La FIFA menace la Grèce d'un Grexit... footballistique !

Par Romaric Godin  |   |  1166  mots
Scénes de violence lors du derby Panathinaikos-Olimpiakos du 22 février.
Le ton monte entre les instances internationales du football et le gouvernement Tsipras. La FIFA menace de suspendre le pays alors qu'Athènes prépare une loi contre la violence récurrente dans le football hellénique.

La BCE, le FMI, l'Eurogroupe, l'Allemagne et maintenant... la FIFA ! Décidément, le gouvernement grec dirigé par Alexis Tsipras n'a pas l'heur de plaire aux grands de ce monde. La fédération internationale de football et sa branche européenne l'UEFA se sont en effet inquiétées du projet de loi préparé par Stavros Kontonis, le vice-ministre hellénique en charge du sport. Ce dernier entend mettre, enfin, de l'ordre dans le monde du football grec, frappé depuis des années par la violence entre supporters et par la corruption.

Un projet de loi ambitieux

Ce projet de loi prévoit ainsi, en cas d'incidents violents, de frapper les clubs d'amendes allant de 10.000 à 25.000 euros. Les autorités civiles pourront aussi décider de déplacer des matchs et d'interdire à certains clubs de participer à des compétitions européennes. Les médias pourraient aussi devoir être sanctionnés pour avoir montré ou incité des actes de violence dans les stades. La presse sportive grecque est nombreuse et souvent affiliée à des clubs. Elle n'hésite pas à faire monter la pression contre les clubs adverses, notamment lors des derbies (rencontres entre clubs voisins). Le projet de loi entend aussi lutter contre le trafic illégal de billets en prévoyant de l'emprisonnement pour les vendeurs non autorisés et en favorisant les émissions électroniques de tickets. Enfin, pour lutter contre la corruption, les arbitres seront tenus de procéder à des déclarations de patrimoine.

Indépendance du football

Ce texte ambitieux sera soumis à la commission des affaires culturelles de la Vouli la semaine prochaine. Il devrait être soumis au vote en séance plénière les 4 et 5 mai prochains. Mais il irrite fortement la FIFA et l'UEFA. Pour ces instances, le football doit, comme la politique monétaire, être indépendant de tout pouvoir politique. Selon les fédérations, il existe un risque d'immixtion des autorités dans la gestion du football grec. Elles se sont donc fendues d'un avertissement sévère à la fédération hellénique de football (EPO) la semaine passée. Dans cette lettre, la FIFA et l'UEFA menacent : si le projet est voté, elles n'auront pas « d'autres options que de transmettre l'affaire devant l'autorité compétente pour des sanctions immédiates, y compris la suspension de l'EPO. »

Grexit footballistique

Autrement dit, la FIFA annonce rien moins qu'un Grexit du football international. En cas de suspension, la Grèce - actuellement bonne dernière du groupe F des qualifications pour l'Euro 2016 - ne pourrait plus jouer de matchs internationaux et ses clubs ne pourraient pas davantage participer aux compétitions européennes. A la différence de la BCE, la FIFA est plus coutumière de ces exclusions. En juillet 2013, par exemple, la fédération camerounaise de football (Fecafoot) a été suspendue. Un an plus tard, le Nigeria a connu le même sort. Souvent, ces suspensions font suite à des pressions politiques pour nommer un proche au sein de la direction des fédérations nationales. Au bout de quelques jours, les Etats reculent et la suspension est levée.

Déjà, en 2006...

On voit que le cas grec est ici un peu différent. Mais la FIFA a néanmoins déjà prouvé sa détermination à empêcher l'Etat de venir mettre de l'ordre dans le football grec. Le 3 juillet 2006, la FIFA avait ainsi déjà suspendu la fédération grecque suite à un projet de loi du gouvernement conservateur d'alors. Lui aussi autorisait le gouvernement à intervenir dans le milieu du ballon rond. Dix jours plus tard, après le vote d'un amendement donnant l'indépendance complète à l'EPO moyennant un retrait des subventions, la suspension avait été levée. L'équipe de Grèce, alors championne d'Europe en titre, avait pu reprendre ses matchs internationaux.

Violences récurrentes

Reste que le football grec demeure frappé par de nombreux maux. La violence entre supporters n'est pas le moindre. L'an dernier, la finale de la coupe de Grèce entre le Panathinaikos d'Athènes et le Paok de Thessalonique avait été marquée par des violences. En septembre, un supporter avait été tué lors d'affrontements entre les équipes de deuxième division de l'Ethnikos du Pirée contre l'Irodotos d'Heraklion . En novembre, un responsable arbitral avait été attaqué. Enfin, fin février, le derby des « ennemis éternels » entre le Panathinaikos et l'Olimpiakos du Pirée avait été marqué par de nouveaux heurts, des jets de projectiles vers les joueurs et les dirigeants du club du Pirée et l'invasion du terrain.

Détermination gouvernementale

Ces violences du 22 février avaient décidé le nouveau gouvernement à prendre des mesures sévères pour en finir avec la plaie de la violence. Alexis Tsipras avait suspendu les matchs de championnat le dimanche suivant - c'était la troisième fois pour la seule saison 2014-2015 - et avait convoqué les clubs pour trouver une solution. Stavros Kontonis avait alors prévenu : « la décision du premier ministre d'éradiquer ce problème est définitive. » D'où ce projet de loi qui irrite la FIFA.

Mais l'organisation internationale va devoir faire face à la capacité de résistance du gouvernement grec qui a déjà résisté depuis près de deux mois à ses créanciers. Stavros Kontonis a ainsi été très sévère avec la FIFA : « nous pensons que le projet de loi permet à l'Etat d'assumer ses responsabilités pour faire face au tsunami de violence dans le sport. Le gouvernement et le parlement sont les seules entités légitimes pour régler les problèmes du peuple grec, alors que la FIFA est une organisation internationale régie par la loi suisse. »

Rudes négociations en cours

Stavros Kontonis a également dénoncé le manque de volonté de la FIFA de s'attaquer aux problèmes du football hellénique. Rappelant que la justice grecque a mis en lumière l'existence d'au moins deux organisations criminelles dans ce sport en Grèce et que le problème de la violence existe depuis des décennies, il conclut : « si une organisation internationale estime que l'actuel cadre législatif a bien fonctionné, qu'elle vienne nous le dire. » Il est même allé plus loin. « Il semble que la FIFA et l'UEFA ne sont pas intéressées par le règlement des plaies du football grec, mais qu'elles cherchent au contraire à contourner l'ordre constitutionnel grec et le peuple grec », a-t-il indiqué. Le gouvernement semble donc décidé à agir. Cependant, la porte n'est pas fermée : le ministre a invité la FIFA et l'UEFA à une discussion de trois jours sur le sujet. Les négociations continuent donc, mais Athènes ne semble pas prête à reculer. « Nous espérons que les fédérations comprendront les problèmes sérieux et nombreux du football grec et qu'ils s'engageront de façon constructive et active dans un processus de consolidation, de démocratisation et de transparence », a conclut Stavros Kontornis.