L'Allemagne craint de manquer de gaz l'hiver prochain

Par latribune.fr  |   |  1331  mots
Tandis que la Russie fournit 55% de ses importations en gaz, les prévisions sont devenues particulièrement critiques en matière d'offre. (Crédits : Reuters)
Le vice-chancelier Robert Habeck est au Qatar ce 19 mars, l'Allemagne ayant besoin de gaz naturel liquéfié. Dès le 5 mars, le ministre de l'Economie et du Climat a conclu un accord pour la construction d'un premier terminal méthanier. Le retour du nucléaire n'est plus un tabou outre-Rhin.

Très dépendante de la Russie pour son approvisionnement en hydrocarbures, l'Allemagne risque de manquer de gaz l'hiver prochain, a déclaré samedi le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, dans un entretien avec la radio Deutschlandfunk.

L'approvisionnement en gaz "n'est pas encore complètement garanti" pour cet hiver.

"Si nous n'obtenons pas plus de gaz à l'hiver prochain et si les livraisons en provenance de Russie venaient à être coupées, alors nous n'aurions pas assez de gaz pour chauffer toutes les maisons et faire tourner toutes les industries (...)", a prévenu le ministre écologiste.

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Visite au Qatar

Ce dernier multiplie les démarches pour éviter ce scénario. Après les Etats-Unis au début du mois et la Norvège cette semaine, cap sur le Qatar. le ministre allemand de l'Economie et du Climat se trouve chez l'un des trois plus gros exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL), cette ressource sur laquelle comptent les pays européens pour réduire leur dépendance au gaz russe. La question est particulièrement délicate pour l'Allemagne dont la moitié des importations de gaz viennent de Russie.

« Nous avons besoin, à court terme et de manière temporaire, de plus de gaz naturel liquéfié et nous voulons le faire arriver dans nos propres terminaux en Allemagne. D'autre part, nous devons accélérer le passage du gaz naturel conventionnel à l'hydrogène vert », a déclaré Robert Habeck avant son déplacement, qui sera suivi d'une visite aux Emirats arabes unis.

« Je suis convaincu que la somme des discussions que nous avons - la Norvège, les Etats-Unis, le Canada, le Qatar - mènera à ce que nous puissions obtenir (...) plus de gaz liquéfié vers l'Europe et vers l'Allemagne », a poursuivi le vice-chancelier sur ARD.

Avec la Norvège, Berlin va étudier la possibilité de construire un pipeline qui permettrait à terme d'importer de l'hydrogène vert lorsque cette technologie sera au point. Berlin est critiqué en s'opposant à un embargo immédiat sur les hydrocarbures russes dans le but d'assécher les flux financiers vers Moscou.  Un tel boycott déstabiliserait l'économie et la société allemande en raison de la flambée attendue du coût de l'énergie et des risques de pénurie, justifie Berlin.

Pour sortir de ce dilemme « entre émotion et raison », il faut « rendre l'approvisionnement sûr, puis aller de l'avant » en coupant les importations russes, a expliqué Robert Habeck.

« La production de pétrole et de gaz crée une concentration du pouvoir, et la concentration du pouvoir crée souvent une vulnérabilité à la corruption » a-t-il encore estimé.

Tandis que la Russie fournit 55% de ses importations en gaz, les prévisions sont aussi devenues particulièrement critiques en matière d'offre et demande depuis la suspension de la certification du gazoduc Nord Stream 2 reliant l'Allemagne à son premier fournisseur gazier.

Un premier terminal méthanier conclu le 5 mars

Berlin a annoncé le 5 mars avoir conclu un accord pour la construction d'un premier terminal méthanier important de gaz liquéfié (GNL) situé à l'embouchure de l'Elbe.  Le gouvernement allemand via la banque publique KfW, l'opérateur public néerlandais Gasunie et le groupe d'énergie allemand RWE « ont signé un protocole d'accord pour la co-construction d'un terminal d'importation de gaz naturel liquéfié sur le site de Brunsbüttel », situé dans le nord du pays, selon le communiqué du ministère de l'Economie et du Climat.

« Il est nécessaire de réduire au plus vite la dépendance vis-à-vis des importations russes » de gaz, a commenté le ministre Robert Habeck.

