L'économie suisse plombée par le franc fort

Par Romaric Godin  |   |  942  mots
L'économie suisse s'est contractée début 2015
Le PIB helvétique recule de 0,2 % au premier trimestre 2015. Les exportations ont été pénalisées par l'envolée du franc, mais la demande intérieure a tenu bon.

La Suisse a été frappée de plein fouet par la hausse du franc. Au premier trimestre 2015, le PIB helvétique s'est ainsi contracté de 0,2 %, un peu plus que ce qu'attendait le consensus des économistes (-0,1 %). C'est un vrai coup d'arrêt puisque, au trimestre précédent, la croissance suisse avait atteint 0,5 % et que sur l'ensemble de l'année 2014, elle avait été de 2 %. Du reste, la richesse nationale de la Confédération n'est supérieure que de 1,1 % par rapport au premier trimestre 2014, alors que le consensus des économistes tablait sur une hausse de 1,5 %.

L'effet du franc fort

Un tel recul n'est pas très fréquent en Suisse. Il faut remonter au troisième trimestre 2011, au moment où la crise de la zone euro avait provoqué une envolée du franc, pour retrouver un recul de l'activité helvétique d'une telle ampleur. Rien d'étonnant à cela, car évidemment, la raison principale de la baisse du PIB suisse, c'est la fin du « taux plancher » du franc suisse à 1,20 franc par euro par la  Banque nationale suisse, la BNS, le 15 janvier dernier. Ce plancher avait été instauré en septembre 2011 pour éviter la récession. Levé, il fait logiquement plonger à nouveau l'économie helvétique. Il faut désormais 1,03 franc pour un euro, soit 14 % de moins qu'avant le 15 janvier.

Le détail fourni par le Secrétariat fédéral à l'économie (SECO) ne trompe d'ailleurs pas. Les exportations globales ont reculé de 3,8 % alors qu'au trimestre précédent, elles avaient progressé de 9,6 %. Les exportations de biens sont, elles, en chute de 2,3 %. Autrement dit, la revalorisation brutale du franc a empêché les exportateurs suisses de profiter de la légère reprise de la croissance dans la zone euro (où le PIB a progressé de 0,4 % au premier trimestre contre 0,3 % au trimestre précédent).

La demande intérieure tient bon

La croissance helvétique a cependant été sauvée en partie par une demande intérieure qui demeure solide. Ménages et entreprises n'ont, semblent-ils, pas encore anticipés les effets du franc fort sur leurs capacités de dépenses. Ou bien, et c'est la version pessimiste, ils ont précisément anticipé les difficultés à venir en dépensant tant qu'ils le pouvaient encore. Toujours est-il que la consommation des ménages a progressé de 0,5 % contre 0,3 % au trimestre précédent et que les investissements d'équipement ont aussi progressé de 0,5 %, un peu moins que les 0,9 % du trimestre précédent. La reprise des investissements dans la construction (+0,3 % après un recul de 1,5 %) explique aussi en grande partie la croissance de la demande intérieure.

Correction inévitable

Cette correction était inévitable après la décision de la BNS. Cette dernière avait le choix entre imprimer des francs pour soutenir la croissance ou « ajuster » cette dernière au niveau d'équilibre de marché de la monnaie. Elle a choisi cette dernière option, elle ne peut être surprise du chiffre publiée ce vendredi. Reste que cet ajustement du premier trimestre n'est qu'une première phase : il implique les conséquences « directes » de la revalorisation du franc, celui de la perte immédiate de compétitivité des produits suisses. La phase suivante sera plus délicate. Et tout dépendra de la réaction des exportateurs suisses. Sauront-ils regagner les marchés perdus lors de ce premier trimestre ? Y aura-t-il une volonté de compenser la revalorisation du franc par des réductions d'effectifs ou de salaires ? Décideront-ils d'investir, malgré la pression, pour réaliser des gains de productivité future ? D'ores et déjà, certaines entreprises se sont adaptées, en augmentant le temps de travail, comme par exemple Bosch.

Résistance de l'emploi

Pour le moment, la Suisse semble devoir cependant échapper à la spirale de la récession. Il est vrai que la BNS s'est inquiété d'une trop forte hausse du franc et qu'elle intervient désormais pour stabiliser la monnaie helvétique. Par ailleurs, une grande partie des exportations suisses, notamment dans le domaine du luxe, est assez insensible à l'effet prix. L'impact sur l'emploi de cette contraction du PIB n'a pas été nul, mais il reste limité. En avril 2015, le nombre de demandeurs d'emploi était supérieur de 2,9 % à celui d'avril 2014, mais la baisse par rapport à mars a été sensible et le taux de chômage est quasiment stable à 3,3 % contre 3,2 % un an auparavant. Cette résistance de l'emploi et la faible inflation semble devoir assurer au pays un « matelas de résistance » face à la revalorisation du franc.

Fin durable de la croissance forte

Reste qu'il faut se garder de tout optimisme trop prononcé. Le dernier indice du climat des affaires de l'institut KOF pour le mois de mai montre une légère amélioration en passant de 89,8 à 93,1, notamment en raison de meilleurs carnets de commande dans l'industrie. L'industrie suisse a donc peut-être déjà connu le pire. Mais l'indice souligne aussi un ralentissement de la demande intérieure. Ce qui viendrait confirmer que les dépenses du premier trimestre étaient en partie des dépenses de « précaution. » Au final, la Suisse n'est pas sûre d'entrer en récession, autrement dit de connaître une baisse de son PIB également au deuxième trimestre. Mais les années de croissance forte sans doute derrière elle. L'institut KOF prévient ainsi : « on ne doit pas s'attendre à une forte reprise de l'économie » mais à peine à une « inversion de tendance. » Il y a peu de chance que la croissance suisse dépasse les 0,5 % en 2015 prévus par le KOF. En espérant que la croissance de ses partenaires commerciaux, notamment la zone euro tienne bon...