plan est incomplet. Il ne règle pas le problème des échéances de cet été qui ne seront pas, rappelons-le, non plus réglé en cas d'accord sur la totalité des fonds disponibles par le programme...

Si ce document est un vrai, il prouve en tout cas la nervosité chez les créanciers. Derrière leur apparente unité, ces derniers commencent clairement à s'inquiéter de l'échec des négociations et des conséquences d'un défaut grec. La ligne dure de Wolfgang Schäuble n'est peut-être plus la seule...