La future infrastructure, financée à 50% par la KfW et opérée par Gasunie, aura une capacité annuelle de regazéification de 8 milliards de mètres cubes afin de livrer directement le marché allemand en gaz naturel.

Dans un discours qualifié d'« historique » outre-Rhin il y a trois semaines devant le Parlement, chancelier Olaf Scholz n'exclut plus le recours au nucléaire ou encore de constituer des réserves de charbon. Malgré tout, la nouvelle coalition en place ne renonce pas à l'objectif ambitieux du pays de parvenir à la neutralité carbone d'ici à 2045.

Outre le respect des engagements pour l'environnement, la coalition au pouvoir doit surtout veiller à ne pas faire plonger le pouvoir d'achat de ses foyers, entrainant une crise sociale majeure. Déjà soumis à l'inflation liée à la reprise post-Covid, les Allemands ont déjà vu leur facture de gaz exploser.

« Je ne le rejetterai pas le nucléaire pour des raisons idéologiques »

Pour s'en défaire, c'est donc une refonte profonde que le gouvernement devra engager, avec un possible glissement du calendrier de sortie du nucléaire civil, prévue dès la fin de cette année. De quoi faire sauter un puissant tabou outre-Rhin, dix ans après la décision forte de sortir de l'atome.

Interrogé le 1er mars sur un éventuel report de la date de sortie du nucléaire par le radiodiffuseur ARD, le vice-chancelier, qui est par ailleurs l'une des figures du parti écologiste outre-Rhin, a ainsi déclaré :

« Je ne le rejetterai pas pour des raisons idéologiques ».

Et pour cause, la décision prise en 2012 par Berlin de fermer ses centrales atomiques l'a non seulement poussé à investir dans les énergies renouvelables, mais également à persister dans sa dépendance au gaz, en même temps qu'une baisse de son exposition au charbon.

Résultat : si les sanctions imposées aujourd'hui par les Européens à Moscou touchent l'aéronautique ou le système bancaire, les Vingt-Sept se refusent encore à s'attaquer directement aux flux d'énergie, de peur d'en pâtir lourdement. Des milliers de mètres cubes de gaz affluent donc toujours de la Russie vers l'Europe, et notamment l'Allemagne, en dépit des tensions.

Dans ces conditions, « ne serait-ce qu'envisager de prolonger les trois centrales qui devraient être fermées d'ici à fin 2022, Isar 2, Emsland et Neckarwerstheim 2, constitue un changement majeur par rapport à ce qui a été fait ces dernières décennies », commente Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN).

« Seule une guerre pouvait faire bouger les Verts sur cette question, alors que le rejet du nucléaire reste très puissant outre-Rhin », glisse de son côté un expert du secteur énergétique.

Une électricité à 11% issue du nucléaire et 40% de l'éolien et du solaire

De fait, même l'explosion des prix de l'énergie n'avait pas suffi à faire ciller le gouvernement : alors que les cours du gaz et de l'électricité atteignaient des records fin 2021, Berlin avait en effet maintenu la date de fermeture de trois autres réacteurs nucléaires, et stoppé définitivement, comme prévu, leur production avant le mois de janvier.

C'est d'ailleurs la suite logique d'un long désinvestissement de cette source d'énergie : en vingt ans, pas moins de 14 GW de capacités nucléaires ont été coupés du réseau. Ainsi, alors qu'en 2000, l'atome représentait 30% du mix électrique du pays contre 7% pour les renouvelables, la tendance s'est depuis inversée : en 2020, l'électricité provenait à 11% du nucléaire et à plus de 40% de l'éolien et du solaire.

Dans le même temps, la part du gaz fossile est passée de 9 à 16%. Et pour cause, le solaire photovoltaïque et l'éolien restent non pilotables : en l'absence de solutions de stockage de l'électricité, ils doivent être complétés par des sources d'énergie capables de servir d'appoint en cas de baisse de production.

Sans nucléaire, l'Allemagne n'a donc d'autre choix, à moyen terme, que de s'appuyer sur le gaz naturel et le charbon. Dans ces conditions, et alors que la guerre en Ukraine promet de faire durer la flambée des prix du gaz, renoncer à fermer les dernières installations nucléaires pourrait donc permettre de préserver des marges, en produisant de l'électricité pilotable, bas carbone et abordable.